Comment l’Europe veut acheter du gaz en commun pour remplacer le gaz russe

Les Etats membres de l'Union européenne devraient valider lors du Conseil européen des 24 et 25 mars la création d’une task-force pour mutualiser leurs achats de gaz. Avec l’idée de s’inspirer de ce qui a été fait pour les commandes de vaccins anti-Covid.

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Comment l’Europe veut acheter du gaz en commun pour remplacer le gaz russe
L'Union européenne va imposer une obligation de remplissage des stocks à hauteur de 80% à l'automne.

Comment limiter la flambée des prix énergétique en Europe ? Les chefs d’Etat et de gouvernement européens vont à nouveau être accaparés par la crise énergétique lors du conseil européen des 24 et 25 mars à Bruxelles. Au sommet de Versailles, deux semaines plus tôt, les dirigeants ont décidé de diversifier au plus leurs approvisionnements en gaz. La Commission européenne doit finaliser d’ici à fin mai son plan pour réduire des deux-tiers les achats en gaz, pétrole et charbon russe. La décision de Vladimir Poutine de libeller en roubles – et non plus en dollars ou en euros – les achats de gaz et de pétrole des pays « inamicaux » a renforcé l’urgence pour les Européens d’explorer des alternatives. La stratégie de Moscou pourrait « accélérer le départ de certains opérateurs de Russie », pointe le cabinet Rystad.

Une task-force pour négocier avec les fournisseurs de gaz

Afin de mettre toutes les chances de leur côté pour l’hiver prochain, les dirigeants doivent valider le principe d’achats communs de gaz, selon le projet de déclaration finale. Pour le mettre en œuvre, la Commission propose la création d’une plateforme commune afin de négocier les volumes pour les 27 Etats membres. En renforçant le pouvoir de négociation des Européens, cette approche « faciliterait et renforcerait le positionnement de l’Europe face à ses fournisseurs de gaz et de GNL afin de sécuriser des importations au meilleur prix en prévision de l’hiver prochain », juge la Commission.

La Commission européenne fournirait les équipes de cette task-force. À sa tête, son comité directeur regrouperait des représentants de chaque Etat membre. C’est peu ou prou la structure mise en place en 2020 pour la plateforme européenne chargée de commander les vaccins contre le Covid à l'échelle de l'Union. La Commission entend capitaliser sur le succès de son mécanisme, qui a négocié en direct avec les laboratoires pharmaceutiques et permis de sécuriser plus de 4 milliards de doses de vaccins pour l’Europe.

Comme pour les vaccins contre le Covid, l’objectif est d’obtenir des tarifs plus avantageux, mais aussi « d’éviter que les Etats se livrent à des surenchères sur les mêmes approvisionnements », pointe encore la Commission européenne. C’est déjà plus ou moins le cas en ce moment. Le 22 mars, l’Allemagne a signé un accord énergétique de long terme avec le Qatar, afin de réduire sa dépendance au gaz russe. L’Italie, de son côté, a relancé les discussions avec l’Algérie, mais aussi le Qatar et l’Angola pour sécuriser ses approvisionnements.

La task-force européenne devrait négocier, pour l’ensemble des Etats membres, des partenariats stratégiques auprès des pays fournisseurs de gaz et de GNL, comme l’Algérie, la Norvège, le Qatar et les Etats-Unis. « L’Union européenne peut plus facilement obtenir des prix plus bas à court terme si elle s’engage à long terme », relève la Commission. La question de l’approvisionnement de l’Europe en GNL américain fait partie des dossiers abordés avec Joe Biden, le Président américain, invité le 24 mars au conseil européen.

Un changement de ligne rapide

Reste que la comparaison avec la task-force vaccins a ses limites. Dans l’énergie, contrairement à la santé, ce ne sont pas les Etats qui achètent et signent les contrats, mais les entreprises gazières. « On ne parle pas d’une agence européenne d’achat du gaz. Le marché est constitué d’une multitude d’acteurs. La Commission propose une méthode pour acheter en commun, elle peut négocier des conditions cadres favorables avec ses partenaires les plus fiables et donner une vision de moyen et de long terme, dans le cadre du green deal qui permet aux pays producteurs d’investir », souligne Jean-Arnold Vinois, conseiller énergie pour l'institut Jacques Delors à Bruxelles. Mais ce sont bien les entreprises qui restent à la manoeuvre pour conclure leurs contrats d'approvisionnement. Pour tenir sa ligne de réduire des deux-tiers sa dépendance au pétrole russe, « la Commission va devoir associer au plus vite ses énergéticiens", reprend l'expert alors qu'Engie et TotalEnergies continuent à s'approvisionner en gaz russe.

Sur cette question, les lignes ont bougé rapidement au sein des Etats membres. L’Espagne a été la première à défendre le mécanisme, rejointe par l’Italie et la Grèce à l’automne dernier. Mais sa proposition n’avait pas déclenché l’enthousiasme. Le déclenchement de la guerre en Ukraine et la flambée des prix ont modifié la donne. Le sujet est pourtant un serpent de mer. En 2014, après l’invasion de la Crimée par la Russie, le Premier ministre polonais Donald Tusk avait milité fermement pour acheter en commun, afin de renforcer le pouvoir de l’Europe face à Gazprom. Mais sa position avait été écartée. « Faire de l’achat groupé était moins pertinent en 2014. Les interconnections étaient moins nombreuses », pointe un porte-parole de la Commission à Paris. Ces dernières années, l’Europe a de fait massivement investi pour renforcer ses infrastructures, notamment afin de pouvoir injecter le gaz dans ses pipelines de façon bidirectionnelle, permettant ainsi le transfert de gaz entre n’importe quels Etats membres.

Une obligation de remplir les stockages avant l'hiver

Les nouvelles obligations de stockage du gaz, qui s’appliqueront dès l’automne, accentuent par ailleurs la pression sur les Etats. Selon le projet de directive de la Commission, les stockages de gaz devront être remplis à 80% en octobre. Ce taux sera porté à 90% à partir de 2023. Des objectifs intermédiaires de remplissage seront aussi définis et les Etats tenus de surveiller de façon mensuelle l’évolution de leurs capacités. Pour les Etats qui, pour des raisons géologiques, ne disposent pas de stockages, comme la Finlande et la Slovaquie, la solidarité européenne devra jouer. En surveillant au plus près leurs niveaux de stock, les pays membres de l'Union veulent éviter les mauvaises surprises. Car les entreprises ne savent pas si les prix seront toujours aussi élevés l’hiver prochain, lorsque le gaz stocké sera revendu. Ce qui peut les inciter à temporiser. La Commission prévoit par ailleurs une certification obligatoire pour les opérateurs de stockage. Un garde-fou qui vise sans le citer Gazprom, qui pèse 25% des capacités de stockage en Allemagne et avait traîné à les remplir à l’automne dernier.

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