Europe : Emmanuel Macron entre vision d’avenir et ambiguïté<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron prononce un discours lors de la Conférence sur l'avenir de l'Europe et la publication de son rapport avec des propositions de réforme, à Strasbourg, le 9 mai 2022.
Emmanuel Macron prononce un discours lors de la Conférence sur l'avenir de l'Europe et la publication de son rapport avec des propositions de réforme, à Strasbourg, le 9 mai 2022.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Discours de Strasbourg

À l’occasion de la journée de l'Europe, le président de la République a évoqué l’idée de développer une communauté politique européenne

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Sébastien Maillard

Sébastien Maillard

Sébastien Maillard, Directeur de l'Institut Jacques Delors, a été journaliste à La Croix.

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Atlantico : Emmanuel Macron était à Strasbourg ce mardi pour un discours attendu au Parlement européen, à l'occasion de la Journée de l'Europe. Que faut-il en retenir ? 

Christophe Bouillaud : Ce discours d’Emmanuel Macron s’inscrit dans le droit fil de son action européenne depuis 2017. Rappelons qu’il a toujours milité dans ses discours et dans son action pour un renforcement de l’intégration européenne. Il est lui-même largement à l’origine de la « Conférence pour l’avenir de l’Europe » qui vient de rendre ses conclusions officiellement en ce 9 mai 2022 au cœur de la Présidence française de l’Union européenne (PFUE) lors des six premiers mois de l’année 2022. Ces conclusions forment un vaste catalogue organisé en 49 sections de propositions pour renforcer l’Union européenne. Il a été produit de manière participative avec les citoyens européens ayant bien voulu se prêter au jeu. De fait, il hésite entre un discours des plus convenu à la Docteur Pangloss où l’on se promet d’être plus juste, plus efficace, plus proche des préoccupations des citoyens, plus écologiste, plus productif, etc. et quelques innovations souvent tirées de travaux préalables de la Commission ou de think tanks pro-européens.

Dans ce fatras, Emmanuel Macron a repris ce qu’il attendait à trouver dès le départ dans ce processus qu’il a lui-même initié : une demande d’une plus grande intégration dans tous les domaines. En conséquence, il propose fort logiquement de rouvrir la question institutionnelle, fermée depuis 2009 avec le Traité de Lisbonne, en ouvrant dès cette année la procédure formelle de révision des traités. Il s’agit en particulier d’étendre l’usage de la majorité qualifiée à d’autres secteurs de la décision européenne. C’est là le grand classique de tous les traités européens depuis l’Acte Unique de 1986 : de plus en plus de secteurs sont soumis au fil des traités successifs à la majorité qualifiée. Là, avec un éventuel nouveau Traité, on rentrerait vraiment dans le dur des compétences étatiques : la fiscalité, la défense et la politique étrangère, soit dans le secteur des compétences les plus anciennes des Etats européens, les plus vitales si j’ose dire. Cela n’est pas étonnant que 13 pays membres se soient déclarés ce même jour, hostiles à une telle réouverture de la discussion institutionnelle. 

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Par ailleurs, anticipant sans doute cette réaction hostile, Emmanuelle Macron a ressorti une très vieille idée, celle d’une Europe formée d’un noyau dur très intégré et d’une périphérie moins intégrée. Cela correspond à la fois à l’idée de créer une « communauté politique européenne » pour accueillir l’Ukraine sans avoir besoin d’en passer par les difficultés d’une adhésion pleine et entière et probablement aussi d’autres pays candidats, et à l’allusion à l’absence d’un forum propre au pays membres de la zone Euro. Il faut noter en passant que, de facto, cette périphérie de l’Union européenne existe déjà sous des formes multiples, que ce soit avec l’Espace économique européen (EEE), les accords bilatéraux avec la Suisse ou l’union douanière avec la Turquie, ou les accords couvrant les pays balkaniques ayant vocation à adhérer à terme à l’Union européenne.  

Enfin, comme de manière constante depuis le début de la crise avec la Fédération de Russie, il prétend ne pas fermer les voies du dialogue avec Moscou, dans une logique de différenciation européenne avec l’attitude actuelle de l’administration Biden aux Etats-Unis, ce qui n’est pas sans porter le risque d’apparaitre aux yeux de ses partenaires européens comme trop conciliant vis-à-vis de Moscou. 

Sébastien Maillard : Il y a d’abord à noter une fierté européenne en ce 9 mai, l’affirmation d’une Europe démocratique, citoyenne, en opposition au 9 mai de Moscou, guerrier et autocratique. Il a insisté sur l’efficacité pour montrer que efficacité et démocratie n’étaient pas incompatibles. C’était au cœur de son discours et c’est sans doute le défi de l’Europe face aux enjeux globaux. Emmanuel Macron était surtout attendu sur la question de l’élargissement. L’UE a reçu lescandidatures de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie. En tant que pays fondateur, la France devait esquisser un début de réponse. Emmanuel Macron a ouvert une troisième voie, celle d’une possible adhésion future complète, avec dans un premier temps une forme d’adhésion politique. Cela permettrait d’inclure ces pays dans la dynamique démocratique européenne et montrer qu’ils sont politiquement de notre côté, sans pour autant être membres de l’UE de plein droit. Cela donne des gages aux peuples et dirigeants des pays candidatant. Il a aussi plaidé pour une Europe avec différents niveaux d’intégration pour des approfondissements différenciés, sans être bloqués par l’empêchement de quelques-uns.

Avec les conclusions de la conférence sur l’avenir de l’Europe, on voit que les citoyens européens ont un désir de plus d’Europe, une Europe plus intégrée politiquement notamment. Le discours d’Emmanuel Macron s’inscrit-il dans cette lignée ?

Christophe Bouillaud : Il faut faire attention par ce qu’on entend ici par « citoyens européens ». Toute la manœuvre qui a présidé à la validation citoyenne de ces propositions de la Conférence pour l’avenir de l’Europe a reposé sur l’idée de tirer au sort des citoyens européens et de les faire discuter d’Europe sur des thèmes précis. Même si les organisateurs de ces discussions diront bien sûr le contraire, il y a fort à parier que seuls les citoyens soit les plus europhiles ou soit les plus vierges en la matière ont accepté de participer. Il n’est pas étonnant alors que le résultat final de ces discussions ressemble à un catalogue de tout ce qui traine dans les tiroirs de la Commission ou des think tanks europhiles depuis des lustres. On se trouve là face à une nouvelle technologie politique pour former l’impression dans l’espace public d’avoir une opinion citoyenne de son côté. 

Autrement dit, il ne faut pas confondre cette « voix du peuple européen » avec la réalité de l’opinion publique européenne. Cette dernière peut être elle-même être saisie de deux façons, soit à travers des sondages d’opinion, soit à travers les rapports de force partisans dans chaque pays. Pour ce qui concerne les sondages d’opinion, on mesure effectivement ces toutes dernières années une nette remontée des opinions pro-européennes, ce qui pourrait laisser penser qu’on pourrait raisonnablement se lancer dans une discussion institutionnelle à l’échelle continentale avec de bonnes chances d’aboutir à un saut fédéral. Par contre, si l’on regarde les choses à travers le prisme des rapports de force partisans dans chaque pays, on se doit d’être beaucoup plus prudent. Pour ne prendre que l’exemple de la France, le résultat du premier tour de l’élection présidentielle ne voit le score des candidats des partis officiellement les plus pro-européens  ne rassembler que 38,9% des suffrages exprimés (28% pour Macron, 1,7% pour Hidalgo, 4,5% pour Jadot, 4,7% pour Pécresse). Cela augure mal du sort d’un éventuel référendum sur un nouveau Traité européen en France, mais il est vrai qu’on peut toujours ratifier simplement par la voie du Congrès.

Donc Macron s’inscrit effectivement dans un moment où l’image de l’Union européenne est devenue plus positive et la demande d’intégration européenne est plutôt forte, mais il ne faut pas oublier qu’en cas de vraies discussions sur l’avenir institutionnel de l’Union, dans le cadre d’un processus référendaire par exemple, les choses ne seront sans doute pas si évidentes, en particulier en France. 

Sébastien Maillard : Il s’y est montré ouvert. Les élections de 2024 ne se tiendront sans doute pas dans les mêmes conditions que celles de 2019, avec par exemple de possibles listes transnationales. Je ne sais pas s' il pouvait aller plus loin à ce stade mais il a montré qu’il était dans de bonnes dispositions à l’égard d’avancées démocratiques.

Modifier certains aspects de l’Union Européenne - notamment le passage à la majorité qualifiée - nécessiterait la renégociation de certains traités. Emmanuel Macron s’y est dit favorable. Son discours va-t-il en ce sens ? 

Sébastien Maillard : Oui il s’est déclaré ouvert à la révision des traités européens. On peut aussi lire une réponse politique à des problématiques internes et notamment à la désobéissance prônée par la NUPES. La révision des traités plutôt que leur désobéissance. Mais on sait que la renégociation est un scénario long,difficile et incertain.

Christophe Bouillaud : Oui, tout à fait, il n’a pas tergiversé sur ce point. Mais comme je l’ai dit, c’est classique si l’on veut plus d’intégration européenne.

Emmanuel Macron est-il à la hauteur du moment européen ?

Sébastien Maillard : Il a montré le bon accueil qu’il réservait à la conférence sur l’avenir de l’Europe qu’il avait lui-même initiée. Et son idée de communauté politique européenne est une réponse à la fois réaliste et à la hauteur des circonstances nouvelles posées par la guerre. Le but est d’enclencher un cercle vertueux d’intégration et d’arrimer l’Ukraine à l’Europe. Si elle est soutenue par les autres pays de l’UE, la proposition a le mérite de pouvoir être mise en place rapidement, sans créer un nouveau « machin », comme disait De Gaulle.

Le Président de la République fait-il ce qu’il faut pour ne pas froisser ses partenaires, obtenir ce qu'il veut et faire bouger les lignes au niveau européen ? 

Christophe Bouillaud : Je ne suis pas sûr qu’il ne gêne pas quelque peu ses partenaires, comme bien des dirigeants français avant lui. Il a en tout cas obtenu avec les conclusions de la Conférence pour l’avenir de l’Europe une légitimité nouvelle à opposer aux dirigeants récalcitrants à son projet.  

Il reste cependant deux points de blocage qu’une telle Conférence prétendument démocratique ne peut pas dépasser. 

D’une part, celui le plus évident : beaucoup de dirigeants nationaux ne veulent pas aller plus loin dans le fédéralisme, soit parce qu’ils sont anti-fédéralistes eux-mêmes (comme les dirigeants polonais ou hongrois actuels), soit parce qu’ils pensent que leur peuple ne veut pas se fondre dans un tel ensemble (comme les dirigeants danois ou néerlandais).  Les événements, à la fois la crise du COVID et la réponse à l’agression russe de l’Ukraine, montrent alors pour ces dirigeants que l’Union européenne peut déjà agir beaucoup avec ses moyens actuels et qu’il est tout à fait inutile de se lancer dans une discussion institutionnelle. Les souvenirs de la séquence du début des années 2000 restent vifs. 

D’autre part, il y a le fait que ce soit un Président français qui propose cette évolution. En effet, comment oublier que c’est l’électorat français qui a fait capoter le projet de Traité constitutionnel européen en 2005 ? Comment oublier que la candidate du Rassemblement national a encore fait plus de 40% des voix au second tour de l’élection présidentielle française de 2022 ? Comment ne pas voir la contradiction française entre une visée européiste de ses élites politiques et la réalité d’une population française plutôt rétive ? J’ajouterai que, peut-être certains dirigeants des autres pays européens, sachant mieux que nous ce qu’est le fédéralisme en pratique, perçoivent aussi la contradiction entre notre attachement à la Vème République et le fait d’être un pays membre d’une fédération prêt à se plier parfois à la volonté de cette dernière. 

Sébastien Maillard : Il était important de montrer aux pays baltes et aux autres Etats très pressés à l’idée que l’Ukraine entre vite, qu’il n’était pas hostile à l’idée mais avait sa propre réponse politique à offrir. L’intégration différenciée ne doit pas faire plaisir à tout le monde, mais je pense que le discours est plus audible qu’il y a cinq ans, en raison des événements. Même les Pays-Bas parlent désormais de souveraineté européenne. Emmanuel Macron s’est rendu à Berlin lundi soir. Il est important que le couple Franco-Allemand se réaffirme dans sa nouvelle composition car il faut donner le signal que le leadership franco-allemand est là alors qu’il manque depuis le début de la guerre en Ukraine. 

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