Des soldats de l'armée française à l'entraînement avec Prita, jeune femelle malinoise, dans un camp militaire à Draguignan, le 1er avril 2021

Après le Brexit, la France reste le seul pays de l'Union européenne à posséder une armée conséquente.

afp.com/Nicolas TUCAT

En juin, une haie d'honneur attendait Joe Biden pour sa première visite officielle en Europe. "L'Amérique est de retour", venait clamer le nouveau président américain, applaudi pour le simple fait de ne pas être Donald Trump. "La confiance n'était pas complètement rétablie, mais les Européens voulaient y croire, ils souhaitaient refermer la parenthèse Trump, juge Nicole Gnesotto, vice-présidente de l'Institut Jacques Delors. Mais vouloir revenir au bon vieux temps est illusoire : Biden reprend la politique étrangère de ses prédécesseurs, et l'Occident n'est plus le centre du monde." A peine trois mois plus tard, la lune de miel a pris fin, et des noms d'oiseaux volent de nouveau au-dessus de l'Atlantique.

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Une affaire française, une humiliation européenne

Un "coup dans le dos", une manoeuvre "à la Trump", une attitude "insupportable"... Ce 16 septembre, les dirigeants français doivent puiser au plus profond de leur vocabulaire diplomatique pour qualifier l'action de Washington, coupable d'avoir volé le "contrat du siècle" à Paris. L'Australie a décidé de rompre son accord avec la France pour 12 sous-marins conventionnels à 56 milliards d'euros, préférant un nouveau deal avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni. "Les négociations ont duré des mois, et se sont faites dans le dos de l'allié français, souligne Elie Perot, spécialiste des questions de défense européenne à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). La colère des dirigeants français traduit cette surprise et ce sentiment de trahison."

Si l'affaire des sous-marins est française, l'humiliation est également européenne. Bruxelles s'est montré aussi effaré que Paris par cette annulation de contrat, alors que l'UE s'apprêtait à dévoiler sa feuille de route stratégique dans la région indopacifique. Négligée, la diplomatie européenne se trouve une nouvelle fois mise devant le fait accompli par les décisions de Washington. D'Afghanistan, le président américain a décidé de retirer ses troupes sans demander leur avis aux alliés, qui avaient pourtant plusieurs milliers de soldats sur place. La débâcle de Kaboul a laissé ces Européens à la merci des talibans. "Les alliés ont fait part de leur colère contre les Etats-Unis, mais leur frustration vient surtout de leur impuissance à influencer les décisions américaines et de leur incapacité à prendre le relais sur le terrain", avance Rachel Ellehuus, chercheuse au Center for Strategic and International Studies, à Washington.

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Protégés par le grand frère américain depuis soixante-dix ans, les Européens paient aujourd'hui leur manque d'investissement en matière de défense. "L'Otan constitue une défense à moindre coût pour les Européens puisque les Etats-Unis absorbent 80 % des dépenses de l'organisation, rappelle Nicole Gnesotto. C'est efficace, tant que l'Amérique ne devient pas folle ou ne vous laisse pas tomber..." Ces dernières années, l'Europe a semblé subir ces deux scénarios à la fois.

Dès 2011, Barack Obama lançait son "pivot asiatique", qui basculait les priorités américaines vers la zone Asie-Pacifique. Le retrait d'Afghanistan et l'affaire des sous-marins australiens suivent cette logique. "Biden a indiqué très clairement que toute son attention se portait sur la Chine et qu'il voyait tout à travers ce prisme, pointe James Goldgeier, professeur de relations internationales à l'American University, à Washington. Même la relation avec la Russie doit se stabiliser, à la seule fin de pouvoir s'occuper sereinement de la Chine. Pour sa sécurité, l'Europe devrait davantage développer ses propres capacités de défense."

La France presque seule à pousser pour une défense commune européenne

Obsession d'Emmanuel Macron depuis son arrivée à l'Elysée, l'idée de défense européenne fait son chemin à Bruxelles après ces multiples abandons infligés par l'allié américain. Dans les couloirs, il se murmure qu'Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, comptait insister longuement sur l'amitié transatlantique dans son discours sur l'état de l'Union, le 15 septembre. Finalement, signe d'un changement d'état d'esprit, l'Allemande n'a pas cité le nom de Joe Biden une seule fois, préférant souligner le nécessaire développement d'une armée européenne.

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Mais même dans les discours, les ambitions restent très loin d'une véritable défense commune sur le continent. Von der Leyen envisage seulement un partage des renseignements entre Etats membres et la création de bataillons d'action rapide. "La plupart des pays européens n'ont pas la volonté d'investir dans une défense européenne, il s'agit surtout d'une préoccupation française, considère Elie Perot. La protection de l'Otan leur convient très bien, et ils ne se sentent pas confrontés à des menaces directes." Sans volonté des Vingt-Sept, la solution viendra des armées nationales. Mais seules la France et la Pologne augmentent leur budget militaire et disposent de moyens conséquents. "Tout le monde a les yeux rivés sur l'armée allemande, qui a le plus gros potentiel d'amélioration, pointe Anthony King, professeur d'études de la guerre à l'université de Warwick, au Royaume-Uni. Le sujet est dans toutes les têtes, mais personne n'ose l'aborder..."

Pendant qu'elle débat de ses capacités militaires, l'Europe doit surveiller de près ses frontières est. Du 10 au 16 septembre, plus de 200 000 soldats russes ont évolué avec les forces biélorusses pour des manoeuvres de grande ampleur. "Ces exercices militaires devraient tous nous rendre nerveux, alerte Anthony King. Depuis la fin de la guerre froide, les intentions russes sont loin d'être bienveillantes envers l'Occident." Le scénario envisagé pendant ces grandes manoeuvres ? Répondre à une attaque de l'Otan, puis "détruire toute trace de l'ennemi". Au moins, cette fois, l'Europe est prévenue.

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