Baisse de la consommation de gaz : Paris demande à son tour à Bruxelles de revoir sa copie
Les ministres européens de l'Energie se réunissent ce mardi à Bruxelles pour discuter de la proposition de la Commission sur la réduction de 15 % de la consommation de gaz sous huit mois. Le texte suscite une large opposition, y compris de la France, qui refuse un tel objectif uniforme.
Par Fabienne Schmitt
Les ministres européens de l'Energie se réunissent ce mardi à Bruxelles pour discuter de la proposition de la Commission européenne, à peine née et déjà controversée, sur la réduction de 15 % de la consommation de gaz en huit mois dans chaque pays membre.
Une réunion sous haute tension, la proposition de la Commission ayant suscité une levée de boucliers de nombreux pays membres, qui s'insurgent contre l'uniformité de cet objectif de 15 %. Ils le jugent aussi trop élevé et rejettent le caractère obligatoire des mesures en cas de force majeure.
Concrètement, la Commission demande 45 milliards de mètres cubes de gaz en moins. Soit plus que la consommation totale annuelle de gaz en France (40 milliards). Les pays du Sud - qui sont les moins dépendants du gaz russe - comme le Portugal, l'Espagne, Chypre ou la Grèce, mais aussi la Pologne et la Hongrie, ont ainsi déjà dit « non » à ce plan de sobriété européen.
L'énergie a toujours été la chasse gardée des Etats membres qui se montrent souvent réticents quand la Commission y touche ; même s'il s'agit sans doute aussi d'une posture de négociation.
Un régime à la carte
Bruxelles, qui a besoin d'une majorité qualifiée pour faire adopter sa proposition - ce qui nécessite l'accord de quinze pays représentant 65 % de la population du bloc -, a commencé à modifier le texte. Car, à l'heure actuelle, certains n'excluent pas un rejet, ce qui plomberait l'image de solidarité européenne et serait extrêmement préoccupant pour l'hiver des Européens, le plan ayant vocation à prévenir un arrêt total de gaz russe.
« Nous n'avons pas de plan B en cas d'échec, nous misons tout sur le plan A », prévient un haut diplomate. La pression monte : lundi soir, le géant gazier russe Gazprom a annoncé une nouvelle réduction drastique de livraison de gaz russe à l'Europe via Nord Stream...
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Si certains pays comme la Hongrie sont considérés comme inflexibles, d'autres pourraient revoir leur position s'ils obtiennent les dérogations qu'ils réclament à cor et à cri. Certains demandent que les objectifs obligatoires de la Commission tiennent compte de la dépendance de chaque Etat vis-à-vis du gaz russe ainsi que de leurs volumes de gaz en stock. L'idée serait ainsi de réduire l'objectif des Etats membres qui peuvent fournir leur éventuel surplus de gaz à d'autres voisins européens.
Des gazoducs trop petits entre la France et l'Allemagne
La France est sur cette ligne et réclame une réduction de son taux. « Plutôt qu'un objectif uniforme de réduction de la consommation de gaz qui aurait un impact économique très important, nous souhaitons une réduction coordonnée de la consommation de gaz qui tienne compte des situations particulières de chaque Etat membre et notamment de leur capacité d'exportation de gaz », explique-t-on au cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, la ministre française de la Transition énergétique.
La France se veut « solidaire » avec les autres pays européens, ajoute-t-on, parce que « cela fait partie de nos valeurs, mais aussi parce que c'est dans notre intérêt, l'économie allemande - et des pays d'Europe de l'Est - étant étroitement imbriquée avec la nôtre ». Mais réduire la consommation nationale n'a d'intérêt pour l'Hexagone que si cela permet d'exporter plus de gaz chez ses voisins. Or les capacités d'approvisionnement entre la France et l'Allemagne « sont limitées », souligne l'entourage de la ministre, la taille des gazoducs existants empêchant la France d'exporter 15 % de son gaz vers l'Allemagne.
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Si la Commission est prête à accorder des dérogations, elle n'a cependant pas l'intention de renoncer à son objectif principal. « Nous voulons nous en tenir à 15 % de réduction, plaide un haut diplomate, qui précise que la nouvelle mouture du texte impose désormais les mesures « pour un an », et non plus deux ans, avec, cependant, « la possibilité d'une prolongation ».
« Les Etats membres veulent un régime à la carte, commente Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politique énergétique à l'Institut Jacques Delors. La solidarité européenne est en jeu. Cela va être très difficile de mettre tout le monde à flot. »
Des industries exemptées
Certaines industries, comme la chimie ou la sidérurgie, considérées comme essentielles, pourraient aussi être exemptées, une question qui avait déjà largement fait débat lors de la rédaction de la proposition de règlement de la Commission. Autre dérogation : les pays qui ne sont pas reliés aux réseaux gaziers de l'UE (les îles) seraient exemptés.
Le déclenchement d'une alerte qui rendrait les mesures contraignantes pour les Etats membres est aussi très critiqué. Certains pays considèrent que la Commission a été au-delà de ses pouvoirs en voulant décider elle-même des mesures obligatoires en cas de grave pénurie. Dans la nouvelle version du texte, ce pouvoir revient clairement aux Etats membres. La Commission avait bien prévu que cette alerte puisse aussi être déclenchée si trois Etats membres en faisaient la demande. Mais là encore, dans le texte revu et corrigé, ce chiffre pourrait passer à cinq.
Une lourde tâche attend les ministres de l'Energie ce mardi tant les demandes d'exemptions sont nombreuses. Or, il est primordial de parvenir rapidement à un accord avant la trêve estivale, sans trop dénaturer le texte. Tout temps de latence profitant à la Russie...
Fabienne Schmitt