Les chiffres sont tombés mardi 6 avril, publiés par l’OCDE. En février, l’inflation en Allemagne a été de 0,6%, la hausse la plus importante en Europe. De quoi alimenter une fois encore la peur panique de nos voisins, quand une hausse des prix est anticipée. Le traumatisme est toujours vivant. L’Histoire se rappelle au pays le plus peuplé d’Europe.
"L’ombre prégnante de l’hyperinflation". Mi 2020, SpringerLink, la plateforme internationale d’échanges universitaires, publiait une étude de Michael Hüther, le patron du grand institut économique de Cologne (IW), qui pointait "la préférence des Allemands pour la stabilité". Il précisait : "Plus encore que tout autre pays occidental, l’Allemagne a connu une hyperinflation galopante à deux reprises au cours du 20e siècle, qui avait rendu la vie privée presque ingérable. Le manque fondamental de fiabilité demeure aujourd’hui encore une menace dans la mémoire collective des Allemands."
Baromètre des 10 grandes peurs
Quelques semaines plus tard, en pleine deuxième vague de la pandémie, paraissait le baromètre sur les 10 grandes peurs de nos voisins, réalisé comme chaque année par l’assureur R+V. L’angoisse face à la maladie n’arrivait qu’au 9e rang, alors que dominaient les inquiétudes pour le porte-monnaie : peur face à l’augmentation du coût de la vie (2e rang), à l’endettement européen (3e), à la dégradation de l’économie (4e). En première place arrivait la frayeur face… aux errements de Donald Trump sur la scène internationale. "L’imprévisibilité est pour les Allemands une grande source de stress", décrypte Andreas Ströhle, psychiatre spécialiste des phobies à la clinique universitaire la Charité à Berlin.
Ainsi chaque fois que plane la crainte d’une valse des étiquettes, les voisins grimpent au rideau. Le dernier qui a mis le feu aux poudres, c’est le très respecté Jens Weidmann, numéro un de la banque centrale, la Bundesbank. Dans un entretien au quotidien régional Augsburger Allgemeine, le grand argentier observait : "Le taux d’inflation ne restera pas aussi bas que l’an passé". Et il prophétisait qu’"il devrait se situer au-dessus de 3% à la fin de l’année". Il n’en fallait pas moins pour qu’experts et médias se déchaînent. Tout au long du mois de mars, alors que les statistiques confirmaient une hausse de l’inflation de 1,3% en janvier et un taux d’épargne des Allemands à un niveau record de 16,3%, les journaux rivalisaient de gros titres alarmistes. "Une forte hausse des prix attendue" (l’hebdomadaire économique Wirtschaftswoche), "Inflation au plus haut depuis un an" (Manager Magazin), "L’Allemagne tête de pont pour l’inflation en Europe" (le quotidien Frankfurter Allgemeine), "l’inflation grimpe" (le journal télévisé du soir, Tagesschau), "l’inflation face à une hausse massive" (l’hebdomadaire Focus). Le site d’information sur l’agroalimentaire Fleischwirtschaft.de pointait qu’en un an, le sucre avait augmenté de 4,4%, le chocolat de 4,9% et le lait entier de 5,7%. Et les gazettes financières de souligner que "les prix augmentent plus vite qu’aux Etats-Unis"…., se demandant si "les épargnants allemands vont être menacés"… Le tabloïd Bild titrait "une guerre se prépare contre nos économies".
"Une peur quasi-idéologique"
"Cette peur est une position quasi-idéologique partagée par toute la population et entretenue par les institutions", indique Andreas Eisl, chercheur à l’institut Jacques Delors et spécialiste des politiques macroéconomiques et budgétaires. "L’Allemagne est le seul pays à avoir une telle relation à l’inflation, explique l’économiste autrichien, soulignant que son propre pays "est inquiet de la stabilité monétaire, il n’est pas pour autant obsédé par l’évolution des prix". L’expert pointe par ailleurs une tendance de la part des élites outre-Rhin à écrire l’Histoire. "De récents travaux universitaires montrent que beaucoup ont présenté l’hyperinflation des années 1920 conduisant à la grande dépression, puis fatalement à l’arrivée d’Hitler. Or il s’agissait de deux phénomènes distincts."
Pour l’heure, la hausse récente n’affole pas (encore) le monde du business. Le patron du BDI (l’association patronale des industries) n’a fait aucune déclaration. Au grand institut de Munich, Ifo, où la dernière grande étude sur la hausse des prix date de 2017 ("l’inflation revient ! de plus en plus d’entrerpises veulent augmenter leurs prix"), l’atmosphère n’est pas à la panique non plus. Son patron Clemens Fuest confie à Challenges: "Si le taux d'inflation en Allemagne devrait être nettement plus élevé en 2021 qu'en 2020, c’est qu’il y a des raisons objectives: hausse des prix du pétrole et fin de la réduction temporaire de la TVA. De plus, les dépenses de consommation pourraient augmenter grâce aux économies faites par les ménages, si les vaccinations parviennent à vaincre la pandémie d'ici l'automne. À plus long terme, je ne m'attends pas à des taux d'inflation plus élevés. Cela ne se produirait que si la zone euro devait financer une hausse permanente des dépenses publiques par des achats d'obligations d'État. Mais, je suppose que la BCE mettra fin à ces achats lorsque la situation économique se normalisera." Bref, l’économiste est en ligne avec Jens Weidmann qui à la fin de sa fameuse interview de février disait aussi –beaucoup ne l’ont pas vu- que l’envol du taux d’inflation "ne sera que passager". De quoi rassurer nos voisins, tellement inquiets de l’instabilité.