Crise sur l’Etat de droit : une histoire de justice et de sous avant tout

Les premiers ministres Polonais et Hongrois, Mateusz Morawiecki et Viktor Orban. La Hongrie a reçu 30 milliards d'€ de subventions européennes de 2014 à 2020, la Pologne 86 Mds. Les règles sur l'Etat de droit cherchent à garantir "leur bonne gestion" ©AFP - Aris Oikonomou
Les premiers ministres Polonais et Hongrois, Mateusz Morawiecki et Viktor Orban. La Hongrie a reçu 30 milliards d'€ de subventions européennes de 2014 à 2020, la Pologne 86 Mds. Les règles sur l'Etat de droit cherchent à garantir "leur bonne gestion" ©AFP - Aris Oikonomou
Les premiers ministres Polonais et Hongrois, Mateusz Morawiecki et Viktor Orban. La Hongrie a reçu 30 milliards d'€ de subventions européennes de 2014 à 2020, la Pologne 86 Mds. Les règles sur l'Etat de droit cherchent à garantir "leur bonne gestion" ©AFP - Aris Oikonomou
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L’UE a décidé de conditionner les fonds du budget et du plan de relance européen au respect de l’Etat de droit. Pologne et Hongrie s’y opposent. Leurs politiques migratoires ou anti-avortement ne sont nullement remises en cause. Le problème, c’est le détournement potentiel des fonds européens.

"L’Etat de droit pour nous est clé" déclarait le premier ministre Néerlandais Mark Rutte au début des négociations sur le budget et le plan de relance européen, le 17 juillet à Bruxelles. 

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Deux jours plus tard, Viktor Orban, le Premier ministre Hongrois en fait une affaire personnelle. 

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Je ne vois pas pourquoi le Premier ministre néerlandais me déteste, moi et la Hongrie. Selon lui l’Etat de droit n’est pas respecté en Hongrie, et on doit être sanctionné financièrement, ce n’est pas acceptable. Viktor Orban, Premier ministre Hongrois, le 19 juillet 2020.

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L’Etat de droit n’est pas une affaire personnelle. C’est un sujet majeur pour l’Union Européenne depuis 3 ans, depuis que la Hongrie, et la Pologne font l’objet d’une procédure qui pourrait les conduire à perdre leur droit de vote. 

Parmi les craintes soulevées par les députés figuraient l’indépendance de la justice, la liberté d’expression, la corruption, les droits des minorités ainsi que la situation des migrants et des réfugiés. Dans le cas de la Pologne, la Commission européenne a appelé à une action de l’UE en décembre 2017 compte tenu des menaces pesant sur l’indépendance de la justice. Etat de droit en Hongrie et Pologne, le point sur la procédure de l’article 7. Communication du parlement européen, le 9 janvier 2020.

Comme il faut l’unanimité au Conseil européen pour que ces procédures donnent lieu à une sanction, les deux pays se sont serrés les coudes, et rien n'a changé

Jusqu’au sommet de cet été, où l’accord sur le plan de relance et le budget mentionnera bien in fine l’Etat de droit,  tel que défini par l’article 2 du Traité de l’Union, à savoir, le respect pour la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, le respect des droits humains, y compris des minorités. 

Article A 24 : Les intérêts financiers de l'Union sont protégés conformément aux principes généraux inscrits dans les traités de l'Union, en particulier aux valeurs de l'article 2 TUE. Le Conseil européen souligne l'importance de la protection des intérêts financiers de l'Union. Le Conseil européen souligne l'importance du respect de l'état de droit.

Etat de droit : le plus gros restait à négocier

A ce moment-là, on se focalisa sur le montant du plan relance (750 milliards), et la décision historique de s’endetter en commun pour la première fois. Et chacun repartit avec sa propre interprétation de l’article A24. 

Les Polonais et les Hongrois ont pensé qu’ils auraient un veto pour empêcher son application, mais il y avait une ambiguïté à dessein, pour que tout le monde signe. Eulalia Rubio, politiste à l’Institut Delors. Règles de droit, conditionnalités : A quoi peut ressembler un compromis acceptable ?

Pendant l’été, les négociations sur ce sujet ont continué, la commission a proposé un compromis, le parlement l’a amendé, le conseil européen validé, et cette fois à la majorité qualifiée. 

Début novembre, le règlement permettant de suspendre l’allocation des fonds européens en cas d’atteinte à l’Etat de droit fut publié. Auparavant, la commission avait pris le soin de publier un rapport détaillé de son analyse de l'Etat de droit dans les 27 pays de l'UE. Ici son analyse sur la Pologne, ici sur la Hongrie, et ici sur la France. 

Lors d’une réunion des représentants permanents des 27 à Bruxelles le 16 novembre, la Pologne, et la Hongrie s’estimant piégées refusent de valider le budget septennal de l’UE (2020-2027) et le fonds de relance. 

Le Premier ministre Hongrois Viktor Orban considère que c'est sa politique migratoire qui pose problème à "Bruxelles" (voir sa réaction ci-dessous), or le sujet n'est pas la. Le sujet principal du règlement pour la "protection du budget européen", c’est le risque de détournement, de fraude, de corruption, et Viktor Orban a surtout des raisons financières de s’inquiéter. 

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Car ce règlement vient combler deux failles énormes. 

Aujourd’hui, c’est l’OLAF, l’office européen de lutte contre la fraude qui est chargé de vérifier que les fonds européens sont bien utilisés. Il peut enquêter, mais il ne peut pas poursuivre. Il publie chaque année des rapports, et le dernier met encore en évidence la prépondérance de la Hongrie dans les irrégularités constatées

Pour combler en partie ces carences, un parquet européen est en train de se constituer avec des pouvoirs d’enquête et de poursuite des crimes comme « la fraude, la corruption, et la fraude transfrontalière à la TVA », mais ni la Pologne, ni la Hongrie n’ont accepté d’y participer ou de s’y soumettre. 

Les lacunes actuelles du contrôle des fonds européens

Si l’OLAF trouve une infraction dans un pays, il transmet le dossier à la justice, et c’est à elle d’instruire, poursuivre et sanctionner. L’indépendance de la justice est donc, on le comprend cruciale. 

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Si la justice est aux ordres, ses magistrats sanctionnés par le pouvoir politique, comme c’est le cas en ce moment même en Pologne avec Igor Tuleya, un magistrat qui risque la prison (tweet ci dessus), que les dossiers de l’OLAF sont enterrés comme ce fut le cas pour des subventions accordées au gendre de Viktor Orban, on ne va pas bien plus loin que ça.  

Ci-dessous, un thread par un média indépendant hongrois qui recense tous les cas de potentiels détournements de fonds européens par l’entourage de Viktor Orban. 

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Deuxième faille, ce n’est qu’après que les fonds soient versés, que l’OLAF peut enquêter. Cette fois, la commission pourra proposer de ne pas les verser, préventivement, s’il y a dans un pays des carences structurelles qui ne permettent pas de garantir que l’argent public européen est utilisé à bon escient. Et parmi ces carences, il y a tout en haut de la liste : l’indépendance de la justice, pas la politique migratoire. 

Pour qu’elle puisse mettre un pays à l’index et recommander la suspension des fonds (recommandation faite au Conseil européen qui décidera alors à la majorité qualifiée), la commission devra en effet démontrer qu’il y a un lien entre la règle de droit qu’elle juge non respectée, et la bonne utilisation de ces fonds ("sound financial management" dans les textes). Dans l’article 2a, elle cite les cas possibles qui pourront déclencher sa procédure. 

Article 2 du réglement sur l'application de l'Etat de droit pour l'obtention des fonds européens du budget et du fond de relance
Article 2 du réglement sur l'application de l'Etat de droit pour l'obtention des fonds européens du budget et du fond de relance
- Commission

Aux fins de l'application du présent règlement, les éléments suivants peuvent indiquer des violations des principes de l'état de droit: (a) mettre en danger l'indépendance du pouvoir judiciaire; (b) ne pas empêcher, corriger et sanctionner des décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques, y compris par les autorités répressives, en retenant des ressources financières et humaines affectant leur bon fonctionnement ou absence de garantie de l’absence de conflits d’intérêts; (c) limiter la disponibilité et l'efficacité des recours juridiques, y compris par des règles de procédure, absence de mise en œuvre des arrêts ou limitation de l'efficacité de l'enquête,poursuites ou sanction des infractions à la loi. 

Quand un Etat ne prévient pas les conflits d’intérêts ou la corruption, ce qui est le cas de la Hongrie ( qui vient d’être épinglée par le GRECO, groupe d’Etat contre la corruption), que la justice n’y plus indépendante du pouvoir politique, comme c’est le cas en Pologne (d’où la procédure enclenchée en 2017 dont je parlais au début), il sera possible de faire ce lien. 

Le lien entre la bonne gestion financière du budget européen et la fermeture des frontières, la remise en cause du droit à l’avortement, ou même les atteintes aux libertés de la presse sera en revanche très difficile, voire impossible à démontrer. 

Ce règlement a donc une portée bien plus limitée que ce qu’affirment les dirigeants hongrois, polonais, et ceux qui les soutiennent. Il ne les empêchera pas de rester des démocraties "illibérales". Mais il pourra éviter, s’il reste en l’Etat et n’est pas modifié, que ces desseins soient en partie financés par les autres européens. 

Il est là, l’enjeu de la négociation qui est en cours pour tenter de lever le blocage de la Pologne et la Hongrie sur le budget et le plan de relance, et il sera difficile de trouver un compromis gagnant-gagnant. 

Marie Viennot

L'équipe