L’annonce était attendue depuis début mars avec la guerre en Ukraine et ses conséquences en cascade sur l’économie mondiale. Ce lundi 23 mai, la Commission européenne a entériné la poursuite en 2023 de la suspension des règles de rigueur budgétaire. « L’incertitude accrue et les risques importants de dégradation des perspectives économiques dans le contexte de la guerre en Ukraine, les hausses sans précédent des prix de l’énergie et les perturbations persistantes de la chaîne d’approvisionnement justifient la prolongation », a expliqué l’exécutif européen dans un communiqué.

Concrètement, la suspension des règles de Maastricht, qui limitent les déficits publics à 3 % et la dette à 60 % du PIB, implique qu’aucune procédure de déficit excessif ne pourra être enclenchée durant l’année 2023. Au cours d’une conférence de presse, Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission, a néanmoins demandé aux États de mener « une politique budgétaire prudente, en contrôlant la croissance des dépenses courantes ». Pour la France, une seule recommandation budgétaire a été adressée au gouvernement, portant sur le régime des retraites, jugé éclaté et inégalitaire.

Quatre ans de suspension

Au total, le cadre budgétaire européen aura donc été désactivé pendant quasiment quatre ans, la première clause dérogatoire ayant été adoptée en mars 2020 au lendemain du premier confinement. À l’époque, la Commission venait de lancer le débat sur l’avenir du pacte de stabilité et de croissance, jugé depuis longtemps complexe, inadapté, et finalement jamais respecté, à cause notamment de la multiplication de régimes dérogatoires.

Mais là encore, les réflexions avaient été différées avec la crise sanitaire. « En prolongeant la suspension du pacte, la Commission permet aux États de financer de nouvelles dépenses exceptionnelles pour répondre à l’urgence de la guerre, mais cherche aussi à gagner du temps pour se doter de nouvelles règles d’ici à la fin de la période d’exception », estime Andreas Eisl, économiste à l’Institut européen Jacques-Delors.

Une réforme toujours en attente

Initialement, Bruxelles avait prévu de présenter des propositions de réformes avant l’été. Ce sera finalement l’automne prochain. Parmi les options sur la table, celle de remplacer la fameuse « règle d’or » des déficits structurels par une règle de dépense beaucoup plus simple à mettre en œuvre. « Depuis qu’elle a été formalisée en 2011, la règle des déficits structurels (hors élément conjoncturel), censée éclairer les traités de Maastricht, est en fait inapplicable, car elle repose sur des variables macroéconomiques très difficiles à définir et observer », explique Grégory Claeys, de l’Institut Bruegel.

→ ANALYSE. Pacte de stabilité européen : quelles options pour réformer les règles budgétaires ?

En plafonnant la croissance des dépenses, en fonction de la croissance économique des pays, l’idée serait de gagner en lisibilité mais aussi en souplesse, pour permettre aux gouvernements européens de mener des politiques budgétaires contracycliques.

Individualiser la trajectoire financière des États

Parmi les autres réflexions en cours, celle d’individualiser la trajectoire financière des États, la crise des dettes souveraines, et plus tard la crise sanitaire, ayant montré à quel point la règle des 60 % manquait de crédibilité (aujourd’hui, quatre États membres de l’UE affichent des dettes supérieures à 120 % du PIB).

Pour permettre cette individualisation, la Commission pourrait proposer de supprimer une autre règle qui oblige à ce que 1/20 de l’excès d’endettement soit éliminé chaque année.

Enfin, la Commission européenne aura à se prononcer sur la possibilité d’exclure du déficit public certaines dépenses d’investissements liées à la transition énergétique ou à la défense. « Sur ce point, le débat est encore très mouvant, car certains États, comme la France, estiment que la transition énergétique est l’occasion inespérée de mettre en place un budget européen sur le modèle du plan de relance européen de 750 milliards. Dans ce cas, la réforme du pacte de stabilité serait l’occasion de revoir en profondeur la gouvernance économique de l’Europe », explique Grégory Claeys.

Atteindre un consensus sur ces règles ne sera pas facile, tant les points de vue peuvent diverger en Europe entre les États dits du Nord (plus orthodoxes) et ceux du Sud (plus dispendieux). Ce sera d’autant plus difficile dans le contexte actuel de la remontée des taux d’intérêt.