Alors que la France bataille à Bruxelles sur la régulation des prix de l’électricité, l’opposition parlementaire pointe du doigt ce qui, selon elle, constitue déjà un échec. En ligne de mire : les élections européennes de juin 2024.
Pour juguler les effets de la crise énergétique que traverse l’UE, la Commission européenne a proposé en mars dernier une loi réformant le marché européen de l’électricité.
Depuis, les États membres s’écharpent sur les règles qui vont encadrer les subventions au secteur, qui aura besoin d’investissements massifs pour réussir sa transition.
Alors que la France soutient l’utilisation de contrats d’écarts compensatoires (contracts for difference, CfD, en anglais) afin de réguler les prix de vente de l’électricité issue du nucléaire, l’Allemagne, l’Espagne et d’autres États membres s’y opposent, craignant des distorsions de concurrence sur le marché européen.
Mercredi (12 octobre), la présidence espagnole du conseil de l’UE a proposé un nouveau compromis sabrant toute possibilité de CfD sur le nucléaire existant, alors que la France et l’Allemagne négociaient, depuis quelques jours, une issue partagée.
En parallèle, l’exécutif français mène un bras de fer à Paris avec EDF, dont le patron, Luc Rémont, ne souhaite pas non plus de CfD pour le nucléaire existant.
Acculé, Emmanuel Macron a tapé du poing sur la table fin septembre (25 septembre), annonçant que le gouvernement reprendrait «le contrôle des prix de l’électricité» avant la fin de l’année, quelle que soit l’issue des négociations à Bruxelles et à Paris,
Dans le sillon de l’extrême-droite : le «contrôle des prix», «C’est ce que demande le RN depuis des mois», a répondu le lendemain la leader du Rassemblement national, Marine Le Pen.
Une interpellation qui donne le ton, car «si les négociations avec EDF et les États membres ne fonctionnent pas, c’est l’impasse politique pour le président», prévient un représentant du secteur énergétique.
La France met la pression
En amont des propos du président, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avait déjà préparé le terrain en brandissant la menace.
Si les exigences de la France restaient lettre morte, «nous n’hésiterons pas à sécuriser, dans notre législation nationale, ce que nous proposons de faire en Européens», c’est-à-dire de réguler les prix de l’électricité, avait-elle déclaré.
Autrement dit, «la France est en train de mettre la pression aux autres États membres en leur disant « vous, vous bloquez, nous, nous avançons »», explique à Euractiv France Andreas Rüdinger, chercheur en transition énergétique à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).
Sauf qu’en menaçant de faire «cavalier seul», l’exécutif français prend deux risques.
Juridique d’abord, puisqu’il «n’y a pas d’analyse en profondeur sur la compatibilité juridique avec le droit européen ni d’étude d’impact sur une solution de régulation nationale», explique le chercheur.
L’exécutif français n’est donc pas assuré qu’une régulation des prix de l’électricité au niveau national soit validée par la Commission européenne.
Dans cette situation, «le gouvernement ne peut pas lâcher l’affaire à Bruxelles sur les CfD pour les actifs nucléaires existants», nous explique Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politique énergétique auprès du think tank européen Institut Jacques Delors.
Un risque politique ensuite, puisque les élections européennes approchent à grands pas. «Si le gouvernement donne le sentiment d’avoir cédé sur la régulation des prix de l’électricité, cela va être très compliqué ensuite pour défendre son bilan», avance M. Nguyen.
L’image de M. Macron en ressortira ternie, renvoyant l’impression qu’il se plie aux injonctions de Bruxelles, défend le chercheur : «Les partisans d’une sortie du marché européen de l’électricité l’attendront donc au tournant».
En toile de fond, pointe en effet le débat plus général sur l’ «écologie punitive» qui, selon la gauche radicale et l’extrême-droite, est incarnée par Bruxelles et sa volonté de libéraliser le marché.
«Ce débat [sur l’énergie] va avoir un énorme impact sur les élections européennes», affirme M. Rüdinger.
En France, le débat commence
À l’Assemblée nationale jeudi (12 octobre), le RN fait déjà campagne.
Selon le député RN Alexandre Loubet, le gouvernement s’est montré «soumis» aux exigences européennes, avec pour conséquence, selon lui, de maintenir des prix élevés de l’électricité.
«Les articles de presse se multiplient sur l’incapacité du gouvernement à défendre les intérêts des Français. Les articles de presse se multiplient sur votre incapacité [au gouvernement] à négocier à Bruxelles», a-t-il tancé.
En conséquence, «dans un an, les Français vous sanctionneront», prévient-il, prévoyant que les élections européennes de juin 2024 seront un échec pour le groupe Renew affilié à la majorité présidentielle.
L’exécutif aurait donc compris le besoin d’affirmer ses positions : «il sait qu’il a besoin politiquement d’affirmer la souveraineté de la France, tout en prouvant que les solutions binaires, comme la sortie du marché européen de l’électricité, ne sont pas les bonnes», nous explique M. Rüdinger.
«Emmanuel Macron marche déjà sur les plates-bandes des extrêmes en usant de termes souverainistes comme « reprendre le contrôle des prix de l’électricité », qui nous rappellent au « Take back control », slogan du Brexit», complète-t-il.
[Édité par Frédéric Simon]