Les Pays-Bas ont choisi leur camp, et ce n'est pas celui de la Chine. Le gouvernement néerlandais a récemment révoqué une licence de son géant ASML d'expédition vers Pékin de ses machines de photolithographie permettant de produire des puces de pointe, véritables cerveaux de nos appareils électroniques. Entrée en vigueur le 1er janvier, cette décision a cependant été prise il y a plusieurs mois dans un contexte d'alliance entre les Pays-Bas, les Etats-Unis et le Japon.
Il s'agit d'ailleurs de la deuxième restriction imposée à ASML puisque ce dernier avait déjà interdiction de vendre ses machines de production par rayonnement ultraviolet extrême -dont il est le seul à maîtriser leur conception - à Pékin. Avec ces mesures, les Etats-Unis souhaitent « limiter le développement technologique de la Chine dans un contexte de hausse des tensions géopolitiques », explique à La Tribune, Estelle Prin, fondatrice de l'Observatoire européen des semi-conducteurs.
Une chose est sûre, cette nouvelle annonce n'a pas apaisé les tensions. Mardi, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Wang Wenbin, a fustigé ce qu'il a qualifié de « comportement d'intimidation » de Washington. Une telle action « viole gravement les règles du commerce international », a-t-il dénoncé avant d'avertir que les États-Unis « subiraient inévitablement les conséquences de leurs propres actions ». Mais, alors même que « cet accord a été signé de manière très opaque entre les Etats-Unis et les Pays-Bas, sans consultation de l'Europe », rappelle à La Tribune Elvire Fabry, spécialiste de la Chine à l'institut Jacques Delors, les 27 pourraient bien faire les frais de contre-mesures de l'ex-Empire du Milieu.
Des contre-mesures chinoises contre ASML ?
Les craintes portent en premier lieu sur ASML qui se trouve au beau milieu de la bataille sino-américaine. En effet, la Chine continentale est le troisième marché du fabricant européen après Taiwan et la Corée du Sud, et est même devenue son premier marché au troisième trimestre, représentant 46% de son chiffre d'affaires. Les exportations néerlandaises vers la Chine n'en finissent d'ailleurs plus de grimper. En octobre, elles ont encore augmenté de 29,5%, selon des chiffres officiels cités par le South China Morning Post. « Le gouvernement chinois investit d'énormes montants pour développer l'industrie des semi-conducteurs, notamment en créant de nouvelles usines ce qui explique la forte demande de machines par Pékin », précise la fondatrice de l'Observatoire européen des semi-conducteurs. Un boycott sanction de la Chine sur les machines du fabricant pourraient donc fortement impacter l'activité de ce dernier.
Pour autant, le groupe assure que ces restrictions à l'exportation ne devraient pas avoir d'« impact matériel » sur ses perspectives financières.
Car, en réalité, « l'année dernière, la Chine avait prévu cette interdiction et a donc décidé de faire des stocks et d'acheter un grand nombre de machines, ce qui explique sa forte part dans les revenus d'ASML en 2023 », pointe Estelle Prin.
Une surexposition conjoncturelle donc, qui devrait naturellement s'estomper en 2024 en diminuant la dépendance du géant à Pékin.
Un risque sur l'industrie européenne des semi-conducteurs
Un cran plus loin, Pékin pourrait décider de sanctionner tout ou partie des producteurs européens de puces, comme il l'a déjà été fait avec l'américain Micron. En mai 2023, l'organisme chargé de la cybersécurité avait appelé les entreprises chinoises travaillant avec des données sensibles à arrêter d'acheter ses puces. Une interdiction qui s'est cantonnée aux opérateurs d'infrastructures dites « sensibles » (soit à toutes les grandes entreprises chinoises) mais qui pourrait s'étendre à toutes les sociétés. Au final, Micron risque de perdre gros étant donné qu'il réalise 10,8% de son chiffre d'affaires en Chine continentale et 5% a Hongkong. Consciente que l'exposition des fabricants européens au marché chinois est encore bien plus importante (29% du chiffre d'affaires d'Infineon et 23% de celui de STMicroelectronics), Pékin pourrait décider de réitérer sa sanction contre ces derniers.
Une décision qui a cependant peu de chances de voir le jour selon l'Observatoire européen des semi-conducteurs. « Les fonderies chinoises ont un tel besoin de puces qu'il n'est pas certain qu'elle puisse se passer de ASML à court terme », affirme sa fondatrice en précisant que le pays importe 90% des semi-conducteurs dont il a besoin. Preuve de la dépendance de Pékin aux fabricants européens, en juin, le Français Stmicroelectronics a signé un accord avec son homologue chinois Sanan Optoelectronics pour créer une nouvelle co-entreprise de fabrication de composants à Chongqing en Chine, visant un démarrage de la production au quatrième trimestre 2025.
Les métaux stratégiques au cœur des sanctions chinoises
Une autre menace semble en revanche bien plus plausible : un embargo chinois sur ses métaux stratégiques.
Cet été, Pékin a déjà conditionné à l'aval du gouvernement central l'exportation de deux métaux stratégiques (gallium et germanium), essentiels pour la production de batteries, panneaux solaires et autres appareils électroniques. Plus inquiétant encore, fin décembre, Pékin a annoncé qu'il allait stopper l'exportation d'une série de technologies liées à l'extraction des terres rares, un ensemble de 17 éléments utilisés dans des produits technologiques de pointe.
« Il s'agit clairement d'une contre-mesure chinoise dans un secteur stratégique pour la transition verte européenne », analyse Elvire Fabry.
En cas d'arrêt des exportation des métaux stratégiques chinois, l'Europe se retrouverait avec une sacrée épine dans le pied puisque l'ex-Empire du milieu raffine 90% de la production mondiale de graphite, et produit 80% du gallium et du germanium et plus de 60% des terres rares.
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Si l'Australie et les Etats-Unis pourraient se substituer à la Chine puisqu'ils produisent respectivement 8% et 15% des terres rares au niveau mondial, selon l'Institut des études géologiques des États-Unis (USGS), la dépendance européenne à ses alliés pourrait lui nuire. « En cas d'embargo de la Chine sur les terres rares, il y aura, bien sûr, quelques frictions, car les mines américaines et australiennes, ou autres devront augmenter leurs capacités de production ce qui prendra un peu de temps. Les Européens seront probablement servis après les pays producteurs et pourraient, en conséquence, manquer de ces métaux à court terme », expliquait François Candelon, directeur monde du BCG Henderson Institute, expert de la Chine, à La Tribune, cet été. De quoi inquiéter la Commission européenne qui avait annoncé en juillet, préparer une analyse sur la dépendance de l'industrie européenne à la Chine.
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