«Level playing field » : depuis des mois, le public français qui suit le feuilleton interminable des négociations sur le Brexit – la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne qui prendra effet au 31 décembre – entend cette expression anglaise sans toujours bien comprendre ce qui se joue derrière.

La formule se traduit par « règles du jeu équitables », un terme de politique commerciale qui désigne l’ensemble des obligations et des normes convenues entre partenaires pour assurer une concurrence ouverte et non faussée. Un corpus censé empêcher qu’une entreprise d’un pays obtienne un avantage indu par rapport à celles des autres pays auxquelles s’imposeraient des contraintes plus fortes, en matière environnementale par exemple.

C’est sur cette base que s’est construit, progressivement, le marché unique qui garantit au sein de l’Union les quatre « libertés fondamentales » : la libre circulation entre États membres des biens, des services, des capitaux et des personnes. « Ce point est au cœur du différend entre Londres et Bruxelles, et il explique largement le blocage des négociations », souligne Elvire Fabry, politologue de l’Institut Jacques-Delors.

Dès l’annonce de la victoire du « leave » – le « oui » au Brexit – lors du référendum britannique du 24 juin 2016, l’Union européenne a posé une condition forte : après le divorce, tous les bénéfices que le Royaume-Uni voudra conserver au sein de l’Union iront de pair avec des obligations non négociables. Restait à savoir à quel niveau d’accès au marché unique le Royaume-Uni prétenderait.

La déclaration politique annexée à l’accord de retrait signé trois ans et demi plus tard, le 17 octobre 2019, engage les deux parties sur un principe : la préservation de normes élevées dans les domaines de la concurrence, du social et de l’environnement.

Le problème est que cet accord est compris très différemment à Londres et à Bruxelles. Pour le gouvernement du premier ministre conservateur Boris Johnson, le Brexit doit permettre au Royaume-Uni de s’affranchir de certaines règles européennes au nom de la « reprise en main » de sa souveraineté, le « take back control ».

Pour la Commission européenne il s’agit, au contraire, d’un engagement de Londres à ne pas ouvrir la boîte de Pandore de la déréglementation. Le mandat de négociation qui lui a été confié vise même à obtenir du Royaume-Uni qu’il s’engage à ne pas « régresser » sur le niveau actuel des normes et à adopter un mécanisme qui permette de régler un litige.

« Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour parvenir à un accord, mais nous ne sommes pas prêts à remettre en cause l’intégrité du marché unique », rappelait encore récemment Ursula von der Leyen, sa présidente.

Cette intransigeance s’explique aisément. « Le marché unique est ce cadre qui donne aux entreprises européennes accès à un vaste espace sans droits de douane, sans paperasses aux frontières et même sans risque de change à l’intérieur de la zone euro. Tout en offrant à 500 millions de clients potentiels la garantie d’acheter des produits qui respectent les mêmes normes sanitaires ou environnementales », souligne Sylvie Goulard, ancienne députée européenne et actuelle sous-gouverneure de la Banque de France.

« Le marché unique est ce bien commun qui assure la prospérité de l’Union, insiste Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert-Schuman. C’est parce que l’Europe s’est dotée d’une réglementation harmonisée, dont on moque parfois le côté envahissant et tatillon, qu’elle est devenue la plus grande