Le ministère de l’Économie et des Finances, à Paris, le 20 décembre 2020.

Les auteurs d'une note publiée le 14 décembre 2021 estiment qu'il est crucial de changer de mode de gouvernance autour de la question climatique au niveau de l'exécutif.

MANUEL COHEN / MANUEL COHEN VIA AFP

Le sujet peine à s'inviter pleinement dans le débat présidentiel. A l'échelon politique, la transition énergétique est encore trop souvent cantonnée aux oppositions stériles entre défenseurs des énergies renouvelables et du nucléaire. Une problématique certes majeure, mais qui ne recouvre pas l'ensemble des chantiers pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Dans une note publiée ce mardi, quatre think tanks appellent les candidats à sortir du bois sur la question de la transition. Et notamment comment ils comptent investir pour atteindre les objectifs que la France s'est fixés au milieu du siècle. "Tout projet politique est légitime et peut être proposé aux Français, mais chacun doit être concrétisé dans une programmation pluriannuelle des investissements publics pour atteindre la neutralité", explique Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre Energie de l'Institut Jacques Delors et coauteur de la note avec l'Iddri, l'OFCE et l'I4CE.

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Après un rapport du GIEC alarmiste l'été dernier, une COP26 jugée décevante à bien des égards, le monde semble avoir franchi une nouvelle cote d'alerte s'agissant du réchauffement climatique. Pour les différents rédacteurs de la note, la France doit prendre sa part dans les combats actuels, notamment en musclant les investissements vers la transition bas carbone. Actuellement, le cumul des fonds apportés par le public et le privé pour le climat se chiffre à 2% du PIB, en hausse de 0,6 point sur la dernière décennie. Mais l'I4CE a fait ses calculs : "La France investit 45 milliards par an dans le climat. Il faudrait 14 milliards par an de plus entre 2021 et 2023 et autour de 25 milliards par an entre 2024 et 2028 pour mettre en oeuvre la stratégie nationale bas carbone", juge Benoît Léguet, membre du Haut Conseil pour le climat et directeur général d'I4CE. Autant dire près de 70 milliards d'euros annuels d'ici à la fin de la décennie, répartis entre le public et le privé.

Muscler les investissements

Le rôle de l'État sera crucial dans cette impulsion. "Dès lors que la puissance publique enverra les bons signaux, avec une stratégie claire, les capitaux privés suivront", insiste Benoit Léguet. Reste que là encore, il y a du pain sur la planche. "L'Etat français se veut visionnaire sur les stratégies de long terme et le choix des technologies bas-carbone, mais il est complètement myope dans le pilotage budgétaire de son budget climat, tacle Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre Energie de l'Institut Jacques Delors. Et ce dernier de prendre l'exemple de la rénovation énergétique, pilier de la décarbonation du bâtiment. "Les budgets s'arrêtent en 2023. Les entreprises de rénovation, les artisans, n'ont aucune visibilité sur ce qui se passera dans 13 mois au niveau des financements et des aides". Pas évident pour le privé, de prendre le relais dans de telles conditions. Ce manque de lisibilité ne s'arrête d'ailleurs pas aux portes des chèques que signe l'Etat. Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), aimerait que la puissance publique soit bien plus stratège, notamment dans sa capacité "à anticiper les pertes d'emplois et préparer les futurs viviers dans certains secteurs".

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Thomas Pellerin-Carlin relève également que les investissements dans la recherche et l'innovation sont trop bas par rapport à la Chine ou les Etats-Unis par exemple. Ils sont même en recul sur la décennie, alors même que l'Agence internationale de l'énergie répète régulièrement que 50% des technologies qui nous permettront d'atteindre la neutralité carbone n'existent pas encore à des stades de développement avancés. D'où la nécessité, pour les auteurs de cette note et alors que la campagne présidentielle bat son plein, que chaque candidat présente cette programmation des investissements publics dans le climat sur au moins cinq ans. Un outil qui aurait le mérite d'offrir, comme sur l'énergie, une visibilité sur la façon dont seront dépensés les deniers publics. Nécessaire pour enclencher une dynamique d'investissement chez les entreprises et les collectivités locales. Le texte mentionnerait, outre les éléments de calendrier et le détail des secteurs où les fonds seront dirigés, des éléments concrets sur le mode d'action de l'Etat - subvention, investissement en capital, prêts -, ainsi que les transferts financiers prévus vers les collectivités pour les aider à opérer leur transition. Côté recette, les candidats devraient également offrir de la visibilité sur les réformes fiscales envisagées (taxe carbone...) et les sources de financement.

Pilotage et gouvernance

Outre le pilotage, les auteurs estiment qu'il est crucial de changer de mode de gouvernance autour de la question climatique au niveau de l'exécutif. "La transition, c'est un sujet interministériel. Il touche aux transports, à l'habitat, à l'agriculture, à l'industrie, au marché du travail. Nous manquons d'une entité qui chapeaute le tout", indique Jean Pisani-Ferry, professeur d'Economie à Sciences Po et président d'I4CE. "Il faut changer de logiciel". Pour Thomas Pellerin-Carlin, pas besoin de bousculer l'architecture institutionnelle. Dans le domaine militaire, une loi de programmation existe déjà, ainsi qu'un secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Il suffirait selon lui de dupliquer cela pour l'écologie.

"Il faut un organe exécutif centralisé de coordination, pour contrôler la mise en oeuvre et faire en sorte que les actions soient menées depuis l'échelon européen jusqu'au niveau local", acquiesce Xavier Timbaud, directeur de l'OFCE. Pour les auteurs, les plans d'action des ministères sont trop souvent librement inspirés des textes programmatiques comme la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Le ministère de la Transition écologique, manque lui d'autorité vis-à-vis des ministères dépensiers. "Il faut passer d'une logique de conformité à une logique de mise en oeuvre. Dire ce qu'on fait, et faire ce qu'on dit qu'on allait faire", justifie encore Benoit Léguet. Passer des paroles aux actes, en somme.

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