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Une année difficile pour Boris Johnson pris entre Brexit et Covid

Le Premier ministre britannique Boris Johnson est attendu à Bruxelles mercredi soir pour un énième rendez-vous de la dernière chance sur le Brexit. L'épilogue peut-être d'une année qui n'a pas épargné le dirigeant conservateur.

Souvenez-vous, c'était le 12 décembre 2019, Boris Johnson était réélu avec une large majorité lors d'élections anticipées organisées à son initiative quelques mois après avoir succédé à Theresa May. L'objectif de l'opération était clair: ancrer le Parlement britannique dans le camp conservateur pro-Brexit en s'appuyant sur la lassitude de l'électorat et le désir prononcé d'en finir avec ces négociations sans fin.

Devenu chantre de la souveraineté retrouvée du Royaume-Uni après avoir, dit-on, hésité jusqu'à la dernière minute lors du référendum de 2016 pour une sortie de l'Union européenne (UE), Boris Johnson s'est appuyé entre autres sur son conseiller Dominic Cummings, l'artisan du Brexit, pour poursuivre les discussions sur les termes de l'accord durant la période de transition qui s'étalerait du 1er février au 31 décembre 2020.

Nos amis doivent comprendre que le Royaume-Uni a quitté l'UE pour pouvoir exercer un contrôle démocratique. Nous en sommes encore loin

Boris Johnson, Premier ministre britannique

Au soir du 31 janvier, c'est donc tout un pays qui -bon gré, mal gré- a plongé dans l'inconnu en sortant officiellement de l'UE, plus de trois ans après le vote, et aux chants de "Britannia" et "God Save The Queen". Ce jour-là, Boris Johnson s'est fait discret, laissant le devant de la scène au tribun populiste Nigel Farage. Habile politicien, le Premier ministre ne pouvait pas ignorer que cette date butoir n'était pas la fin, mais bien le début de longues tractations avec les Vingt-Sept.

>> Lire : La nuit du Brexit, la fête nationaliste dont Nigel Farage fut le héros

Arrivé à la tête d'un pays divisé et à cran, sur le plan social, après des années d'austérité, Boris Johnson avait réussi à rassembler l'opinion autour d'une idée simple: "Get Brexit done!" ("Réalisons le Brexit!", en français). Hélas pour lui, la lune de miel n'a pas duré.

Stratégie risquée face au virus

Dès le mois de mars, le Royaume-Uni est rattrapé par la pandémie et fait le pari risqué de l'"immunité collective". Ce n'est qu'une semaine après la plupart des autres pays européens que le gouvernement se décide à imposer un confinement, le 23 mars, alors que la situation s'est déjà largement détériorée dans le pays qui bat aujourd'hui de tristes records avec plus de 61'500 morts du SRAS-CoV-2 depuis le début de l'anneé.

"Cette crise du Covid-19 a changé beaucoup de choses et a, notamment, affaibli le gouvernement britannique", observe Aurélien Antoine, professeur à l'Université Jean-Monnet de Saint-Etienne, en France. Spécialiste du Brexit, il souligne: "Boris Johnson ne doit pas être accusé du dysfonctionnement du système sanitaire britannique, le NHS, qui est dû à des années de politiques néo-libérales. Mais ce qui est sûr, c'est que la pandémie a créé une zone de flou".

Boris Johnson a sans doute été plus ébranlé qu'on ne le dit par le Covid

Aurélien Antoine, professeur de droit public

De fait, à 55 ans, Boris Johnson est rattrapé par le virus. Durement touché, il doit être hospitalisé et céder la gestion du Royaume-Uni, en pleine crise sanitaire et économique, à son ministre des Affaires étrangères, Dominic Raab. Eurosceptique convaincu, ce libéral se retrouve propulsé à la tête du pays. Le défi est de taille et le chef de la diplomatie aura du mal à cacher son inexpérience. A son retour aux affaires, le Premier ministre change de ton face à la pandémie et rend un hommage appuyé aux soignants qui se sont occupés de lui.

>> Lire : Ces défis qui attendent Boris Johnson pour son retour aux affaires

Mais l'arrivée de l'été ne signe pas la fin des ennuis pour le Royaume-Uni. Défié par l'Union européenne, qui cherche à éviter à tout prix que ce pays dissident s'en sorte trop bien loin de son giron, Boris Johnson est aussi critiqué sur le plan intérieur. On lui reproche notamment de ne pas en avoir suffisamment fait pour les victimes d'importantes inondations et de trop dépenser pour un projet de train à grande vitesse HS2, qui doit contribuer à désenclaver le nord de l'Angleterre en le rapprochant de Londres.

Un vent de révolte

Un message de prévention dans une rue de Birmingham, en Angleterre. [Keystone - EPA/Andy Rain]
Un message de prévention dans une rue de Birmingham, en Angleterre. [Keystone - EPA/Andy Rain]

Peu à peu, ce Nord qui l'avait choisi en 2019, en vertu de sa position sur le Brexit, tournant ainsi le dos à des décennies de vote travailliste, commence à se désolidariser de ce gouvernement central jugé trop éloigné. Le soutien de Boris Johnson à Dominic Cummings, qui a violé les règles du confinement en mai, passe mal.

Mais c'est surtout l'introduction d'un système de restrictions à trois vitesses, le 12 octobre, selon lequel de larges pans du nord de l'Angleterre se retrouvent en zone rouge, qui va mettre le feu aux poudres. Le Premier ministre fait face à une révolte historique des maires de Manchester, Sheffield et Liverpool, qui réclament davantage de moyens pour pallier les conséquences économiques des fermetures imposées.

A ces divisions s'ajoutent des dissensions jusque parmi les députés conservateurs, lorsque Boris Johnson devra se résoudre à annoncer un reconfinement national dans l'urgence, au soir du 31 octobre. Bien malgré lui, il donne ainsi raison à son nouveau rival travailliste Keir Starmer, désormais au coude-à-coude avec lui dans les sondages.

En ordre de marche

A cette même période, plusieurs membres du gouvernement démissionnent -ou sont poussés vers la sortie, à commencer par le très influent et très controversé Dominic Cummings. Selon The Times, Boris Johnson est désireux de renouer un dialogue apaisé avec les députés conservateurs et d'adopter une approche "moins dogmatique face à l'Union européenne, alors que se profile le sprint final de négociations pour tenter d'aboutir à un accord commercial avant la fin de la période de transition post-Brexit, qui s'achève à la fin de l'année.

Malgré des négociations intenses, les discussions ont achoppé à plusieurs reprises ces derniers jours et bien malin qui pourra en prédire l'issue. "Le niveau de confiance quant à un accord était tombé très bas, mais il y a eu depuis un geste politique de Londres qui a renoncé à deux textes de loi qui contrevenaient à l'accord de retrait signé en 2019", relève Elvire Fabry, chercheuse à l'Institut Jacques Delors, dans La Matinale de la RTS. Pour elle, le coût élevé d'un "no deal", qui retarderait le retour de la croissance post-pandémie, pourrait motiver les Britanniques à faire preuve de souplesse (lire encadré).

>> Ecouter l'entretien avec Elvire Fabry, chercheuse à l'Institut Jacques Delors :

Elvire Fabry analyse l'énième report de l'accord du Brexit [RTS]RTS
Elvire Fabry analyse l'énième report de l'accord du Brexit / La Matinale / 7 min. / le 8 décembre 2020

Ce n'est cependant pas l'avis d'Emma Bell, professeure d'histoire et de civilisation britanniques à l'Université de Savoie interrogée par la RTS, qui voit dans la composition du gouvernement actuel, "où les ministres les plus influents sont des néo-libéraux assez extrémistes", un signe qu'une sortie sans accord pourrait "être perçue comme une opportunité pour avancer un agenda de déréglementation assez féroce".

Sprint final

Prudent, le professeur de droit public Aurélien Antoine souligne pour sa part le côté populiste de Boris Johnson. "Il n'hésite pas à utiliser des leviers propres aux populistes en violant par exemple le droit, mais il ne le fait jamais de façon frontale comme un Donald Trump ou un Viktor Orban. On voit même qu'il est revenu en arrière sur la question de la frontière irlandaise et des règles de concurrence", nuance-t-il.

>> Lire : Toujours pas d'accord sur le Brexit, mais des signes positifs venus de Londres

"Boris Johnson est, pour moi, un néo-réactionnaire. Il a une vision un peu lyrique de la politique qui est à ses yeux au-dessus de l'économie. C'est pourquoi il va poursuivre le cap qu'il s'est fixé et qui est d'ancrer le Royaume-Uni au coeur d'un commerce mondial. A court terme, le pays va perdre, mais son objectif c'est qu'il vive bien dans 10 à 15 ans", détaille encore le fondateur de l'Observatoire du Brexit.

Ajoutez à cela un peu de pragmatisme britannique et un Premier ministre ébranlé par une année difficile et vous avez tous les ingrédients pour un accord de dernière minute à Bruxelles, après le dîner. Et si ce ne devait pas être le cas, Boris Johnson pourra toujours dire qu'il a tout essayé.

Juliette Galeazzi

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Accord ou pas, le Brexit va secouer l'économie britannique

Si l'ampleur des dégâts dépendra de l'issue des négociations en cours entre Londres et Bruxelles, les économistes s'attendent à ce que le Brexit soit économiquement douloureux. La très respectée London School of Economics va jusqu'à estimer qu'un Brexit sans accord, c'est-à-dire avec un retour des droits de douanes et contrôles aux frontières, sera plus coûteux que le Covid-19, car ses conséquences se feront sentir sur une plus longue période.

Le précédent gouvernement conservateur lui-même n'avait pas caché l'impact du Brexit dans des documents officiels dévoilés fin 2018. Selon les estimations de l'époque, un "no deal" amputerait le PIB de 7,6% sur 15 ans. Un accord commercial le réduirait de 4,9%, soit un impact assez sévère, signe du défi que représente la sortie de l'UE.

La réalité du Brexit, avec la sortie effective le 1er janvier au terme d'une période de transition, tombe au plus mauvais moment pour l'économie britannique, qui se remet à peine du choc de la pandémie et de la récession historique évaluée à 11,3% pour 2020 par les services du gouvernement, avant un rebond de 5,5% en 2021. (afp)