La tour Eiffel revêt, chaque soir de janvier, un bleu captivant parsemé d’étoiles. Parfaite illustration de l’Europe dont rêve la France. Visible, concrète comme le fer, reconnaissable urbi et orbi. Une Europe dans laquelle les citoyens européens s’identifient et que le monde respecte. La tour Eiffel en bleu nous parle aussi, sans se l’avouer, d’une Europe qui nous appartient, d’une Europe à la française.

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La présidence du Conseil de l’Union européenne offre l’occasion pour la France de se réapproprier un projet européen dont nos compatriotes ont perdu le fil. Élargie trop vite, trop anglophone, trop éloignée et bruxelloise cette Europe, se plaignent-ils. La présidence française veut leur donner à voir le contraire. Pas seulement à Paris. Ainsi, cette semaine, l’Europe retrouve Strasbourg. Emmanuel Macron y était le 17 janvier pour l’hommage à David Sassoli, le défunt président du Parlement européen. Il y retourne ce 19 janvier pour s’exprimer dans l’hémicycle strasbourgeois. En français, évidemment. Et avec des priorités européennes qui sonnent particulièrement doux aux oreilles françaises, de gauche comme de droite : salaire minimum, taxe carbone aux frontières, révision de Schengen, régulation des Gafam, coopération avec l’Afrique.

Le fantasme d’une France en plus grand ?

L’Europe apparaîtrait soudain comme la France en plus grand ? Une présidence française, même le temps seul d’un semestre, même réduite au Conseil de l’Union – et non à l’Union entière –, caresse inévitablement ce fantasme. Mais la présidence ne nous fabrique pas un village Potemkine de l’UE. L’appartenance, l’un des mots d’ordre de la devise de cette présidence, signifie d’abord en sens inverse que la France appartient à l’Europe, qu’elle y est engagée. Assurer à tour de rôle la présidence est un service rendu aux Vingt-Sept. C’est prendre sa part au bon fonctionnement de l’Union, composer avec ses différentes forces politiques pour accoucher d’un compromis. Faire avancer l’adoption de nouvelles législations européennes (directives, règlements), dont nous devrons nous-mêmes ensuite respecter la primauté.

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Il ne faudrait pas pour autant opposer, d’un côté, une Europe qu’on façonne autant que possible à notre image par le levier de la présidence française et, de l’autre, une Europe qu’on sert, subit et finance. La mise en exergue de l’appartenance vise à dépasser cette fausse opposition. Intérêts français et européens ne sont pas séparés, ni contradictoires mais profondément imbriqués. Des valeurs communes comme des pages d’histoire sont étroitement partagées. À l’image des pièces d’euros, où national et européen forment les deux faces d’une même monnaie, l’Union et ses États membres sont absolument inséparables sans se confondre.

Cessons donc de considérer le droit européen à appliquer comme un droit étranger alors que nous participons depuis l’origine et chaque jour à son élaboration. Cessons de voir le drapeau européen comme un étendard étranger. Y compris lorsqu’il flotte au-dessus de la tombe du soldat inconnu de la Première Guerre mondiale contre les massacres de laquelle la construction européenne s’est érigée. Dans ses vœux du 31 décembre, le président Macron a précédé le traditionnel conclusif « vive la République, vive la France » d’un « vive notre Europe » pour bien les relier.

L’Europe et notre patrimoine historique

Mais au juste, Europe ou Union européenne ? Confusément les deux. L’appartenance souligne aussi le lien inextricable entre ces termes. L’extrême droite se plaît à les opposer : d’un côté, la bonne vieille Europe blanche et chrétienne au passé mystifié ; de l’autre, une Union factice en proie aux flux migratoires et aux théories les plus irrationnelles (type cancel culture), où il deviendrait même défendu de souhaiter joyeux Noël. La présidence française s’emploie à ne pas laisser les contempteurs du projet européen le caricaturer de la sorte. C’est aussi pourquoi elle illumine de bleu notre patrimoine historique. L’UE ne désigne pas qu’un échelon utile pour agir efficacement, évidé de toute autre considération tel un tuyau sans contenu.

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Le marché intérieur, la libre circulation, la monnaie unique et autres réalisations propres à l’Union ne constituent pas des fins en soi mais procurent autant de moyens pour rapprocher réellement les Européens entre eux. L’Union est foncièrement européenne par les droits fondamentaux dont sa Charte se veut garante, par l’abolition de la peine de mort qui est une condition pour y entrer, par l’économie sociale de marché visée par ses traités qui n’a pas son pareil dans le monde. Ou encore par sa protection des données personnelles imitée ailleurs. Son organisation comme ses législations portent les traces de la civilisation à laquelle elle appartient.

Et de ses évolutions. Il est inévitable que l’UE serve aussi de caisse de résonance aux débats qui traversent nos sociétés. Qu’elle en reflète les tendances, dans la limite des compétences dévolues à l’Union. Les députés européens comme les ministres nationaux siégeant au Conseil de l’UE sont les vecteurs des préférences collectives à l’œuvre dans leurs pays. L’Union se mettrait hors-sol si elle s’y montrait sourde.

Appartenance à un destin commun

Mais l’appartenance européenne n’est pas une affiliation politique, ni l’adhésion à une idéologie particulière. On peut être socialiste, conservateur ou libéral dans l’Union et agir de concert. Il s’agit de dépasser l’entrechoc des courants qui remuent nos sociétés pour identifier ce qui les menace. L’Union rassemble les Européens de tous horizons pour répondre aux pressants défis – climatique, sanitaire, industriel mais aussi démocratique – secouant notre continent. En se faisant chantre de l’appartenance à un destin commun, une appartenance trop souvent négligée, tue ou aseptisée, la présidence française ne cherche rien d’autre qu’à galvaniser les volontés. Une Europe soucieuse de s’affirmer comme puissance responsable dans le monde requiert une prise de conscience de ce qui fonde son unité. De dévoiler celle dont est porteuse son bleu étoilé.

Avant de s’engager au sein de l’Institut Jacques Delors, S. Maillard a été journaliste à La Croix.