Le président russe Vladimir Poutine prononce un discours pendant la Parade annuelle du Jour de la victoire sur l'Allemagne nazie, le 9 mai 2021 à Moscou

Protectrice de Loukachenko, la Russie tente de minimiser le détournement d'un avion de ligne par le régime biélorusse pour arrêter un opposant.

afp.com/Dmitry ASTAKHOV

Clin d'oeil ou lapsus peu diplomatique ? Au moment de condamner la Biélorussie et son détournement d'un avion de ligne pour arrêter un opposant, Charles Michel a accusé son président Alexandre Loukachenko de "jouer à la roulette russe avec la vie d'innocents". Visiblement gênés par son allusion à la Russie, grande protectrice du régime biélorusse, les services du président du Conseil européen ont supprimé l'adjectif "russe" dans la retranscription écrite de sa charge. Mais dans toutes les têtes à Bruxelles, c'est bien la question de l'implication de la Russie dans cet acte de piratage international qui se pose.

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Moscou, complice ou simple avocat de Loukachenko ?

À l'atterrissage du vol Ryanair à Minsk, le journaliste Roman Protassevitch et sa compagne ont été arrêtés par les autorités biélorusses. Trois autres passagers, sans doute des agents, ne sont pas non plus remontés à bord. Leurs identités, et surtout leurs nationalités, seront au coeur de l'enquête diligentée par les instances européennes, et font peser un soupçon sur la complicité de Moscou. "À ce stade, toutes les options sont ouvertes, mais la grande question reste de savoir d'où vient cette initiative, pose Céline Bayou, spécialiste de la Russie à l'Inalco et rédactrice en chef de la revue Regards sur l'Est. Soit la Russie est directement à l'origine du détournement de l'avion et cela montre la mainmise de Moscou sur le régime biélorusse, soit l'aspect ingérable de Loukachenko ressort encore une fois et il revient à la Russie de tempérer après coup." Une rencontre entre le président biélorusse et Vladimir Poutine sera organisée en urgence dès vendredi prochain, à Sotchi.

Côté russe, les autorités se sont empressées de minimiser la portée du détournement de l'avion de ligne, dimanche 23 mai. "Ce qui est choquant dans cette histoire, c'est que l'Occident désigne cet incident dans l'espace aérien biélorusse comme choquant", s'est emportée la porte-parole du ministère des Affaires étrangères russes, Maria Zakharova, sur Facebook. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a appelé à ne surtout pas se précipiter : "Nous allons regarder ce qu'il s'est passé, mais pas dans l'urgence." Depuis dimanche, le Kremlin a beau jeu de rappeler qu'en 2013, les Européens avaient forcé l'avion du président bolivien Evo Morales à atterrir à Vienne, convaincus que le lanceur d'alerte Edward Snowden se trouvait à son bord.

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"La Biélorussie joue souvent sa propre partition, parfois au détriment des intérêts russes, mais Minsk peut toujours compter sur le soutien de Moscou, souligne Cyrille Bret, maître de conférences à Sciences-Po Paris et chercheur associé à l'institut Jacques Delors. En l'occurrence, ce détournement d'un avion de ligne va renforcer la méfiance de l'UE envers la Russie, alors que les tensions se situent déjà à un niveau très élevé, du fait de l'annexion de la Crimée et de la répression des mouvements de contestation en Russie."

Avec la Russie "la situation empire", selon von der Leyen

La crise avec la Biélorussie s'est déclenchée à la veille d'un sommet européen, lundi soir, qui avait pour thème principal... les relations stratégiques avec la Russie. Les deux sujets se sont donc imposés à la table de chefs d'État privés de tout appareil électronique, tant les discussions étaient sensibles. De lourdes sanctions ont été décidées à l'unanimité contre Minsk (soixante proches de Loukachenko visés, survol du pays interdit, etc.) et les Vingt-Sept ont commandé un rapport sur les relations avec Moscou, qui sera discuté lors d'un prochain sommet en juin. "La situation empire" avec la Russie, a lâché la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui a regretté ouvertement que "le régime russe ne veuille pas travailler de façon constructive" avec l'UE. La menace de nouvelles sanctions européennes continue de planer sur Moscou.

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Souvent moquées, ces mesures de l'UE constituent une vraie source d'inquiétude en Russie. "Avec ses sanctions, l'Union européenne a, ces cinq dernières années, changé la place de la Russie sur la scène internationale, estime Cyrille Bret. Moscou doit se justifier de toutes ses actions à l'étranger, les responsables de la répression en interne sont nommés... La Russie déteste ces sanctions, qui la transforment presque en paria, même si elles ne changent pas fondamentalement la donne géopolitique russe." Depuis dimanche, plusieurs voix en Europe se sont élevées pour geler de nouveau le projet de gazoduc Nord Stream 2, qui doit relier la Russie à l'Allemagne.

Dans cette affaire, la bonne nouvelle pour Vladimir Poutine vient de la faiblesse inédite montrée par le régime de Loukachenko, au pouvoir depuis 27 ans et contraint de détourner un avion de ligne pour faire taire un opposant. Depuis les révoltes qui ont secoué le pays l'été dernier, après une élection truquée de manière grossière, son pouvoir chancelle, et ses jours pourraient être comptés. "Le rapprochement entre Moscou et Minsk était souhaité depuis longtemps par Poutine, mais Loukachenko s'y est toujours farouchement opposé, explique Céline Bayou. Depuis les révoltes, le régime biélorusse est complètement affaibli et Loukachenko n'a jamais été autant à la merci des décisions russes. La question est de savoir combien de temps encore Poutine va le garder au pouvoir..."

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