Le Brexit avait cessé depuis longtemps de faire la une des quotidiens britanniques. Jusqu’au jeudi 10 décembre, où le dîner à Bruxelles entre le premier ministre Boris Johnson et la présidente de la Commission européenne Ursula Van der Leyen, mercredi soir, occupait la une de presque toute la presse. Ce dîner de poisson - clin d’œil à la pêche, point de blocage -, s’est conclu sur l’annonce d’un nouveau délai jusqu’à dimanche 13 décembre après-midi, pour négocier. Le suspense va donc durer encore.

Les positions de Londres et de l’UE demeurent « très éloignées » pour parvenir à un accord post-Brexit, a estimé Ursula von der Leyen, à l’issue du dîner. Même son de cloche côté britannique, où selon une source proche de Boris Johnson, les deux dirigeants ont eu une « discussion franche » et constaté qu’un fossé « très large » subsiste entre Londres et Bruxelles.

Ce délai a-t-il encore du sens après tant de « stop-and-go » dans ce dossier qui finit par lasser tout le monde ? « On ne comprend pas pourquoi on nous présente toujours les mêmes thèmes de blocage, la pêche, les conditions de concurrence équitable et la gouvernance, mais aucun compromis », s’interroge Christian Lequesne, spécialiste de l’UE à Sciences-Po. Selon lui, Boris Johnson a décidé de jouer la « théâtralisation jusqu’au bout » pour céder, peut-être, au tout dernier moment.

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Pour Elvire Fabry, chercheuse senior à l’Institut Jacques Delors, un accord est encore possible, « si l’on interprète les concessions obtenues cette semaine sur la frontière irlandaise comme un signe d’engagement politique de Boris Johnson », alors que beaucoup en doutaient ». Il est vrai que le premier ministre avait donné in extremis deux signaux positifs. Mardi, il annonçait un accord permettant le retrait des dispositions controversées d’un projet de loi britannique sur l’Irlande du nord revenant sur le traité de Brexit signé en 2019.

De même le retrait de l’article du projet de loi concernant la fiscalité en Irlande du Nord. « Les Britanniques ont lâché du lest, tout en sachant très bien que ces dispositions étaient déloyales », modère Christian Lequesne, spécialiste de l’UE à Sciences-Po.

Fragilisé par sa gestion de la pandémie de Covid

Il reste trois jours à Boris Johnson pour « exercer sa décision souveraine, fait remarquer Elvire Fabry,une décision qui dépendra beaucoup de son agenda intérieur et, surtout, des tensions internes au parti conservateur, où les Brexiters durs restent opposés à un accord ».

Par ailleurs, le locataire du 10 Downing Street se sait fragilisé par sa gestion de la pandémie de Covid-19. Il sait aussi qu’une sortie sans accord serait pénalisante pour l’économie du Royaume-Uni. « Il lui faut faire le calcul entre ce qui est de l’intérêt économique de la Grande Bretagne et de son intérêt propre, analyse Christian Lequesne. À moyen terme, une sortie sans accord sera économiquement dommageable pour la Grande Bretagne. »

Les mauvaises nouvelles s’empilent déjà. Le constructeur automobile japonais Honda a annoncé une pause, mercredi 9 décembre, dans la production de son usine britannique de Swindon, faute d’un nombre suffisant de pièces détachées en raison de l’encombrement de plusieurs ports au Royaume-Uni. De grandes enseignes de vêtement ont déclaré qu’elles mettaient la clé sous la porte et, plus grave pour le porte-monnaie des Britanniques, la chaîne de supermarchés Tesco, présente dans tout le pays, a annoncé que sans accord, les prix des produits de première nécessité augmenteraient.

« Uneperception asymétrique »

« Boris Johnson est pris entre deux injonctions, populaire et politique. Il devra trouver une manière de s’en sortir en contentant ces deux extrémités », explique Olivier de France, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). La situation est plus compliquée pour lui que pour ses partenaires européens. « Dans ces négociations, poursuit-il, la perception est asymétrique entre une Union européenne qui donne le sentiment de la constance et de suivre les règles, et l’autre partie qui n’accepte pas d’être dans la position de moindre puissance par rapport au marché unique. »

Boris Johnson est celui qui a vendu à ses compatriotes un Royaume-Uni politiquement souverain et une grande nation commerçante, face au marché unique européen. « C’est à lui, premier ministre, de faire un choix cornélien, aux conséquences historiques pour le Royaume-Uni », conclut Olivier de France.