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Diplomatie : chercheurs et responsables de think tank imaginent les cent premiers jours d’un mandat de Le Pen

Thomas Friang, directeur général de Open Diplomacy, et treize autres chercheurs et responsables de think tanks français imaginent les cent premiers jours de Marine Le Pen en tant que présidente, sur le plan diplomatique. 

Rédaction JDD , Mis à jour le
Marine Le Pen, à Avignon.
Marine Le Pen, à Avignon. © Reuters

Voici leur tribune : « Nous travaillons dans des centres de réflexion ou de recherche. Nous étudions les possibles qui s’offrent aux citoyens pour un futur désirable. Notre métier est de comprendre et faire comprendre le temps long. Mais le 24 avril ouvre une brèche abyssale, un point de rupture majeure, si Marine Le Pen est élue. Au-delà de ce point de rupture, comparable à celui de l’élection de Donald Trump aux États-Unis ou au Brexit, les paradigmes politiques changent totalement. Pour nous, cela relève de la réflexion dystopique tant cette rupture est dangereuse. 

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Alors nous avons réfléchi aux 100 jours de cauchemar que la France pourrait infliger à l’Europe et au monde - et s’infliger à elle-même en retour - si Marine Le Pen emportait les suffrages. Récit dystopique, réalité probable. 

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Lundi 25 avril 2022 - Le jour d’après, le début de la fin : La France se réveille sonnée après le second tour, comme arrachée à un sommeil sans rêves. Marine Le Pen devient Madame la présidente, élue de facto grâce à ceux qui se disaient qu’elle ne passerait pas ou qu’elle n’est finalement pas si dangereuse. À l’étranger, le monde se divise. C’est la consternation chez nos alliés, nos partenaires européens, nos amis en Afrique et en Amérique latine. La plupart se limitent poliment à des communiqués prenant acte des résultats du scrutin en rappelant avec insistance les engagements de la France au sein de l’Union européenne et de l’OTAN. Mme Le Pen n’est pas pour autant seule. Elle reçoit des appels appuyés de félicitations de Vladimir Poutine, Viktor Orban, Andrej Duda, Jair Bolsonaro, Ebrahim Raissiet et Xi Jinping. Donald Trump sort de son silence avec ces quelques mots : « Make France Great Again ». Bachar Al-Assad salue l’espoir qu’un ambassadeur de France soit rapidement nommé à Damas, où le régime n’a jamais rendu de comptes sur ses crimes de guerre.

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Lundi 2 mai 2002 - Premier déplacement européen de la présidente et derniers pas de la construction européenne : Marine Le Pen rompt la pratique suivie par ses prédécesseurs. Au lieu d’effectuer son premier déplacement à Berlin, elle déclare au Chancelier Scholz que l’Allemagne n’est qu’un partenaire parmi d’autres et souligne dans un entretien « sa volonté de ne plus subir les diktats allemands ». La nouvelle présidente effectue son premier déplacement à Bruxelles au nom de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne. Elle y confirme son intention de mettre en œuvre ses promesses de campagne : réduction de la contribution française au budget européen, contestation de la primauté du droit européen, mise en cause de la libre circulation des personnes, renoncements nombreux sur des éléments essentiels du « Green Deal ». Après sa conférence de presse, le cours de l’Euro chute face au dollar, les taux d’emprunt français augmentent et les anticipations inflationnistes se confirment. La crédibilité économique de la France est en question car un Frexit par la ruse se prépare. Les engagements climatiques de Paris sont dégradés et nos partenaires européens s’interrogent sur la position à tenir à la COP 27 dans ce contexte.

Mardi 3 mai 2022 - Sortie de l’OTAN et entrée dans la zone rouge : Conformément à son programme, la nouvelle Présidente annonce au siège de l’Alliance atlantique que la France quitte le commandement intégré de l’OTAN. Les troupes françaises déployées en renfort sur le flanc Est de l’Europe sont rapatriées. La France abandonne également le commandement de la force de réaction rapide de l’OTAN. Elle cesse toute livraison d’armes à l’Ukraine, soulignant sa volonté de rechercher une solution diplomatique et pacifique : « la France n’a pas à avoir un camp, elle doit être indépendante ». Vladimir Poutine salue une décision « responsable ». En Europe comme en Occident, la stupeur laisse place à la consternation alors que les attaques de l’armée russe sur l’Ukraine se sont intensifiées dans le Donbass. L’inflation continue de grimper en Europe, dopée par la volatilité des prix de l’énergie. Volodymyr Zelensky annonce quant à lui la rupture des relations diplomatiques avec la France et termine son allocution avec ses mots : « la France, berceau de la liberté, nous a trahis ».

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Lundi 9 mai - Le « jour de la victoire » et l’aube d’une « étrange défaite » : Ce jour-là, comme chaque année, la Russie célèbre sa victoire sur l’Allemagne nazie. Boycottée par les Occidentaux depuis l’annexion de la Crimée, cette journée est marquée par les annonces martiales du Président Poutine sur le succès de son « opération spéciale » de « démilitarisation et de dénazification » de l’Ukraine. Il célèbre la « libération » de Marioupol, qui s’est rendue après l’utilisation d’armes chimiques que Moscou continue de nier. La Présidente et son Ministre des Affaires étrangères, Thierry Mariani, qui s’était pourtant fait silencieux pendant toute la campagne électorale, sont à Moscou pour soutenir le Président Poutine et s’affichent à ses côtés. Depuis le Kremlin, la Présidente annonce que la France ne soutiendra aucune nouvelle sanction et s’opposera – comme l’y autorise la pratique de l’unanimité – à la reconduction des sanctions existantes. Le veto de la France est sans ambigüité : l’Europe cessera donc de sanctionner la Russie. La Hongrie se félicite du choix responsable de l’Elysée et invite Mme Le Pen à Budapest pour une visite d’État.

Lire aussi - La possibilité d’un duel serré entre Macron et Le Pen suscite l’inquiétude aux États-Unis et en Europe

Jeudi 19 mai - Risque de défaut souverain et faillite du souverainisme : Après la confirmation des annonces incohérentes (sur la retraite comme le salaire minimum) qui creusent le déficit public, les marchés accusent le coup. La charge de la dette, de près de 40 milliards d’euros par an, s’apprête à doubler en quelques mois, amputant du même coup le budget de l’État d’un volume équivalent à celui du budget de la défense. Les agences de notation dégradent la note française et des parallèles commencent à être établis avec la crise grecque. La politique économique de la présidente augure un « défaut souverain » qui propage le risque d’une nouvelle crise financière de grande ampleur alors que les banques sont encore très fragilisées par la crise pandémique et que la BCE a déjà sorti le bazooka monétaire deux fois. Face au refus de la Présidente d’envisager une concertation sur son projet économique, l’Allemagne demande la réunion d’un Conseil exceptionnel de la zone Euro. 

Mardi 31 mai 2022 - Engrenages et ruptures : Passé relativement inaperçu dans son programme, la Présidente dévoile un projet d’alliance avec la Russie sur la sécurité en Europe, alors que les crimes de guerre russes commis en Ukraine font l’objet d’investigation de la Cour Pénale Internationale. La présidente annonce du même coup l’arrêt des coopérations industrielles et militaires avec l’Allemagne et dénonce le Traité de l’Elysée signé par le Général de Gaulle. La France, déjà très isolée sur le plan diplomatique depuis le 9 mai, se retrouve complètement seule sur la scène internationale. Pékin et Téhéran saluent néanmoins une « décision historique » qui va donner des marges de manœuvre à leurs ambitions géopolitiques. La levée de bouclier est quasi-unanime dans l’opinion publique française, compte-tenu du risque pour la France d’être entraînée dans un conflit, aux côtés de la Russie, contre ses anciens partenaires européens et alliés de l’OTAN, au premier rang desquels les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Les démissions au sein de la diplomatie française et de l'État-major des armées se multiplient face au risque pesant sur la sécurité nationale.

Jeudi 2 juin 2022 - Frexit dans les faits : Pour apaiser les esprits inquiets du renversement des alliances militaires de la France, la Présidente annonce soumettre à référendum la reconnaissance de la primauté du droit européen et supprime la contribution française au budget européen, conformément à son programme. Elle annonce également l’arrêt de toutes les mesures de transition écologique engagées dans le Green Deal pour combattre le « diktat écologique de Bruxelles ». Le chancelier allemand et le président du Conseil européen dénoncent « un Frexit qui ne dit pas son nom ». La présidence française du Conseil de l’Union européenne est à l’arrêt. Nos partenaires européens souhaitent se réunir sans la France et la Hongrie pour envisager les conséquences de ses décisions sur l’avenir de l’Europe. La Commission européenne décide de suspendre les versements attendus au titre du plan de relance européen, aggravant la crise économique. L’Elysée dénonce un putsch économique européen et revendique la liberté du peuple français de choisir son destin face au carcan de l’Europe. Le processus politique du Frexit commence et le Green Deal est à l’arrêt.

Lundi 13 juin 2022 - Escalade et escamotage : Alors que le premier tour des législatives a réservé quelques surprises, une nouvelle offensive massive de la Russie en Ukraine éclipse le reste de l’actualité. Parallèlement, des incursions de bombardiers russes dans les espaces aériens de l’OTAN et de l’UE sont relevées, notamment dans les pays Baltes et les pays scandinaves. La Suède et la Finlande accélèrent leur adhésion à l’OTAN face au risque d’une attaque russe. La France s’y oppose et dénonce le bellicisme anglo-américain. Elle annonce l’arrêt de toutes nos coopérations militaires avec les pays engagés dans une forme de soutien à l’Ukraine. Dans ce contexte, le Secrétaire général provoque un Sommet exceptionnel des chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance atlantique. La Présidente Le Pen quitte la salle et annonce que la France pratiquera la « politique de la chaise vide » et « refusera toute activation de l’article V face à la Russie ». Dans les faits, la France se retourne contre ses alliés d’après 1945.

Jeudi 14 juillet 2022 - Fête nationale et défaite nationale : Vladimir Poutine est l’invité d’honneur du 14 juillet et nous apprenons - officieusement - qu’il insiste pour que Bachar Al-Assad et Jair Bolsonaro soient de la partie auprès d’une présidente qui ne peut pas lui dire non. Ces revirements diplomatiques, supposés aider les opérations françaises de lutte contre le terrorisme, sont inutiles, et même contre-productifs. Au Levant, la France n’est plus en mesure de participer à la Coalition contre Daech en l’absence d’accord des Américains, des Européens et de nos partenaires de la région. Malgré sa proximité avec le Kremlin, la présidente ne parvient pas à convaincre la Russie de cibler Daech. Au Sahel, des militaires français sont même parfois arrêtés, y compris par les miliciens russes de la société privée Wagner. Nos partenaires européens se retirent progressivement de la région. Les armées françaises se retrouvent de moins en moins en mesure de poursuivre leurs objectifs de lutte contre les groupes armés terroristes.

En moins de 100 jours, la France est isolée, affaiblie, en danger. Ce scénario dystopique n’est pas celui d’un film catastrophe. C’est ce qui pourrait se passer très prochainement pour notre pays si l’abstention laisse les suffrages d’extrême droite, financés par nos adversaires géopolitiques, s’exprimer plus fort que la voix de la raison, de la paix et de la prospérité.

Les signataires : 

  1. Thomas Friang, Fondateur et Directeur général de l’Institut Open Diplomacy et Coprésident des Parlementaires pour la Paix
  2. Pr. Delphine Allès, Professeure de relations internationales à l’INALCO
  3. Pr. Valentina Carbone, Professeure et Co-directrice scientifique de la Chaire d’économie circulaire d’ESCP Business School
  4. Vice-Amiral Patrick Chevallereau (2S), Distinguished Fellow du Royal United Services Institute
  5. Dr. Annick Cizel, Maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne-Nouvelle
  6. Dr. Raphaël Gourrada, Politologue à l’EHESS
  7. Dr. Anne Kraatz, Historienne à l’EPHE
  8. Dr. Bettina Laville, Haute fonctionnaire et présidente d’associations environnementales
  9. Dr. Marie Le Mouel, Économiste de la transition énergétique à Bruegel
  10. Jean-Marc Lieberherr, Président de l’Institut Jean Monnet
  11. Pr. Christian Lequesne, Professeur à Sciences Po et ancien Directeur du Centre de recherches internationales (CERI)
  12. Sébastien Maillard, Directeur de l’Institut Jacques Delors
  13. Dr. Élise Rousseau, Politologue à l’Université de Namur
  14. Xavier Timbeau, Économiste du climat à Sciences Po

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