antisémitismeComment un aéroport du Daguestan, en Russie, a-t-il pu être pris d’assaut ?

Guerre Hamas – Israël : Comment un aéroport a-t-il pu être pris d’assaut dans la région russe du Daguestan ?

antisémitismeDimanche, des dizaines d’hommes ont envahi l’aéroport de ce territoire russe du Caucase, cherchant les passagers d’un avion en provenance de Tel-Aviv
Des membres des forces de l'ordre russes patrouillent devant l'aéroport de Makhachkala, au Daguestan, le 30 octobre 2023.
Des membres des forces de l'ordre russes patrouillent devant l'aéroport de Makhachkala, au Daguestan, le 30 octobre 2023. - STRINGER / AFP / AFP
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Une foule d’hommes a envahi dimanche soir le tarmac et le terminal de l’aéroport de Makhatchkala, capitale de la république russe du Daguestan.
  • La police russe a affirmé lundi avoir interpellé 60 personnes suspectées d’avoir participé à cet assaut lors duquel neuf policiers ont été blessés, dont deux hospitalisés.
  • Durant plusieurs heures, ces hommes se sont mis à la recherche de passagers d’un vol en provenance d’Israël. Les autorités locales ont condamné ces événements.

Des dizaines d’hommes ont déferlé dans les couloirs de l’aéroport de Makhatchkala, jusqu’à envahir le tarmac, au Daguestan, ce dimanche. La foule furibonde cherchait frénétiquement les passagers d’un vol en provenance d’Israël, allant jusqu’à mettre en place des contrôles d’identité illégaux. Après plusieurs heures de chaos et de terreur, la police russe a fini par reprendre le contrôle de l’aéroport.

Les forces de l’ordre, dont neuf membres ont été blessés dans les affrontements avec les assaillants, ont arrêté 60 personnes. Mais comment un tel déferlement de haine antisémite est-il possible en Russie ? Quelle est la position du Daguestan sur la guerre entre le Hamas et Israël ? 20 Minutes fait le point pour vous grâce à l’éclairage de Cyrille Bret, chercheur à l’Institut de recherche européen Jacques-Delors et spécialiste de la Russie.

Comment expliquer qu’un tel évènement soit possible en Russie ?

Alors que les images du chaos qui s’est emparé de l’aéroport de Makhatchkala font le tour du monde, le Kremlin, embarrassé, a immédiatement assuré qu’il s’agissait d’une « ingérence extérieure ». Mais si Moscou en profite pour pointer du doigt l’Ukraine, contre laquelle elle mène une guerre d’agression depuis plus d’un an et demi, la région du Daguestan est pourtant connue pour son instabilité. « Structurellement, tout le Caucase du nord a un problème de sécurité intérieure, c’est pour cette raison qu’énormément de troupes armées sont déployées dans la région par la Russie. Ça fait quarante ans que la région est instable », rappelle Cyrille Bret, chercheur à l’Institut de recherche européen Jacques-Delors.

« Ça fait quarante ans que la région est instable » »

Pour mieux comprendre ce qui se joue, il faut se pencher sur le statut du Daguestan. « Il s’agit d’une entité fédérée de la Fédération de Russie, comme la Tchétchénie », détaille le spécialiste de la Russie, qui ajoute que le Daguestan est l’une des républiques à l’intérieur du pays qui « jouit d’une des plus grandes autonomies ». Située à près de 2.000 kilomètres de Moscou, la région est frontalière de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan. Le territoire fait donc partie « des grandes périphéries de la Fédération de Russie et le pouvoir de Moscou s’y exerce de manière bien moins forte et directe que dans des régions russes proches et anciennement orthodoxes », note Cyrille Bret.

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Le Daguestan est-il une région hostile à Israël ?

« On ne peut pas dire que le Daguestan soit hostile à Israël », alerte d’emblée Cyrille Bret qui ajoute qu’il n’y a pas « d’antisémitisme systémique » dans la région. Les autorités du territoire ont d’ailleurs dénoncé cette violente intrusion. Tous les habitants « comprennent les souffrances de ceux qui sont victimes des actions de personnes […] injustes et prient pour la paix en Palestine. Mais ce qui s’est passé dans notre aéroport est scandaleux », a lancé le dirigeant de la république du Caucase russe, Sergueï Melikov, promettant des poursuites judiciaires.

Le Daguestan fait toutefois face à des mouvements islamistes. Plus qu’un signe de la position de la région, l’assaut de l’aéroport de Makhatchkala, qui a rouvert ce lundi, est donc le miroir de foyers radicalisés qui fleurissent au Daguestan. Le territoire, qui est ultra majoritairement musulman, a fourni à l’organisation terroriste Daech son plus gros contingent russophone en 2016, d’après le journal l’Opinion. « Le Daguestan a vu récemment l’implantation de beaucoup de groupes islamistes terroristes qui, d’ordinaire, ciblent plutôt les autorités russes afin de contester la domination russe sur cette république, un peu à l’image de ce qui se passe en Tchétchénie », contextualise Cyrille Bret. Leur colère pourrait toutefois se tourner aujourd’hui vers d’autres cibles, à la faveur de la guerre qui oppose le Hamas et Israël.

Quelle est la position de la Russie ?

« L’URSS puis la Russie ont toujours eu une politique extrêmement nuancée au Moyen-Orient. Moscou entretient de bonnes relations historiques avec Israël tout en ayant des politiques d’alliances extrêmement dynamiques avec plusieurs pays arabes de la région », explique Cyrille Bret. Si « un sixième de la population d’Israël est originaire de l’ancienne URSS », des centaines de ressortissants russes vivent aussi dans la bande de Gaza. Moscou maintient donc une position balancée sur la guerre qui oppose Israël et le Hamas, une organisation qu’elle n’a jamais considérée comme terroriste et avec laquelle elle continue d’entretenir des relations.

NOTRE DOSSIER SUR LA GUERRE HAMAS - ISRAËL

Dimanche, après l’assaut de l’aéroport, Jérusalem a appelé le Kremlin à « protéger » les citoyens israéliens et « tous les juifs ». Moscou s’est empressé d’affirmer que Kiev avait joué un « rôle clef et direct » dans cet assaut, ajoutant que cet incident avait été « conduit de l’extérieur ». Pourtant, la Russie a installé ces dernières décennies de nombreuses forces de sécurité au Daguestan dans l’espoir de stabiliser la zone. A cet effet, le Kremlin s’efforce aussi depuis de nombreuses années à désislamiser le territoire. Vladimir Poutine a d’ailleurs pris pour habitude de mettre des orthodoxes à la tête de cette république majoritairement musulmane, à l’instar d’Abdoulaïevitch Vassiliev en 2018, puis Sergueï Melikov depuis 2020. Lundi soir, Vladimir Poutine s’est montré plus ferme dans sa réaction. « Je souhaite attirer l’attention des responsables de toutes les régions, des chefs des forces de l’ordre et des services spéciaux sur la nécessité de prendre des mesures fermes, opportunes et claires pour protéger l’ordre constitutionnel russe », a-t-il déclaré lors d’une réunion gouvernementale consacrée à l’incident du Daguestan.

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