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Vladimir Poutine est-il en train de gagner la guerre du gaz en Europe ?

Les diminutions des livraisons de gaz russe font planer la menace de pénurie durant l’hiver en Europe. La maîtrise d’une part de marché importante permet à Vladimir Poutine de maîtriser les prix et d’amasser un pactole.

Mathilde Durand , Mis à jour le
Conduites liées au gazoduc Nord Stream 1 en Allemagne.
Conduites liées au gazoduc Nord Stream 1 en Allemagne. © REUTERS/Hannibal Hanschke//File Photo

Comme prévu, les livraisons de gaz à l’Europe via Nord Stream ont baissé de près de 20 % des capacités du gazoduc ce mercredi, selon les données de l’opérateur allemand Gascade, renforçant les risques de pénurie cet hiver dans plusieurs pays européens. Gazprom avait annoncé cette réduction drastique lundi, invoquant une opération de maintenance sur une turbine. Une réparation rendue « extrêmement difficile » en raison des sanctions européennes prises contre la Russie , selon Moscou. Mais ce motif technique est réfuté par les Européens, dans un contexte de guerre en Ukraine , où l’énergie constitue un moyen de pression depuis le début de l’offensive.

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« L’arme gazière » contre l’Europe, une source de profit

« Il faut comprendre quelle partie joue Vladimir Poutine , décrypte Thierry Bros, professeur et spécialiste en énergie et climat à Sciences Po Paris. Elle repose sur le principe d’incertitude : lui sait ce qu’il va faire demain et nous ne savons pas, donc nous sommes toujours en réaction. » Forte de sa part de marché de 40 % des importations gazières de l’Union européenne, la Russie dispose d’un important levier d’action. Avant la guerre, Nord Stream transportait environ 73 GWh par heure, approvisionnant ainsi plusieurs pays européens dont l’Allemagne. Mi-juin, le volume avait déjà été réduit à 40 % de la normale et en juillet, un arrêt de 10 jours avait eu lieu. « Vladimir Poutine joue avec nos nerfs, ajoute-t-il. Son objectif est d’utiliser l’arme gazière le plus longtemps possible ».

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Car le leader du Kremlin dispose là d’une manne économique importante. Mardi, le prix du gaz naturel a atteint les 2 000 dollars pour mille mètres cubes, soit 12 % en une journée. « Poutine cherche à maximiser le profits qu’il peut faire avec le gaz dans une forme de ‘chant du cygne’. Un dernier recours pour accumuler un trésor de guerre », explique Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politiques énergétiques, au sein de l’institut Jacques-Delors. Selon un rapport du Centre for research on energy and clean Air (CREA), la Russie a engrangé 93 milliards d’euros de revenus grâce à l’exploitation des énergies fossiles durant les cent premiers jours de la guerre en Ukraine. Majoritairement grâce à une exportation vers l’Union européenne. Sur le total, le gaz, acheminé par gazoduc, représente 24 milliards d’euros de revenus.

« Il n’a pas de raison de couper le gaz russe : cela continue à faire entrer des sources de financement et cela permet également, selon ce qui est invoqué – un problème sur les turbines par exemple – de maintenir artificiellement les prix hauts en faisant que le marché s’affole d’une certaine manière, abonde le chercheur de l’institut Jacques-Delors. Cela permet surtout de garder une pression politique sur les Européens et de les mettre face à leur contradiction et leur incapacité de décider d’un embargo qui requerrait l’unanimité. »

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L’Union européenne à l’épreuve

Pour faire face à ces réductions des flux et aux difficultés de stockage du gaz de ces derniers mois, les 27 pays membres de l’Union européenne se sont accordés mardi sur un plan qui prévoit que chaque Etats fasse « tout son possible » pour réduire d’ici mars 2023 sa consommation de gaz d’au moins 15 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années sur la même période. La mesure présentée comme « volontaire » pourrait devenir contraignante dans l’hypothèse « d’un risque substantiel d’une grave pénurie de gaz » ou « d’une demande exceptionnellement élevée », précise le communiqué. Des dérogations automatiques sont prévues pour les Etats membres insulaires – Malte, l’Irlande et Chypre – et des exemptions peuvent être demandés par certains pays tels que les pays Balte, l’Espagne ou encore le Portugal. La Hongrie a par ailleurs vivement dénoncé le texte.

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« C’est sur ça que joue Vladimir Poutine, commente Thierry Bros. Il connaît la réalité du système énergétique alors que Bruxelles a eu beaucoup de mal à s’y mettre : il a 5 mois d’avance. Si on avait tous fait collectivement 15 % d’économie depuis le lendemain du début de la guerre, nos stocks seraient pleins à 80 % aujourd’hui ». « L’unité a été réaffirmée, c’est le plus important vis-à-vis du rapport de force qui est en train d’être mis en place par Poutine, tempère Phuc-Vinh Nguyen. La réponse a été rapide : au niveau européen, une texte qui est présenté par la Commission et validé dans la semaine par les ministres européens c’est vraiment très rare. »

Pour les Etats européens, il y a urgence à se préparer pour l’hiver. D’autant que le remplissage de stockage de gaz, élément central de la stratégie des Vingt-Sept qui permet de couvrir 25 à 30 % de la consommation hivernal, a pris du retard. « Là avec réduction Nord Stream, on ne sera pas dans les clous de l’objectif affiché par la Commission européenne d’avoir 80 % de remplissage du stockage de gaz en octobre », explique Phuc-Vinh. Pour se prémunir des difficultés, certains pays ont commencé tôt. La France affiche déjà un remplissage de 75 %. « Au niveau européen, on est à 66 %, ce qui permet de couvrir un mois et demi de consommation hivernale », précise le chercheur.

Etats impliqués et acceptabilité citoyenne

Pour les deux experts, les objectifs de réduction affichés par la Commission européenne sont pertinents, l’enjeu étant de savoir désormais si les Etats vont jouer le jeu. « Même si toutes les dérogations venaient à être appliquées, on aurait quand même une réduction de l’ordre de 10 % de la consommation de gaz, soit 30 milliards de mètres cubes ce qui est assez significatif, rassure Phuc-Vinh Nguyen. Ça envoie un message à Vladimir Poutine : nous Européens nous sommes prêts à faire les efforts, à réduire en partie notre consommation, à nous infliger des sacrifices pour faire en sorte de se départir du gaz russe. Et ça, en tant que message politique, c’est très fort. »

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Autre facteur qui risque d’être déterminant dans ce bras de fer énergétique : l’acceptation des populations européennes face aux demandes de sobriété et à la hausse des prix. « Poutine sait quelque chose sur l’énergie que nous n’avons pas voulu intégrer : la transition énergétique sera très compliquée et sans gaz c’est impossible. Nos modèles étaient faux car on se basait sur ‘la sobriété énergétique heureuse’, c’est-à-dire sur le fait que, demain, nous consommerons moins, avance Thierry Bros. Or dans l’Histoire de l’Europe, les seules années où on a eu moins de demande énergétique avec croissance économique, se chiffrent de l’ordre de six ans sur 3 000 ans. » Et d’ajouter : « Il nous met face à la réalité : ‘Vous nous avez expliqué que vous nous vouliez plus investir dans le gaz ou le pétrole, que vous alliez consommer moins, faites-le.’ Il faut aussi regarder ça comme un exercice pratique bienvenue : nous verrons si notre modèle de transition énergétique est soutenable et acceptable pour les populations ».

Des sanctions plus efficaces côté russe ?

A contrario, les différents paquets de sanctions votés par l’Union européenne depuis le début du conflit semblent moins affecter l’économie russe. Vladimir Poutine a-t-il plus de poids que les 27 réunis grâce aux énergies fossiles ? « Les sanctions ne sont pas la panacée : c’est le remède le moins mauvais et elles doivent, en plus, faire davantage mal aux sanctionnés qu’à celui qui sanctionne », rappelle Thierry Bros. Et d’ajouter : « Les sanctions de Poutine sont plus visibles. Dans un monde démocratique qui a besoin de jouer le consensus ou d’obtenir la majorité, ses sanctions portent plus. Il a une boîte à outils plus large que celle que nous avons ».

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Poutine a une boîte à outils plus large que celle que nous avons

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Selon les dernières prévisions économiques du FMI, l’économie de la Russie s’est montrée résiliente malgré le blocus. L’institution prévoit une croissance de -6 %, au lieu de -8,5 % initialement. Le marché intérieur, les banques russes, l’emploi semblent avoir résisté, à l’instar des exportations. Mais pour Phuc-Vinh Nguyen, tout est une question de délai : « Il est très difficile de mesurer l’impact immédiat des sanctions sur l’économie russe, sur le taux d’emploi… Il y a un problème de véracité des données, tout d’abord. Et les sanction européennes sont sur un autre temps, du moyen terme ou du long terme ».

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