Bruxelles invite le nucléaire dans la réforme du marché de l’électricité

La ministre française de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher (C) visite une ancienne centrale thermique au fioul reconvertie en centrale photovoltaïque, à Ambes près de Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, le 9 février 2023. [EPA-EFE/CAROLINE BLUMBERG]

La Commission européenne a dévoilé mardi (14 mars) sa proposition de refonte du marché européen de l’électricité saluée par la France pour la possibilité offerte au développement et au renouvellement de son parc nucléaire.

L’UE dispose d’un marché intégré de l’électricité depuis plus de 20 ans, dont le premier objectif était d’interconnecter les réseaux européens dans un cadre qui puisse répondre à la demande de l’ensemble des territoires au jour le jour.

Suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, la baisse des approvisionnements en gaz russe — accentuée par la moindre disponibilité du nucléaire français — est venue perturber le fonctionnement de ce marché. Dès lors, les prix de l’électricité se sont envolés.  

Après des mois de gestation, la Commission européenne a dévoilé mardi une proposition de réforme du marché européen de l’électricité. Les États membres attendaient de l’exécutif européen qu’il propose un cadre de stabilisation des prix de gros de l’électricité et plus de visibilité dans le développement d’actifs énergétiques décarbonés.

Satisfaite de la proposition, la ministre française de l’Énergie, Agnès Pannier-Runacher, a déclaré que « tout en préservant les avantages de l’intégration des échanges d’énergie avec nos voisins, elle [la Commission] apporte des outils concrets pour permettre aux consommateurs de bénéficier des coûts des centrales qui les alimentent ».

Parmi ces outils, les « two-way » contrats pour différence (CfD) entre une partie publique et les développeurs d’énergies décarbonées.

Ce type de contrat consiste à instaurer un « couloir de prix » de l’électricité, avec un plancher et un plafond, à l’intérieur duquel les producteurs d’électricité achètent et vendent sur le marché sans intervention de la puissance publique.

En revanche, lorsque le prix de l’électricité sur le marché de gros est en dessous du prix de plancher défini par le CfD, la puissance publique rémunère les producteurs. À l’inverse, lorsque le prix de l’électricité est supérieur au plafond défini par le CfD, les producteurs rémunèrent la puissance publique.

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Pour le nouveau nucléaire

Pour la France, l’un des enjeux clés de la réforme était d’intégrer sa puissance nucléaire dans ces mécanismes de contrat à long terme. 

En précisant que les CfD s’appliquent pour les « nouveaux investissements financés par des fonds publics dans […] la production d’électricité à faible teneur en carbone […] », la Commission n’exclut pas le nucléaire de sa réforme. 

Ces contrats deviendront même obligatoires dès lors qu’il y a intervention des pouvoirs public sur le financement, selon un haut fonctionnaire de la Commission, chargé d’expliquer la réforme aux journalistes.

« En ce qui concerne le soutien public aux investissements – qu’il s’agisse d’investissements renouvelables ou nucléaires – nous exigeons des États membres qu’ils utilisent des contrats de différence à double sens, » explique-t-il.

Ainsi, les nouveaux réacteurs pourraient être financés, ou tout du moins soutenus, par des contrats pour différence. De là à dire si, en pratique, ils le seront, « c’est un sujet distinct qui sera traité en temps utile », a précisé le cabinet de la ministre de l’Énergie en amont de la présentation de la proposition de la Commission. 

Pour le nucléaire existant

L’exécutif européen ajoute que les contrats pour différence s’appliqueront également obligatoirement aux projets visant « à étendre les installations de production d’électricité existantes ou à prolonger leur durée de vie ».

La Commission prescrit ainsi de contracter des CfD pour financer la maintenance et le prolongement de la durée de vie des réacteurs existants.

« S’il y a un soutien au nucléaire, il y aura une obligation de le faire sous la forme d’un contrat de différence », affirme le haut fonctionnaire précité.

Une mesure qui tombe à point nommée, alors que les parlementaires français débattent actuellement d’un projet de loi pour rallonger le temps de fonctionnement des réacteurs existants de 40 à 60 ans.

Par conséquent, « les CfD avec l’État en garantie sont vraiment gagnant-gagnant pour le nucléaire » confirme à EURACTIV France Nicolas Goldberg, responsable du pôle énergie du Think tank progressiste Terra Nova.

Si le prix du marché est en-dessous de plancher du CfD, l’État rémunérera EDF seul nucléariste français — et si le prix du marché est au-dessus du plafond, l’État français devra, comme tous les autres États membres « diriger les recettes excédentaires vers les consommateurs », précise la Commission.

Mais dans la mesure où EDF appartient à l’État, ce dernier pourrait donc, en principe, réinvestir l’argent dans EDF et son nucléaire. En l’absence de précisions des autorités européennes sur ce sujet, cette question sera probablemet l’un des enjeux des négociations qui s’ouvrent à Bruxelles pour faire adopter la réforme.

Selon Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politique énergétique auprès du think tank européen Institut Jacques Delors, « l’obligation à rendre aux consommateurs sera plutôt encadrée vers les ménages modestes et les petites entreprises, notamment parce que diriger les bénéfices vers de nouvelles capacités n’aura pas d’effets immédiats », avance-t-il pour EURACTIV France.

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La fin de l’ARENH ?

En outre, la France dispose déjà d’un système de vente d’électricité à un prix réglementé par le biais de l’Accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH).

Avec ce dispositif, les fournisseurs d’électricité autres qu’EDF peuvent acheter une partie de leur électricité d’EDF à un prix inférieur à celui du marché de gros. 

Or, si les CfD ont vocation à englober le nucléaire existant, « l’ARENH n’a plus d’avenir », confirme M. Goldberg à EURACTIV France.

Pour le cabinet de la ministre de l’Énergie, il est toutefois « beaucoup trop tôt » pour enterrer définitivement le dispositif.

En revanche, « force est de constater que placer sous CfD un actif existant est une manière de faire bénéficier les consommateurs finaux des coûts complets de ce type d’actifs », juge le cabinet, en sous-entendant que cela ramène le prix de vente de l’électricité au plus près du coût de production, tel que l’ARENH contribuait à le faire.

Calendrier serré

Dorénavant, il s’agit de « faire aboutir cette réforme le plus tôt possible », a avancé Agnès Pannier-Runacher. 

Pour la France, le calendrier est serré, puisqu’elle souhaite la ratification de la réforme avant le 1er janvier 2024.

Un souhait partagé par Bruxelles. « sur le calendrier, nous espérons certainement que les co-législateurs se mettront d’accord rapidement, idéalement avant l’hiver prochain, » affirme un haut fonctionnaire de la Commission.

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[Edité par Frédéric Simon]

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