Approvisionnements : l'essor du « friendshoring » ou la mondialisation entre amis
Directrice de l'Institut Jacques-Delors, Sylvie Matelly décrypte la réorganisation des chaînes d'approvisionnement mondiales. Une réponse aux dépendances économiques, mais aussi au réchauffement climatique.
Par Julie Le Bolzer
Sous l'impulsion de la pandémie de Covid-19, puis de la guerre en Ukraine, ou encore du durcissement du ton entre la Chine et les Etats-Unis, les réflexions sur une reconfiguration des échanges mondiaux sont sorties de l'ombre. De quoi voir poindre dans les chaînes d'approvisionnement un nouveau champ lexical fait de « démondialisation », de « régionalisation » et de « friendshoring » (ou « mondialisation entre amis »).
« Si la mondialisation a eu des avantages, notamment en permettant à certaines économies, en l'occurrence celles des pays émergents, de se développer grâce au commerce international, elle a aussi eu des effets pervers en créant des 'surdépendances' inquiétantes, dont les Etats tentent aujourd'hui de se protéger », résume Sylvie Matelly, la directrice de l'Institut Jacques-Delors.
Par ailleurs créatrice pédagogique du diplôme « Géoéconomie, gestion des risques et responsabilité de l'entreprise » d'Iris Sup' - l'école de géopolitique appliquée de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) -, Sylvie Matelly évoque notamment un « monde de blocs autour desquels pourraient se réorganiser les flux économiques ». Pour preuve, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen , prônait récemment une « relocalisation chez les pays amis », n'impliquant pas uniquement les alliés de longue date, comme l'Europe, mais aussi des économies émergentes, tel le Vietnam.
Sécuriser ses approvisionnements
Au niveau microéconomique, le « friendshoring » n'est pas nouveau et il n'est pas uniquement motivé par la géopolitique. « Notamment parce que les parties prenantes des entreprises - clients, actionnaires mais aussi pouvoirs publics - sont de plus en plus exigeantes en matière de respect de l'environnement, des droits de l'homme, d'éthique, de lutte contre la corruption, etc. », rappelle Sylvie Matelly, en évoquant notamment l'industrie du luxe, secteur où il n'est plus question de dépendre d'un fournisseur sulfureux ou de matières premières issues de filières criminelles, tels les diamants et autres pierres précieuses.
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« Nombre d'acteurs se voient ainsi dans l'obligation de sécuriser leurs approvisionnements via des intermédiaires plus respectables, ce qui fait écho à leur devoir de vigilance, aujourd'hui obligation légale », souligne-t-elle, sans, néanmoins, occulter les « lacunes du 'friendshoring' ».
« S'il est possible d'imaginer, via de gros investissements, réduire la dépendance à la Chine pour certaines productions en relocalisant les usines en Europe, il est, en revanche, plus compliqué, voire impossible, de devenir autosuffisants en matières premières qui ne sont pas disponibles dans nos propres sols », remarque-t-elle. Et d'ajouter que de nouvelles dépendances sont en train de poindre, y compris en lien avec les enjeux de développement durable.
La Chine visionnaire
« Dans le domaine des métaux, la Chine a été visionnaire : en plus de sécuriser son approvisionnement auprès de mines en Asie, en Afrique et même en Amérique du Sud, 'l'usine du monde' est devenue le seul pays à maîtriser l'ensemble de la chaîne de transformation des métaux nécessaires à la transition écologique », note Sylvie Matelly.
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Par ailleurs, le friendshoring ne doit pas consister en « un repli sur soi conduisant à ne plus aider les pays du Sud, car un monde à deux vitesses est un monde plus incertain et plus risqué », dit-elle. « Plutôt que de sécuriser les chaînes d'approvisionnement en quittant les zones à risques, il est nécessaire d'accompagner, y compris par des investissements, tous ceux qui souhaitent promouvoir un développement durable et responsable », conclut-elle.
Julie Le Bolzer ( )