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Énergie : les Européens se ruent vers le gaz naturel liquéfié… mais il n’y en aura pas pour tout le monde

Privée, ou presque, de gaz russe, l’Europe achète à prix fort du gaz naturel liquéfié, jusque-là réservé aux pays d’Asie. Mais entre aléas météo, déséquilibre de l’offre et incertitudes liées à la reprise chinoise, la compétition s’intensifie et plusieurs hivers tendus s’annoncent.

Aude Le Gentil , Mis à jour le
Le terminal méthanier de Fos-Cavaou, à Fos-sur-mer, en septembre 2022
Le terminal méthanier de Fos-Cavaou, à Fos-sur-mer, en septembre 2022 © IAN HANNING/Sipa

La demande progressait déjà depuis une dizaine d’années. Depuis février et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la bataille mondiale pour le gaz naturel liquéfié (GNL) s’est intensifiée. Avec la diminution drastique des livraisons de gaz russe vers l’Europe – et la menace que Vladimir Poutine coupe définitivement le robinet –, le Vieux Continent se tourne vers cette ressource stratégique venue des États-Unis, du Qatar, d’Algérie ou encore du Nigéria. Car, s’il est plus cher et plus polluant, le GNL a l’avantage d’être flexible et transportable par bateau des quatre coins du monde.

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Au premier semestre 2022, les importations ont augmenté de 5 % au niveau mondial et de 53 % en Europe, selon le Groupe international des importateurs de gaz naturel liquéfié (GIIGNL). Mais avec l’hiver qui approche, il n’y en aura pas pour tout le monde.

Un sursis avant le réveil chinois

Ces dernières semaines, la presse internationale a raconté comment la Chine, première importatrice de GNL en 2021, a donné un sursis aux Européens. Le quotidien économique japonais Nikkei a évoqué une « bouée de sauvetage ». En raison du ralentissement économique dû à sa politique zéro-Covid, la Chine s’est retrouvée avec des volumes de gaz superflus. Des quantités qu’elle a revendues aux Européens, leur permettant de remplir leurs stocks plus vite que prévu. Selon Nikkei, depuis le début de l’année, cela représente l’équivalent de 7 % des importations européennes annuelles.

Lire aussi - Énergie : 4 facteurs qui expliquent l’envolée des prix du gaz et de l’électricité en France

Mais combien de temps durera ce sursis ? « Le réveil de la Chine aura de fortes répercussions sur le marché », avertit Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politiques énergétiques à l’Institut Jacques-Delors. De même, des températures basses en Asie pourraient changer la donne, le Japon, la Chine et la Corée du Sud étant parmi les principaux importateurs de GNL. « On peut s’attendre à une exacerbation de la concurrence entre l’Europe et l’Asie », prévoit Vincent Demoury, délégué général du GIIGNL.

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Les Européens ne récupèrent que les miettes

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La Chine pourrait aussi décider d’accroître sa production de charbon – des centrales ont déjà été relancées – et ses importations par gazoduc depuis la Russie et l’Asie centrale. « Pour le Parti communiste chinois, la sécurité de l’approvisionnement énergétique est essentielle, il en va de la survie du régime, explique Thierry Bros, professeur à Sciences Po, spécialiste des enjeux énergétiques et notamment du gaz. Faute d’avoir signé des contrats de long terme, les Européens ne récupèrent que les miettes. »

Météo hivernale, stratégie russe : les autres inconnues

Les autres inconnues sont la météo en Europe cet hiver et l’attitude de Vladimir Poutine. Avec les premiers frimas, susceptibles d’inciter les foyers à allumer leur chauffage, les stocks pourraient déjà être entamés. Pour Thierry Bros, « le paramètre Poutine est supérieur au paramètre météo ». L’expert estime en effet que le maître du Kremlin « va jouer sur l’incertitude et adaptera son scénario à la météo ». 

Avant la guerre, la Russie représentait 40 % du gaz consommé en Europe, contre 9 % désormais. « Si Vladimir Poutine continue à nous envoyer le peu qu’il nous envoie aujourd’hui, ça passe, ajoute-t-il. S’il baisse les quantités, ça ne passera plus. » Entre ces différents aléas, les Européens pourront-ils se fournir assez en GNL pour faire face à un hiver froid ? « Pas sans une forme de sobriété », répond Phuc-Vinh Nguyen. 

Une réflexion à mener sur la durée

Et cette tension sur le marché va durer plusieurs années. Car, à moyen terme, l’offre de GNL ne pourra pas suivre la demande. « Il n’y a pas de quantités excédentaires à contracter, tout est déjà vendu », souligne Vincent Demoury. Les États-Unis, par exemple, ont promis de fournir 15 milliards de m3 supplémentaires à l’Europe dès cette année. Pas de nature à compenser les 155 milliards de m3 livrés auparavant par Moscou.

De même, les Européens ont entamé des discussions avec le Qatar, les Émirats arabes unis ou Israël mais ces contrats ne portent pas sur les prochains hivers. « Les usines de liquéfaction nécessitent quatre ou cinq ans avant de pourvoir entrer en service, développe le délégué du GIIGNL. Le marché ne pourra pas se rééquilibrer avant 2025 ou 2026. »

Lire aussi – Le gaz algérien peut-il permettre d’éviter les pénuries en France cet hiver ?

D’autant que les Européens ne sont pas encore assez équipés pour recevoir ces cargaisons. C’est pourquoi les projets d’infrastructures se multiplient : la France, bien pourvue avec quatre terminaux méthaniers, a lancé le projet controversé d’un terminal flottant au large du Havre , tandis que l’Allemagne, qui n’en comptait aucun, a annoncé sept projets de terminaux flottants.

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Jusqu’en 2026, il faut être clair, nous devrons nous serrer la ceinture

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Autrement dit, le marché sera tendu pendant plusieurs années et la menace de pénurie va s’installer. À moins d’une récession en Europe qui ne fasse chuter la demande… Les prix, eux, resteront élevés et volatils. « Les Asiatiques signent davantage de contrats de long terme et sont moins exposés aux variations des prix du marché », précise Vincent Demoury. « Jusqu’en 2026, il faut être clair, nous devrons nous serrer la ceinture, conclut Thierry Bros. Avant cette date, il n’y a pas d’autre solution que la sobriété subie. » 

Des pays d’Asie privés de gaz

« C’est le levier le plus pertinent, complète Phuc-Vinh Nguyen. La réduction de 15 % de la consommation de gaz proposée par la Commission européenne demande une mobilisation générale, mais permet d’aborder l’hiver sereinement. » Cela représenterait 45 milliards de m3 économisés, plus que la consommation annuelle de la France.

Déjà, cette bataille du GNL a fait deux victimes : le climat et les pays en développement d’Asie. Ces derniers mois, des navires méthaniers en partance pour l’Asie ont opéré un demi-tour pour s’offrir à plus offrant, dans des ports européens. « Certains pays comme le Pakistan, le Bangladesh et l’Inde, qui comptaient sur le GNL pour se passer du charbon, n’ont pas les moyens de surenchérir », raconte Phuc-Vinh Nguyen. 

Conséquences : des pénuries et le rallumage de centrales à charbon. Le Bangladesh a rationné l’électricité et demandé une aide au Fonds monétaire international (FMI) afin d’affronter cette crise énergétique. En juin, les coupures d’électricité étaient quotidiennes au Pakistan, alors que le pays affrontait une canicule extrême qui ont ensuite laissé place à des inondations meurtrières. 

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