Une station de pompage de pétrole dans la région de Midland au Texas (Etats-Unis), le 21 janvier 2016

Une station de pompage de pétrole dans la région de Midland au Texas (Etats-Unis), le 21 janvier 2016

afp.com/SPENCER PLATT

"Je fais appel à l'esprit d'économie du peuple français. Economisons l'essence, l'électricité, le chauffage... et cela suffira à diminuer notre consommation..." Il y a plus de quarante ans, le 20 décembre 1973, Georges Pompidou en appelait à la responsabilité des Français et aux petits gestes du quotidien pour réduire la dépendance d'un pays miné par la première crise pétrolière de l'histoire. Autre époque, même gravité : il y a quelques jours, c'est à ce même esprit que s'est adressé le ministre actuel de l'Economie Bruno Le Maire, enjoignant à baisser le chauffage pour atténuer la tension sur le gaz. Inquiet, le locataire de Bercy répète la même rengaine depuis plusieurs semaines. A ses yeux, la France et l'Europe sont confrontés à un choc énergétique "comparable en intensité et en brutalité" à celui de 1973.

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Une secousse et un champ lexical analogues, mais des remèdes différents. Car la direction prise par le gouvernement n'emprunte pour le moment guère aux mesures coercitives du plan Messmer. Où sont l'arrêt des émissions de télé après 23 heures, l'extinction des vitrines la nuit dans les magasins, la limitation de la vitesse sur les autoroutes, le plafonnement par décret du chauffage dans l'ensemble des foyers français décidées dès l'hiver 73...? "Le plan de résilience présenté le 16 mars vise à sauvegarder avant tout le porte-monnaie des Français contre la flambée des prix. Il ne s'attaque pas réellement à la question de l'indépendance énergétique par des mesures de sobriété", décrypte Alexandre Joly, responsable du pôle Energie et membre du pôle Stratégie du cabinet Carbone 4.

Même l'Agence internationale de l'énergie le dit

Celle-ci a pourtant fait ses preuves par le passé : "Pendant les quatre premiers mois de 1974, la consommation française de produits pétroliers tombe de 38,365 millions de tonnes à 33,127 millions, soit une diminution de 13,6%", indiquait Pierre Messmer dans ses Mémoires sur la réponse politique de son gouvernement à la crise de 1973. Un régime sec que ne réprouverait pas l'Agence internationale de l'énergie. Dans un plan d'action en dix points publié au début du mois, l'organisation estime que les pays avancés pourraient économiser en quatre mois jusqu'à 2,4 millions de barils de pétrole par jour sur une consommation de 45 millions de barils par jour environ. Pêle-mêle, ses propositions tablent sur la réduction d'au moins 10 km/h des limitations de vitesse sur autoroutes, le télétravail trois jours par semaine, l'instauration de dimanches sans voitures dans les grandes villes. "Qu'une organisation comme celle-ci, historiquement liée à l'industrie pétrolière, propose ce type de mesures, c'est inédit", confirme un bon connaisseur de l'organisation.

Infographie petrole 3691 baisser consommation

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© / Dario Ingiusto / L'Express

Du côté du ministère de la Transition écologique, on temporise. "A ce stade, on n'en est pas là", prévient l'entourage de la ministre Barbara Pompili. Sur le pétrole, l'exécutif veut rassurer et se rattache à l'obligation française de disposer de 90 jours de réserve et la possibilité de diversifier son approvisionnement. Quant au gaz, le redoux printanier éloigne les craintes d'un problème pour les prochaines semaines, même si les tensions reviendront de façon encore plus forte l'hiver prochain. Au ministère, on se défend d'être attentiste, rappelant la mise en place du coup de pouce pour la rénovation énergétique ou l'aide à l'achat pour les pompes à chaleur. "Nous allons également lancer une campagne de sensibilisation dans les prochaines semaines pour inciter à la réduction des consommations. Elle est dans les tuyaux", ajoute un conseiller.

Prévenir plutôt qu'interdire

Prévenir, plutôt qu'interdire ou imposer. Le gouvernement marche sur des oeufs. Même la guerre en Ukraine ne saurait effacer le traumatisme de deux années de confinements successifs en matière de privations. En pleine campagne présidentielle, il hésite à rajouter de l'huile sur les braises du climat social. Et notamment en s'attaquant à la voiture, totem de la France périphérique. Plus globalement, la sobriété peine à s'inviter dans le logiciel macroniste. Dans son discours de Belfort le 9 février, le président s'est emmêlé les pinceaux entre efficacité (consommer mieux, via le progrès technologique) et sobriété (consommer moins) en parlant de sa vision sur le futur énergétique du pays. Cette question est une ligne de démarcation idéologique importante avec les Verts. En 2020, il avait d'ailleurs abattu un de ses trois "jokers" sur la proposition de la Convention citoyenne pour le climat visant à réduire la vitesse à 110 km/h sur les quatre voies. Même l'entourage de Barbara Pompili rappelle que l'ancienne élue écologiste a un rapport "à la sobriété beaucoup plus décomplexé qu'une partie de la majorité".

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La guerre sera-t-elle plus mobilisatrice que le sort de la planète pour actionner ce levier ? Certains montent ces derniers jours au créneau. Alexandre Joly, de Carbone4, indique dans une note récente que passer aux 110 km/h sur l'autoroute, généraliser les 80 km/h et réduire de 10% les déplacements de voiture suffirait à réduire de 90% la part du pétrole russe importé en France. "Evidemment ce sont des changements radicaux explique l'expert. Mais on a su le faire par exemple dans la Seconde Guerre mondiale avec les rationnements." Dans la revue Le Grand Continent, le philosophe écologiste Pierre Charbonnier voit même dans la sobriété une "arme pacifique de résilience et d'autonomie" contre la Russie. L'idée est d'autant plus séduisante qu'en matière de sevrage sur les énergies fossiles, les enjeux de court terme - assécher financièrement le régime de Poutine et desserrer la contrainte sur les prix - rejoignent celui de la fin du siècle : la lutte contre le réchauffement climatique.

La sobriété, donc, nécessaire pour le prochain hiver mais aussi les suivants ? Pour les particuliers, la pilule pourrait être dure à avaler. "Les études réalisées par l'Ademe le montrent : il n'y a pas d'opposition de principe. La population est en attente de règles claires ainsi que d'un partage juste de l'effort", assure Alexandre Joly. Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre Energie de l'Institut Jacques-Delors, met un bémol. Pour lui, la réduction des consommations ne peut reposer "uniquement sur des gestes individuels", mais doit s'appuyer aussi sur une action et des investissements forts des pouvoirs publics, par exemple sur la rénovation ou les questions de mobilité. Le précédant de 1973 est à ce titre éclairant : à côté des privations, la première réglementation thermique du bâtiment en France avait été adoptée, et le programme électronucléaire français avait été lancé. La leçon aura-t-elle été retenue ?

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