Énergies : comment vivre plus sobrement ?

Véronique Badets

Par  Véronique Badets

Publié le 03/05/2022 à 15h21
Mise à jour le 26/04/2023 à 11h17

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En maillant son territoire de voies cyclables dédiées, la commune de Muttersholtz, en Alsace, a encouragé l’usage du vél...
© Ville de Muttersholtz

En maillant son territoire de voies cyclables dédiées, la commune de Muttersholtz, en Alsace, a encouragé l’usage du vélo chez ses habitants.

La guerre en Ukraine a crûment rappelé une nécessité déjà révélée par le changement climatique : réduire nos consommations énergétiques de façon importante et rapide est indispensable. Pour cela, la sobriété constitue un levier majeur, à portée de main des pouvoirs publics… et des particuliers.

Les pays de l’Union européenne (UE) finiront-ils par prononcer un embargo sur le gaz et le pétrole russes ? Question majeure qui sera débattue fin mai lors d’un conseil européen extraordinaire. « Dans les discours, les membres de l’UE se disent contre la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine. Mais quand on regarde les flux financiers, ils apparaissent en position de soutien financier actif : ils ont déjà versé 45 milliards d’euros à la Russie depuis le début du conflit pour lui acheter gaz et pétrole, souligne Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre énergie de l’Institut Jacques-Delors . Nous devons nous organiser sans tarder comme si un embargo sur le pétrole et le gaz russes était inévitable. Car cette guerre va durer. Si par miracle elle s’arrête rapidement, nos efforts pour réduire nos consommations ne seront pas perdus, et nous aurons agi pour le climat. »

Réduire nos consommations ? Beaucoup de Français l’ont déjà fait, contraints et forcés par les hausses de prix du carburant ou encore du gaz qui sert à chauffer maisons ou marmites. Mais l’enjeu aujourd’hui – celui qu’aura notamment à relever le nouveau Premier ministre en charge de la planification écologique – est bien d’organiser une réduction des consommations de façon juste et durable. Non seulement pour limiter les effets du séisme énergétique causé par la guerre en Ukraine, mais aussi pour sevrer progressivement notre société de sa dangereuse dépendance aux énergies fossiles. « Le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) nous alerte sur le fait que les ressources en gaz comme en pétrole se raréfient, alors que la demande mondiale augmente », rappelle Maxence Cordiez, auteur de Énergies, fake or not (Éd. Tana, 112 p. ; 13,90 €).

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Face à cette évolution, l’AIE encourage aujourd’hui activement les mesures d’économies d’énergie. Celles-ci peuvent prendre deux formes. D’une part, l’efficacité énergétique, autrement dit le recours à des technologies permettant de consommer moins pour un même service rendu : les ampoules LED, les pompes à chaleur en remplacement des chaudières au gaz ou au fioul, la rénovation thermique des bâtiments, etc. De l’autre, la sobriété, qui consiste à « nous questionner sur nos besoins et à les satisfaire en limitant leurs impacts sur l’environnement » (dixit l’ Ademe, l’agence de la transition écologique ). Cette démarche de modération présente un intérêt majeur dans le contexte actuel : peu d’investissement et des effets immédiats. Voici quatre leviers de sobriété qui permettent d’économiser l’énergie tout en faisant preuve de solidarité avec le peuple ukrainien… et les générations futures.

Diminuer la vitesse en voiture

Un abaissement des limitations de vitesse de seulement 10 km/h sur les autoroutes dans une trentaine de pays développés permettrait une réduction totale de consommation d’environ 290 000 barils de pétrole par jour, estime l’Agence internationale de l’énergie dans son plan pour aider ces pays à diminuer leur recours à l’or noir. Un bénéfice collectif en termes d’indépendance énergétique qui aurait aussi des répercussions sonnantes et trébuchantes pour les consommateurs. « Passer de 130 km à 110 km sur l’autoroute, c’est 23 % de carburant gagné pour huit minutes de “perdues” sur 100 km », a ainsi calculé Olivier Sidler. Cofondateur de l’ association négaWatt , ce consultant énergétique a évalué que les importations françaises de pétrole russe deviendraient inutiles si la vitesse était réduite de 10 km/h sur les routes et autoroutes, et si tous les Français diminuaient de 10 % leur kilométrage annuel (en rationalisant leurs déplacements par exemple).

Mais sommes-nous prêts à sacrifier un peu de notre liberté individuelle pour la paix… ou la planète ? Demandé en 2020 par les 150 participants à la Convention citoyenne pour le climat, le passage à 110 km/h de la vitesse maximale sur autoroute avait finalement été refusé par le gouvernement, déjà échaudé par la fronde des gilets jaunes contre les 80 km/h sur certaines départementales. Le spectre d’une troisième guerre mondiale fera-t-il bouger les lignes ? « Le rapport des Français à la vitesse est épidermique, constate Alexandre Joly, responsable du pôle Énergie au sein du cabinet Carbone 4. Pour faire bouger les mentalités, l’État pourrait décider rapidement d’insérer dans le permis de conduire un volet sur l’écoconduite. Cela permettrait de sensibiliser aux économies importantes induites par des changements de comportement au volant. »

Faciliter les mobilités douces

Un passe à 9 € par mois pour tous les transports en commun (hormis le train) sur tout le territoire. C’est l’une des mesures décidées ce printemps par le gouvernement allemand pour aider la population à faire face à l’envolée des prix du carburant. En France, se passer facilement de la voiture est rendu possible dans un nombre grandissant de villes (38 à ce jour) ayant opté pour la gratuité partielle ou totale de leurs transports publics. « Ce choix politique fait l’objet d’un débat foisonnant et passionné, constate Vanessa Delevoye, coordinatrice de l’Observatoire des villes du transport gratuit. Mais à Dunkerque, le constat est clair : rendre le bus gratuit tout en améliorant la qualité de service donne envie de le prendre ; 48 % des nouveaux usagers déclarent moins utiliser leur voiture. »

Bourbon'Net, bus numérique de conseil départemental de l'Allier pour faciliter les démarches administratives
© Laetitia Guyot/CD03

Dans certains départements ruraux, des bus spécialement aménagés apportent aux habitants l’accès à différents services publics. Et leur évitent ainsi des déplacements en voiture.

Développer une mobilité plus sobre n’est pas seulement l’apanage des grandes villes. Dans un pays où 40 % des déplacements de moins d’un kilomètre sont effectués en voiture, les marges de manœuvre existent partout. En Alsace, Muttersholtz (2045 habitants) a fait le choix de se doter d’un réseau cyclable en site propre qui relie les principaux services publics. Résultat : en juin 2021, 50 % des enfants de la commune prenaient le vélo pour se rendre à l’école, réduisant l’engorgement des voitures dans le bourg à l’heure de sortie des classes. « En milieu rural, se déplacer sans voiture s’avère plus difficile qu’en contexte urbain, souligne Barbara Nicoloso, directrice de l’association Virage Énergie . Mais des initiatives prometteuses se développent. Les tiers lieux offrent des espaces permettant de réduire les distances domicile-travail. Et de nouveaux services publics mobiles, à bord de bus ou de camionnettes, sont mis en place par certains départements pour aller à la rencontre des habitants sur leur lieu de vie. »

Modérer le chauffage

La moitié du gaz que nous utilisons en France sert à chauffer les immeubles (logements, bureaux…). La rénovation énergétique des bâtiments représente un levier majeur pour économiser l’énergie et réduire la facture des ménages. Mais elle prend du temps et nécessite de lourds investissements. À court terme, la sobriété s’avère une solution imbattable. Réduire de 2° C la température de nos locaux chauffés au gaz en France permettrait ainsi de se passer de plus du tiers de cette énergie achetée à la Russie, selon le calcul effectué par Alexandre Joly, du cabinet Carbone 4 .

Un geste inaccessible ? « En France, les logements sont chauffés en moyenne à 21° C, a constaté Olivier Sidler. Or, depuis 1979, la température réglementaire dans les bâtiments (hors hôpitaux, crèches, et résidences pour personnes âgées) est fixée… à 19° C ! On ne ferait donc que respecter la loi. » Loi que le gouvernement a rappelée dans une circulaire en date du 13avril 2022, demandant aux responsables de parcs immobiliers de veiller à la « stricte application de la réglementation existante en matière de chauffage des locaux ». Mais elle reste peu connue du grand public.

« Nos grands-parents étaient habitués à vivre avec une température de 17 °C-18 °C, rappelle Sylvain Godinot, adjoint au maire en charge de la transition écologique à Lyon, ville qui a décidé de veiller au strict respect de la consigne de chauffe dans son patrimoine immobilier. Et d’année en année, nos exigences de confort ont dérivé au point de trouver normal de vivre en tee-shirt à l’intérieur en plein hiver. » Nos habitudes de confort s’étendent aussi, l’été, à la climatisation. Qui sait ainsi que le code de l’énergie autorise son usage seulement quand la température intérieure des locaux excède les 26° C ?

Repenser l'éclairage public

En France, environ 93 % de l’électricité est produite grâce aux centrales nucléaires et aux énergies renouvelables. Mais lors des pointes de consommation, en saison hivernale notamment, le recours aux centrales à gaz et charbon (sur le territoire ou dans les pays voisins) s’avère nécessaire. « Économiser de l’électricité est important dans le contexte actuel, explique Olivier Houvenagel, directeur adjoint de l’économie du système électrique de RTE (Réseau de transport d’électricité). Il existe en effet une grande incertitude à la fois sur la disponibilité à venir du gaz mais aussi sur la production nucléaire, en partie ralentie par des soupçons de corrosion au cours de vérifications sur une dizaine de réacteurs. »

La basilique Notre-Dame de Fourvière à Lyon
© Jeff Pachoud/AFP

La basilique Notre-Dame de Fourvière et nombre de monuments remarquables de Lyon s’illuminent à la nuit tombée. Par souci d’économies, la ville a décidé de suspendre cet éclairage quatre jours par semaine pour certains d’entre eux.

L’extinction de l’éclairage public aux heures creuses de la nuit constitue l’une des mesures de sobriété les plus répandues aujourd’hui dans les communes françaises. À la suite du premier confinement et de la guerre en Ukraine, Lyon a aussi choisi de réduire son plan lumière en ne mettant plus en valeur, la nuit, les bâtiments remarquables de la ville, du dimanche soir au mercredi soir inclus. Un geste fort, destiné autant à réduire la facture qu’à montrer la voie d’un autre rapport à l’énergie.

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