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A 2 contre 25, la Hongrie et la Pologne choisissent l’option nucléaire en bloquant le prochain budget et le plan de relance européens

Budapest et Varsovie, via leurs dirigeants autoritaires, veulent l’abandon d’un nouveau mécanisme liant le versement des fonds au respect de l’Etat de droit. Ce qui déclenche une crise au sein des Vingt-Sept à la veille de leur sommet sur le Covid-19

Le Polonais Mateusz Morawiecki et le Hongrois Viktor Orban lors d’un sommet du groupe de Visegrad en septembre dernier à Lublin. — © Czarek Sokolowski/AP/Keystone
Le Polonais Mateusz Morawiecki et le Hongrois Viktor Orban lors d’un sommet du groupe de Visegrad en septembre dernier à Lublin. — © Czarek Sokolowski/AP/Keystone

L’Union européenne est engagée dans un bras de fer sur le budget et le plan de relance européens avec Budapest et Varsovie, qui «ont mis leurs menaces à exécution», déplore le site Eurotopics.net. Tous deux veulent l’abandon d’un nouveau mécanisme liant le versement des fonds au respect de l’Etat de droit, qui prévoit de «punir» les Etats membres violant l’indépendance de la justice ou le respect des droits fondamentaux.

Lire aussi: La Hongrie et la Pologne mettent leur veto au plan de relance de l’UE

«Certains pensaient qu’ils bluffaient, mais patatras», lit-on sur le site Heidi.news, qui cite Le Monde. Alors, quelles sont les marges de manœuvre de Bruxelles pour régler la crise dans cette situation jusqu’ici inédite, où deux pays, à eux seuls, prennent en otage un paquet financier dont l’adoption nécessite l’unanimité des 27?

Dans le collimateur

De facto, la Pologne et la Hongrie, sous la férule de leurs dirigeants populistes de droite – respectivement Mateusz Morawiecki, escorté de son vice-président et homme fort du Conseil, Jarosław Kaczynski, et Viktor Orban – sont régulièrement dans le collimateur de Bruxelles et de la justice européenne pour des réformes accusées de saper les valeurs démocratiques, disent Les Echos, cités par Touteleurope.eu. Dans le contexte géopolitique, rappelons que ces deux pays constituent les leaders du groupe dit de Visegrad, qui comprend également la République tchèque et la Slovaquie, et qui tente toujours d’accroître ses intérêts dans la sphère supranationale.

Dans le détail, Varsovie, dont les atteintes à la justice sont régulièrement épinglées, voit dans cette initiative une entorse inacceptable à sa souveraineté et un conflit «purement idéologique». Elle désapprouve ce «diktat qui conduit à une situation où les Etats les plus forts peuvent imposer leur hégémonie», dénonce le président polonais, Andrzej Duda. L’enjeu est un peu différent à Budapest, où le premier ministre a dans sa ligne de mire les élections du printemps 2022 et veut s’assurer auparavant qu’aucune sanction ne pourra être prise d’ici là: il cherche à rendre le mécanisme inopérant et réclame une possibilité d’appel en cas de sanction, fustigeant le «chantage» d’une UE «pro-immigration».

Seulement voilà. Pologne et Hongrie ont toutes deux beaucoup à perdre en bloquant un budget dont ils sont les premiers bénéficiaires nets, à l’heure où ils subissent de plein fouet les conséquences économiques de la pandémie. Les fonds européens représentaient en 2019 environ 3,3% du produit national brut pour la Pologne et 4,48% pour la Hongrie.

Si les principaux gagnants du plan de relance sont l’Italie et l’Espagne, les deux Etats de l’Est sont bien dotés: Varsovie devrait bénéficier de 63,8 milliards d’euros en subventions et crédits potentiels, et Budapest de 16,7 milliards. Les seules subventions du plan de relance pourraient accélérer la croissance du PIB polonais de 1 à 2 points de pourcentage par an à compter de 2022, selon Rafal Benecki, chef des analystes de l’ING Bank Slaski.

Dans ce contexte de crise plutôt aiguë, l’Allemagne, qui assure la présidence semestrielle de l’Union, a la lourde tâche de chercher un compromis pour résoudre cette équation où, «une fois de plus, il apparaît clairement» que l’UE «est un édifice fragile où prédominent les intérêts nationaux», selon le quotidien de gauche Neues Deutschland, dans un article repéré par Courrier international.

«De toute évidence, poursuit ce journal, il était naïf de croire que Varsovie et Budapest accepteraient une telle mesure et enterreraient leurs projets autocratiques du jour au lendemain. Voilà de nombreuses années qu’ils se plaisent à jouer les victimes de la politique de Bruxelles. […] Par leur comportement, la Hongrie et la Pologne accroissent les fissures qui étaient déjà nettement visibles dans l’Union. Le danger d’éclatement de l’UE ne cesse de grandir. D’autant que, pour tous les populistes de droite, le Brexit ne constitue pas un exemple négatif, mais l’illustration d’une campagne réussie»…

… Celle-ci, qui visait avant tout les migrants en Europe, […] offrait aux citoyens des réponses simples à des questions complexes. Il est effrayant de voir qu’on peut réunir derrière soi la majorité de la population avec ces méthodes

Chaud-bouillant, ce sujet doit s’inviter ce jeudi au sommet par visioconférence officiellement consacré à la pandémie de Covid-19. Pour Berlin, il paraît déjà très improbable de revenir sur le mécanisme de conditionnalité contesté, qui a déjà fait l’objet d’âpres négociations: plusieurs autres Etats membres s’y refusent aussi, de même que les eurodéputés.

Mais jusqu’ici, que faisait «l’Union européenne pour éviter l’effondrement de l’Etat de droit dans deux de ses pays membres? Rien, ou si peu», répondait récemment Sébastien Platon, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux, dans une tribune publiée par Le Monde. Mais, par exemple, «en suspendant les subventions qu’elle versait jusqu’à présent à la Pologne et à la Hongrie, la Norvège», en dehors de l’UE comme la Suisse, a donné «une leçon en matière d’Etat de droit à l’Union européenne», estimait-il.

Pour Eulalia Rubio, chercheuse à l’Institut Jacques Delors, une hypothèse maintenant sur la table serait que «les Européens essaient de satisfaire les deux Etats contestataires avec une déclaration politique non contraignante dans laquelle ils s’engageraient à n’utiliser ce mécanisme d’Etat de droit qu’en cas de violation grave, par exemple». Une autre option serait de mettre Budapest et Varsovie au pied du mur en adoptant tout de suite ce mécanisme sur l’Etat de droit qui ne nécessite en fait qu’une majorité qualifiée des 27 au Conseil européen.

«Cela demanderait un peu de courage politique et de faire le pari que la menace n’est pas crédible, dit-elle, car l’idée de faire du plan de relance un accord intergouvernemental excluant la Hongrie et la Pologne paraît techniquement difficile.» Mais le risque est le suivant: si le cadre financier pluriannuel (CFP), d’un montant de 1074 milliards d’euros pour la période 2021-2027, n’est pas adopté avant la fin de l’année, l’UE fonctionnera avec un budget d’urgence, qui sera reconduit chaque mois sur la base d’un douzième du budget 2020.

Le jeu du chantage

Le Standaard dénonce donc: «Les gouvernements de deux Etats membres de l’UE font chanter les 25 autres pour faire avancer leur agenda politique et continuer de vider l’Etat de droit de sa sève.» Pour lui, «il est pratiquement impensable que l’on trouve un compromis officieux en catimini. […] Il ne s’agit pas d’un désaccord entre une poignée de dirigeants européens dont on pourrait venir à bout par le dialogue. Le Parlement européen […] ne se laissera pas avoir à l’usure. […] En se décidant pour cette option nucléaire, la Hongrie et la Pologne s’isolent au sein de l’Union.» Ils jouent le chantage, explique Pierre Haski au micro de France Inter:

Or, «bouter [deux pays] hors de l’UE constitue une hypothèse cauchemardesque et impraticable sur les plans juridique et politique», poursuit le quotidien belge. Même si seuls certains programmes, tels que les aides agricoles, se poursuivront en cas de différend persistant. Il n’y aurait plus d’argent frais pour Erasmus et la recherche, ni pour les aides aux régions les plus défavorisées, et menace sur le «virage vert» européen, rappelle Ouest-France. Le sort de ce budget pluriannuel est associé au plan de relance (d’un montant de 750 milliards d’euros dont 390 prévus sous forme de subventions), lui aussi suspendu à un accord unanime des Vingt-Sept.

En Pologne, la Gazeta Wyborcza craint désormais que la Pologne puisse être exclue du plan d’aide: «Il est sérieusement envisageable que le reste de l’UE commence à modifier» son plan de relance, «de sorte qu’il n’englobe pas les deux Etats réfractaires». D’autant que la Hongrie brille par son arrogance, avec un journal pro-Orban comme Magyar Nemzet qui n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, «l’Etat de droit n’est qu’un prétexte avancé pour imposer des valeurs libérales à des pays comme la Hongrie». Et «n’importe qui peut accourir avec une idée saugrenue qui enfreindrait selon lui les critères de l’Etat de droit…»

… Il faut s’attendre à ce que le lobby homosexuel, mais aussi ceux qui estiment que l’immigration illégale est souhaitable et soutenable soient appelés à la barre

Conséquence de tout cela, «nous risquons de nous retrouver avec un budget très réduit […], uniquement des dépenses obligatoires et aucun engagement sur les fonds structurels, la politique étrangère, etc.», confie un diplomate européen à Politico.eu, même si ce dernier affirme que «ce n’est pas la fin de l’histoire». «Les discussions sont appelées à se poursuivre dans les prochains jours. Les pays «frugaux» (Autriche, Danemark, Finlande, Suède) et le Parlement européen […] seront appelés dans les semaines qui viennent à tempérer leurs ardeurs.» Et, explique Le Point:

A la fin, la France et l’Allemagne vont passer des coups de fil dans tous les sens pour trouver un chemin étroit vers la sortie

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