TRIBUNE

Biden à la Maison Blanche, une occasion unique pour les Européens

L'ancien président du conseil italien Enrico Letta salue la victoire de Joe Biden comme un nouvel élan dont l'Europe doit s'emparer.
par Enrico Letta, ancien président du conseil italien, président de l’Institut Jacques-Delors et Doyen PSIA à Sciences-Po
publié le 7 novembre 2020 à 20h10

Tribune. Ce n'était pas une avalanche. Trump n'a pas été balayé. L'Amérique est divisée en deux. Mais les Etats-Unis changent de direction et ont un nouveau Président et franchement, cela est la nouvelle la plus importante.

Les élections susciteront certainement beaucoup de débats, mais je voudrais suggérer ici que pour nous les Européens, plutôt que de passer du temps à suivre les convulsions du trumpisme, il s’agit maintenant fondamentalement de ne pas perdre l’élan. Et de ne rater les prochains mois.

Biden à la Maison Blanche représente une occasion unique pour nous les Européens. Il ne faut surtout pas suivre la fausse piste de ceux qui expliquent que Trump et Biden sont deux faces de la même médaille. Et que rien de substantiel ne va changer. Tel n’est pas l’enjeu. Il suffit de voir la rupture qui s’est produite entre les politiques de Trump et celles d’Obama sur le changement climatique ou sur le multilatéralisme. Ce n’était définitivement pas la même chose et cela ne le sera pas non plus entre Biden et Trump.

L’occasion est en effet unique. Pour au moins trois raisons.

Premièrement, le début de la présidence Biden jouit d’une légitimité qui est assez unique. Ses soutiens en Europe étaient multiples et variés. Il est vraiment considéré comme le sauveur. Il met ensemble gaullistes et communistes, populaires, libéraux et socialistes. Cela constitue vraiment quelque chose d’unique.

Et puis, il y a une deuxième raison qui conduit à une accélération immédiate. Biden va avoir seulement un mandat de quatre ans comme président des Etats-Unis. Il a déjà annoncé qu’il ne se représentera pas. Et cela aussi est singulier dans l’histoire américaine. Par contre, les présidences aux Etats-Unis sont toujours divisées en deux parties où la première consiste à faire des choses et la seconde à penser à l’élection.

Pour Biden, il faudra considérer que les deux premières années font tout. Et pour l’Europe aussi, les deux premières années feront tout.

C’est pourquoi l’élan semble si important. C’est pourquoi nous avons besoin que l’Europe s’en empare plutôt que de goûter le soulagement d’avoir évité le danger d’un nouveau mandat de Trump pendant quatre ans.

Enfin, le troisième argument est que Biden et les Européens se retrouvent à devoir reprendre le fil d’un multilatéralisme qui avait déjà les deux pieds dans l’abîme. Il a glissé dans la non-pertinence ces dernières années, à cause des blessures que Trump et le Brexit lui ont infligées.

Tout d’un coup, nous, les Européens, nous nous débarrassons des deux écueils qui avaient failli nous emporter en 2016. Deux chocs très durs portés à l’idée d’intégration, à l’idée d’Europe, au multilatéralisme, à la coopération et à la solidarité. Selon certains, l’UE était en train de mourir. Et Trump et le Brexit en étaient les causes. L’Union européenne a vraiment subi un risque mortel. Elle a été questionnée précisément sur son ADN, qui est celui de l’intégration et de l’union qui fait la force. Les phénomènes Trump et du Brexit ont été porteurs d’un concept opposé ; à savoir la prédominance de la nation au niveau multilatéral. La désintégration a été élevée au rang de valeur absolue contre l’intégration. Et Trump et le Brexit sont devenus une véritable valeur et un projet politique influençant de nombreux mouvements populistes de droite, qui ont émergé au tournant des élections de 2019 au Parlement européen.

Je pense qu’avec Biden, le risque d’un Brexit catastrophique disparaîtra également. En fait, il était clair que Boris Johnson attendait les élections américaines et espérait la confirmation de Trump pour pousser son pouvoir de chantage sur l’UE au maximum. Il va maintenant être obligé d’en venir à des considérations plus douces. Et d’ailleurs, le Brexit, il y a plusieurs mois déjà, a également fini par perdre son pouvoir funeste sur l’Europe. Cela est arrivé grâce à l’approbation de «Next Generation EU» : on a alors compris que le Brexit peut même devenir un grand avantage. Sans les Britanniques, l’UE a élaboré une réponse à la crise qui est plus rapide et plus ambitieuse sur le plan social qu’elle ne l’était en 2008-2012. On a démontré que l’Europe est plus unie à 27 que ce qu’elle était à 28. Et surtout, on vient de prouver qu’elle est plus capable de faire face aux grands problèmes économiques et sociaux de ses territoires. Un grand pas en avant rendu possible par la fin des veto britanniques.

Le coucher de soleil sur Trump et le Brexit survient au même moment. Il faut, dès lors, un grand renouveau de l’Europe. Il s’agit d’une opportunité unique. C’est à nous de nous en saisir.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus