Calendrier européen chargé pour le Président de la République ce week-end. Alors qu’il fête les quatre ans de son arrivée au pouvoir, les rendez-vous s’enchaînent. Sommet social ces 7 et 8 mai, à Porto au Portugal, où il entend relancer l’Europe sociale et défendre "des salaires minimums adéquats"; aujourd’hui encore, visioconférence des 27 avec le Premier ministre indien, Modi; puis le 9 mai, pour la journée de l’Europe, lancement de la "Conférence sur l’avenir de l’Europe", l’ambitieux projet qui doit esquisser, à l’issue de "consultations citoyennes", le futur de notre continent. Le chef de l’Etat en donnera le coup d’envoi demain dimanche, en début d’après midi, au Parlement européen de Strasbourg.
Même si l’hémicycle sera quasi-vide, pour cause de pandémie, même si son initiative menace de virer à l’usine à gaz, tant les guerres picrocholines bruxelloises en ont sapé les débuts, Emmanuel Macron mettra sans doute toute son énergie pour la défendre. Lui, dont la personnalité, les idées et l’activisme à Bruxelles ont valu à Paris des succès, dont le plan de relance européen, et aussi des controverses, polémiques et critiques, mais toujours, beaucoup d’attention. Car depuis quatre ans, la méthode de "Macron l’Européen" est restée la même.
Une vision et un souffle
Seul candidat à la présidentielle ouvertement proeuropéen en 2017, alors que traditionnellement l’Europe est un repoussoir électoral, le président de la République n’a cessé de marteler son attachement à l’Union, et sa volonté de mener plus loin la politique commune. Avec un leitmotiv: "Refonder l’Europe". Rien qu’en 2017, il prononçait trois discours. D’abord, en janvier à Berlin, à l’université de Humboldt, où il militait pour une "Europe plus ambitieuse". Puis, deux en septembre, après son élection. Le premier, le fameux discours programmatique – et fleuve!- de la Sorbonne, où il affirmait "je n’ai pas de ligne rouge, je n’ai que des horizons". Le second, quelques jours plus tard, à la Pnyx à Athènes. Avec des accents lyriques appuyés, il appelait à "restaurer la souveraineté, la démocratie et la confiance".
Une vision constante, au cours des quatre années passées, qu’il a adaptée aux circonstances, touchant de plus en plus au concret (travail détaché, défense européenne, budget de la zone euro, taxe sur les transactions financières…). Jusqu’à arriver, l’an dernier, en pleine crise du Covid, à l’impensable jusque-là : convaincre Berlin d’une mutualisation des dettes pour le plan de relance européen. "Une révolution", estime Enrico Letta, ex-Premier ministre italien et président de l’Institut Jacques Delors.
Une mise en majesté savamment étudiée
Chacune des séquences internationales du Président a été soigneusement préparée, avec mise en majesté sophistiquée. Comme lors du discours en Grèce, délivré face au Parthénon, au coucher du soleil, à l’heure des journaux télévisés du soir. Ou comme, lors son premier Conseil européen, en juin 2017, où une conférence de presse commune a été organisée avec Angela Merkel. On avait alors le sentiment que ce jeune président, qui avait terrassé l’hydre de l’extrême droite, marchait sur l’eau, tant la macron-mania battait son plein.
Avec le temps, la presse internationale, allemande notamment, a fini par se lasser et railler le côté "Grande Nation" (en français dans le texte) du locataire de l’Elysée. Il y a quelques jours, le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung ironisait sur "le faible de Macron pour Napoléon". Les commémorations historiques ont, malgré tout, continué d’être parfaitement orchestrées pour la photo. Ce fut le cas, en novembre 2018 à Rethondes, lorsque lui et Angela Merkel se sont pris la main dans la réplique du wagon où fut signée la paix, 100 ans plus tôt.
Sur les questions européennes, la communication élyséenne, corsetée, millimétrée, avec éléments de langage au cordeau, s’est toujours appuyée sur des pros des relations publiques, ainsi que sur des super-experts de la technique. Parmi eux, le conseiller de la première heure, Clément Beaune, un des meilleurs connaisseurs des institutions. Longtemps chargé des relations avec Bruxelles depuis l’Elysée, il est désormais installé au quai d’Orsay, comme secrétaire d’Etat. Coauteur du discours de la Sorbonne, le trentenaire n’est jamais à court de tweets vengeurs pour amplifier le message présidentiel. Le Royaume-Uni, englué dans le Brexit et la mauvaise foi, en a été pour ses frais.
Un art de la provocation assumé
Car le style Macron, c’est aussi un art de la provocation assumé. Directrice du groupe "Sécurité internationale" au sein du grand think tank allemand SWP (Institut pour la politique internationale et de sécurité), Claudia Major évoque un "allié engagé, mais difficile, qui n’hésite pas à faire cavalier seul". La chercheuse développe: "la France a pris une série de décisions de politique étrangère et de sécurité qui ont surpris et même irrité Berlin. Parfois, l’Allemagne n’a pas été informée, parfois aucun compromis n’a pu être trouvé, parce que les actions de la France allaient à l’encontre de la politique allemande, et d’autres fois, enfin, Paris semble avoir délibérément choisi une voie perturbatrice." Claudia Major évoque les dossiers de la Libye et de la politique de défense commune en 2017, de l’union monétaire, de la Russie et de l’Otan (la fameuse phrase sur "la mort cérébrale") en 2019, de la Turquie à l’été 2020. Un haut diplomate autrichien n’hésite pas à parler "d’arrogance. Macron a appelé à la solidarité l’an dernier pour ouvrir nos porte-monnaie, mais quand il s’agit de répartir équitablement les vaccins, la solidarité a disparu". A l’automne dernier, le NZZ, grand quotidien de Zurich, titrait "Macron, seul contre tous".
Un sens du compromis, si nécessaire
Proche du chef de l’Etat et patron de la délégation française Renew (macronienne) au Parlement européen, Stéphane Séjourné justifie: "Le président de la République n’a pas une approche diplomatique des questions européennes, mais une approche politique. Il n’hésite pas à faire des propositions qui dérangent quitte à jeter un pavé dans la mare, et à trouver ensuite le compromis. Les commentateurs ont parlé de "bombinettes", de "ballons d’essai", en réalité il tente simplement de faire avancer ses idées, c’est sa méthode." Quitte à ce qu’Angela Merkel assure le service après-vente, comme elle l’a fait l’été dernier avec les pays dits radins...
D’ici peu, Emmanuel Macron perdra son acolyte. La chancelière quitte le pouvoir dans cinq mois, et la future coalition au pouvoir à Berlin devrait faire la place aux Verts, partenaires sans doute plus difficiles pour Paris. Une nouvelle ère s’ouvrira pour le Français, riche rendez-vous et défis. Avec, en janvier 2022, le début de la présidence tournante de la France à Bruxelles. Et quelques semaines plus tard, en mai, les élections présidentielles.
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