Dépourvue de métaux stratégiques, l'UE parie sur le libre-échange pour s'en procurer

Incapable d'extraire des ressources minières suffisantes, distancée par la Chine et les Etats-Unis, l'Union européenne compte multiplier les accords de libre-échange en 2023 avec les pays dotés de minerais et de métaux stratégiques, à l'image du traité signé en décembre avec le Chili. Mais dans ces pays, les industriels européens devront surmonter une vive concurrence pour se fournir.
La mine de Beauvoir dans l'Allier en France, qui doit extraire du lithium à partir de 2028.
La mine de Beauvoir dans l'Allier en France, qui doit extraire du lithium à partir de 2028. (Crédits : Reuters)

Alors que la mondialisation se fissure, l'Europe demeure partisane du libre-échange. Le 12 décembre, la Commission européenne et le gouvernement chilien ont scellé un nouvel accord de libre-échange, soit une mise à jour d'une première version signée en 2002. Bruxelles n'entend pas s'arrêter là. Le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, dit vouloir établir un accord similaire avec le Mexique prochainement.

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A la faveur du retour aux affaires du président brésilien Lula, les discussions commerciales ont également repris avec les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) en vue d'un traité de libre-échange. De l'autre côté du Pacifique, l'Australie, qui a jeté un froid dans ses relations avec le Vieux Continent en signant l'accord militaire AUKUS, espère toutefois faire aboutir ses négociations avec Bruxelles mi-2023.

Autant de pays dont le sol regorge de minerais et métaux cruciaux dans la transition énergétique notamment vers l'automobile électrique : lithium, cobalt, nickel, terres rares ou encore du cuivre. Début septembre, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a esquissé un plan pour que l'Europe constitue des « réserves stratégiques » de ces ressources qui « seront bientôt plus importantes encore que le pétrole et le gaz » tant leur consommation va exploser. Les besoins en terres rares et en cobalt vont être multipliés par 3 d'ici à 2030 à travers le monde, et par 5 pour ce qui est du lithium.

L'UE veut accélérer

« L'UE a insisté pour sceller rapidement l'accord avec le Chili, et compte en conclure d'autres à commencer par l'Australie. Dans les deux cas, la question de l'accès aux minerais stratégiques est centrale. L'UE veut couvrir 70% de ses besoins en batteries en 2030 et veut sécuriser ses approvisionnements comme le fait la Chine, même si elle part de beaucoup plus loin. Sa politique commerciale devient plus offensive, mais pas protectionniste comme celle des Etats-Unis et de  la Chine », constate Elvire Fabry, experte de politique commerciale à l'Institut Jacques Delors.

Comme sur d'autres aspects de souveraineté, la guerre en Ukraine confronte l'Europe au retard accumulé sur l'approvisionnement en ressources stratégiques, naturelles ou industrielles. Le sevrage du gaz russe rappelle qu'il n'y a pas d'industrie sans matières premières, qu'il s'agisse de faire tourner les usines ou de fabriquer leurs produits. Le sous-sol de l'Europe présente pourtant certains filons de minerais exploitable, au moment où les Européens ambitionnent de bâtir 38 gigafactories.

Mais le manque d'acceptabilité sociale, d'espace, et les normes locales bien plus exigeantes qu'ailleurs dans le monde font que les volumes extraits resteront « marginaux » selon une étude de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Son titre « David contre Goliath : l'Europe face à l'enjeu des métaux et des minerais stratégiques » donne la mesure de la tâche à accomplir.

Les matières premières, impensé de la politique industrielle européenne

« Les matières premières sont l'impensé des politiques industrielles européennes qui se disent depuis des années "le marché pourvoira". Il n'y a pas de stratégie de long-terme », note Raphaël Danino-Perraud, chercheur associé à l'IFRI et spécialiste de la géopolitique des matières premières.

Or, le marché pourvoit de moins en moins. La ruée vers les minerais laisse les entreprises européennes en queue de caravane, sans garantie quant à ses approvisionnements. « Depuis un an, il y a de fortes tensions sur le marché des minerais », raconte Raphaël Danino-Perraud, qui juge que l'accord scellé avec le Chili et celui en gestation avec le Mexique vont dans le bon sens.

De tels traités garantissent un cadre légal plus ouvert et un meilleur accès au marché chilien ou mexicain. Lesquels restent des marchés, synonymes d'une concurrence avec des acteurs aussi incontournables qu'installés. Le Chili, qui produit 25% du lithium brut dans le monde, dispose déjà d'accords de libre-échange avec les Etats-Unis et la Chine, son premier client dont les capitaux irriguent l'industrie minière chilienne. Les industriels européens qui vont chercher à y prendre pied seront confrontés à des géants. Aucune multinationale de l'UE ne figure parmi les dix premières compagnies minières du monde. Même dans l'UE à l'horizon 2030, les fournisseurs européens n'approvisionneront que 20% à 30% des besoins en métaux rares.

Néanmoins, les pays extracteurs voient d'un bon œil la sollicitude de l'UE. Le Chili, dont la Chine est le premier partenaire, a besoin de diversifier ses échanges pour ne pas se retrouver pris en étau entre Washington, dont il est aussi très proche économiquement, et Pékin. Échaudée par les tensions avec la Chine, qui possède de nombreuses participations dans son économie et son industrie minière, l'Australie aspire aussi à élargir son portefeuille de clients. Plus que de simples commandes, les Européens pourraient également apporter leurs capitaux.

Amérique latine et Australie : des fournisseurs lointains

« Pour sécuriser son approvisionnement, l'Europe a besoin d'un fonds d'investissement pour aider les acteurs à prendre des participations minoritaires dans des sites de production de lithium en Amérique latine, en Afrique ou ailleurs », préconise l'ancien président de France Industrie Philippe Varin, qui prône dans un rapport remis au gouvernement en janvier « une véritable diplomatie des métaux ». Domaine dans lequel les Chinois ont selon lui « vingt ans d'avance ».

Les Américains n'ont pas jeté leur pelle non plus. « Les Etats-Unis sont aussi plus avancés et mieux armés que les Européens. Ils connaissent mieux leur sol, ont plus d'espace avec une industrie minière plus développée qui ne s'est jamais vraiment arrêtée sur leur sol. Dans leur voisinage, ils ont accès aux minerais du Canada et du Mexique », insiste Raphaël Danino-Perraud de l'IFRI.

Le chercheur appelle les Européens à privilégier des filières d'importation de minerais plus proches que la lointaine Australie. L'heure n'est pas au doux commerce, et les flux transocéaniques sont plus vulnérables aux aléas géopolitiques. A proximité, les Balkans, l'Asie centrale ou l'Afrique disposent aussi de riches sous-sol capables d'alimenter l'UE.

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« Bruxelles conclut également des accords ad hoc avec la Namibie, le Kazakhstan, qui n'impliquent pas une ouverture réciproque des marchés. Ils sont plus ciblés sur l'approvisionnement en matières premières en échange d'investissements dans des infrastructures », souligne Elvire Fabry de l'Institut Delors.

Une manière d'éviter les interminables négociations commerciales sur le libre-échange, car le temps presse.

Commentaires 20
à écrit le 24/12/2022 à 17:03
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L'Europe a-t-elle réellement prospecté son sol ?

à écrit le 23/12/2022 à 19:03
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Seul pb si la Chine voulait vivre à la mode occidentale il faudrait 2 terres ....tout est dit

le 24/12/2022 à 8:15
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bis repetita la meme analyse de 1973 avec le petrole et la mondialisation. les meme economiste nont pas retenue les lecons votre logiciel a un grand besoin de changement

à écrit le 23/12/2022 à 15:49
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Ça ne fera qu'un domaine de plus dans lequel la France sera dépendante...faut juste réaliser que nos gvts successifs ont laissé la France être détruite et mise à genoux sans broncher.... ou alors c'est juste un ''sentiment'' de régression de notre pa...

à écrit le 23/12/2022 à 11:48
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Dire que l'Europe ne possède pas de minerais n'est pas totalement exacte. La Guyane possède d'immenses richesses inexploitées, sauf par des clandestins. Des iles ont aussi un bon potentiel en ressources minières, sans parler de nos fonds marins d'une...

le 24/12/2022 à 13:04
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la serenite veut que la france comme m barre l'avait exprime a propos de l'uranium il vaut mieux le conserver la ou il se trouve pour les generations futur alors gaz petrole nodules ou autre energie ont vera ca dans mille ans

à écrit le 23/12/2022 à 9:41
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On continue dans l'utopie bien pensante ... l'UE pieds d'argile

à écrit le 23/12/2022 à 9:27
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Il est facile derriere un bureau d'enoncer tel ou telle mesure. La realite, c'est le marche. C'est n'est pas le client qui decide du tarif, jamais. Et avec la mondialisation, ce sera au prix fort. Des genies a bercy.

à écrit le 23/12/2022 à 9:13
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Les déchets d'aujourd'hui sont les matières premières de demain et il appartient à nos intellectuels (en principe) d'imaginer le futur. Si nous en sommes là aujourd'hui c'est grâce à de la recherche fondamentale..

à écrit le 22/12/2022 à 23:23
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L'Europe après les USA sombrent dans l'ultralibéralisme Reagano thatchérien. A l'inverse la Chine communiste triomphe grâce à une politique industrielle puissante et une planification à long terme et la Russie est en train de la copier. Le capitali...

à écrit le 22/12/2022 à 22:18
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L'union européenne et son ultra libéralisme auront vraiment détruit toute souveraineté des pays membres. On le voit a tous les niveaux: énergie, minerais, agroalimentaire...

à écrit le 22/12/2022 à 21:31
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"Alors que la mondialisation se fissure, l'Europe demeure partisane du libre-échange". Manifestement, l'Europe ne retient aucunes leçons, pas même celle du radeau de la Méduse. Consternant.

à écrit le 22/12/2022 à 20:52
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La seule chose qui compte est la valorisation... Le reste laissez le sur place

à écrit le 22/12/2022 à 20:43
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L'amibe européenne n'est bonne qu'à scier la branche sur laquelle elle est assise.Trop de français à Bruxelles ont les a contaminé, lol.

à écrit le 22/12/2022 à 20:15
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Bonjour , Le libre échange ne fonctionnement dans les cas bien particulier, lorsque s'est un pays amis et si vous payer le prix ( plein pot ) . Pour le reste vous pouvez croire au Père Noël.... Bien sûr ils ne faut pas le dire....

le 12/01/2023 à 21:09
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...il n'aurait surtout pas fallu l'écrire...en tout cas, pas comme cela!

à écrit le 22/12/2022 à 19:32
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Je vais mourir de rire il faut vite sortir de cette Europe de fonctionnaires ! Incapable de se procurer des masques, du paracetamol et encore moins des terres rares …. Le moteur thermique a de beaux jours devant lui mais plus pour l’industrie fran...

à écrit le 22/12/2022 à 18:31
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Compter sur les principes du libre-échange pour mettre la main sur des matériaux stratégiques : si cette histoire est vraie, il y en a qui doivent bien se marrer. Difficile de croire que Commission Européenne soit plus que naïve et dogmatique, et de...

à écrit le 22/12/2022 à 18:02
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Si l'on n'est pas capable de faire avec ce que l'on a, c'est que l'on n'a rien apprit ! ;-)

à écrit le 22/12/2022 à 17:52
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Il faut lire "Terres rares" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur sous forme de fiction dévoile la réalité des coups tordus de la Chine qui en échange des minéraux rares dont elle dispose en quantité s'accapare les ressources essentielles d'un...

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