Relance

Europe : un pas timide vers la solidarité

9 min

La Commission européenne a proposé fin mai un plan de relance d’une ampleur sans précédent. Une « preuve d’audace » pour sa présidente. Mais sera-t-elle suffisante ?

La président de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d'une conférence de presse à Bruxelles, le 2 avril 2020. Pour rembourser l'emprunt commun, la Commission propose de créer de nouvelles ressources propres à l'UE, comme une taxe sur les géants du numérique ou une taxe carbone aux frontières. PHOTO : Thierry Monasse/ZUMA Press/ZUMA/REA

L’épidémie de Covid-19 aura peut-être réussi à faire advenir une idée qu’on avait fini par ranger au placard des utopies : rendre l’Union européenne (UE) plus solidaire. Dans les premières semaines du confinement, la réponse économique des Ving-Sept a été timide. Seule la Banque centrale européenne (BCE), qui est montée au front en injectant des centaines de milliards d’euros dans l’économie, a fait bonne figure.

Puis fin mai, la Commission européenne a…

 

L’épidémie de Covid-19 aura peut-être réussi à faire advenir une idée qu’on avait fini par ranger au placard des utopies : rendre l’Union européenne (UE) plus solidaire. Dans les premières semaines du confinement, la réponse économique des Ving-Sept a été timide. Seule la Banque centrale européenne (BCE), qui est montée au front en injectant des centaines de milliards d’euros dans l’économie, a fait bonne figure.

Puis fin mai, la Commission européenne a proposé un plan de relance d’une ampleur sans précédent, aussi bien par son montant (750 milliards d’euros) que par son architecture. Baptisé « Next Generation EU », il a vocation à être financé par un emprunt souscrit en commun par tous les Etats membres au nom de l’Union. Son remboursement serait rendu possible par la mise en place de taxes européennes. Une première !

Ces 750 milliards d’euros viendraient s’ajouter au prochain budget européen de 1 100 milliards d’euros en discussion pour la période 2021-2027, et en hausse par rapport au précédent exercice budgétaire malgré le départ du Royaume-Uni intervenu entre-temps. L’intérêt d’adosser ces deux volets ? Permettre que les fonds de la relance soient utilisés en accord avec les priorités politiques formulées par la Commission européenne, comme la transition écologique, le numérique et la politique de cohésion.

L’emprunt commun n’est ainsi plus perçu comme un outil de résorption des erreurs passées de certains, ainsi que ses détracteurs l’ont souvent décrit, mais comme un instrument participant à la construction d’une trajectoire européenne commune.

En résumé, c’est une « preuve d’audace », selon la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Mais sera-t-elle suffisante ? Tout dépend désormais de la capacité des Etats membres à surmonter leurs désaccords pour concrétiser ce qui n’est encore qu’une proposition, et préciser les modalités concrètes de mise en œuvre des grands principes édictés par Bruxelles. Le sommet européen des chefs d’Etat qui s’est tenu à la mi-juin n’ayant (sans grande surprise) pas été conclusif, les discussions se poursuivront au cours de l’été.

Une union fragile

Fort heureusement, la BCE a réagi plus vite et plus fort qu’il y a dix ans. Les Etats ont également mis la main à la poche pour soutenir chacun leur économie nationale, aidés par la suspension temporaire du pacte de stabilité et de la réglementation relative aux aides d’Etat. Mais ces actions très utiles dans un premier temps ne peuvent suffire à limiter les conséquences de la récession de 7,5 % qui nous attend, selon les dernières prévisions de la Commission.

D’abord, parce que, héritage de la crise de 2008 oblige, tous les Etats ne disposaient pas des mêmes marges de manœuvre budgétaires lorsque la pandémie a frappé l’Europe. Particulièrement affectée par le virus, l’Italie n’a pu dépenser que 0,9 % de son produit intérieur brut (PIB) en soutien direct à son système de santé et à son économie, contre 2,1 % pour l’Allemagne, selon les calculs de l’institut Bruegel. Impossible donc de laisser la relance se dérouler au seul niveau national, sous peine d’une autocensure et d’une augmentation des coûts d’endettement de certains pays comme l’Italie, la Grèce et l’Espagne, considérés comme plus risqués par les marchés financiers.

Reste à savoir si cet argent sera redistribué aux Etats sous forme de dons, permettant ainsi de vrais transferts budgétaires, ou de prêts

Après quelques semaines de débats tendus autour de la question des « coronabonds », Emmanuel Macron et Angela Merkel ont donc fini par plaider pour un endettement européen sur les marchés. Ce qui met en position délicate les quatre pays « frugaux » (Autriche, Pays-Bas, Danemark, Suède), opposés au départ à toute mutualisation de dette. Cette idée, qui a fini par s’imposer devant la gravité de la crise, est le socle de la proposition de la Commission.

Reste à savoir si cet argent sera redistribué aux Etats sous forme de dons, permettant ainsi de vrais transferts budgétaires, ou de prêts, comme ce fut le cas par l’intermédiaire du Mécanisme européen de stabilité (MES) après la crise financière. La Commission a pour l’instant prévu un mélange : 500 milliards d’euros de dons et 250 milliards d’euros de prêts. « Nous pensons que la manière la plus saine de dépenser l’argent que nous emprunterons en commun en Europe est de le convertir en prêts », n’ont pas manqué de répliquer les frugaux dans les colonnes du Financial Times. Nul doute donc qu’ils chercheront à rééquilibrer la balance en faveur de cette seconde solution.

Conditionnalité

En en appelant au principe de « responsabilité » si cher à l’Europe, ces pays soulèvent également l’épineuse question de la conditionnalité qui devra être (ou non) attachée aux deux types de financements accordés. Encore peu précise sur ce point, la Commission a néanmoins laissé entendre que l’utilisation de l’argent de la relance serait contrôlée dans le cadre du « semestre européen », processus par lequel elle examine chaque année les budgets nationaux.

En clair, chaque pays récipiendaire devra présenter un programme de dépenses à horizon 2024 qui sera soumis à l’approbation des autres Etats membres. Même si cela est dit plus subtilement que du temps de la troïka, il subsiste donc un risque que ces aides soient conditionnées à la mise en œuvre des fameuses « réformes structurelles » néolibérales, que Bruxelles préconise systématiquement à tous les pays, année après année.

« Placer le contrôle des dépenses de relance sous la houlette du semestre européen renforcerait les pouvoirs de la Commission européenne au détriment de ceux du Parlement de Strasbourg et alimente cet espace flou de la démocratie européenne qui place l’assainissement budgétaire au cœur de ses choix », regrette le politologue Antoine Vauchez. Se pose aussi la question d’une conditionnalité écologique, pour l’instant inexistante. Autre voie possible : « une des conditionnalités pourrait être un engagement à dépenser cet argent rapidement », imagine Natalia Fabra, professeure d’économie à l’université Carlos III de Madrid. Le temps presse en effet pour éviter de tomber dans une spirale déflationniste qui nous coûterait cher en emplois.

Comment rembourser ?

Ces aspects réglés, adviendra une troisième question fondamentale à la réussite de la relance européenne : comment rembourser les fonds empruntés ? Etant donné que, traités obligent, le budget européen doit être à l’équilibre, trois solutions se dessinent a priori. La première consiste à diminuer d’autres postes de dépenses de l’Union, ce qui est difficilement audible dans le contexte actuel. La deuxième suppose d’augmenter la contribution des Etats membres au budget. Peu réjouissante également vu l’urgence, au contraire, à alléger leurs contraintes budgétaires.

Sont évoqués pour l’instant une taxe sur les géants du numérique, un impôt sur les profits consolidés des entreprises, l’introduction d’une taxe carbone aux frontières et l’extension du système d’échanges de droits d’émission de CO2

La Commission a donc opté pour une troisième voie plus novatrice : créer de nouvelles ressources propres à l’Union. C’est-à-dire des impôts européens. Sont évoqués pour l’instant une taxe sur les géants du numérique (qui rapporterait 1,3 milliard d’euros par an, selon les premières estimations de l’institution), un impôt sur les profits consolidés des entreprises (autour de 10 milliards), l’introduction d’une taxe carbone aux frontières (entre 5 et 14 milliards) et l’extension du système d’échanges de droits d’émission de CO2 (autour de 10 milliards également).

Les avantages sont multiples : « permettre au budget européen de gagner en autonomie grâce à la diminution de la part financée par les contributions des Etats membres, réduire à l’avenir notre besoin d’endettement de l’Union sur les marchés financiers », énumère Anne-Laure Delatte, conseillère scientifique au Cépii et chercheuse au CNRS.

Déjà affectés par la crise, les ménages ne seraient pas mis à contribution. Comme la Commission a proposé que les remboursements n’aient lieu qu’à compter de 2028, en espérant que la situation se soit améliorée d’ici là, les négociations sur la teneur et le niveau de cette fiscalité nouvelle ne sont pas aussi urgentes que le reste.

Néanmoins, les chefs d’Etat doivent s’accorder rapidement pour savoir s’ils acceptent au moins le principe de rehausser le plafond des ressources propres de l’Union à 2 % du revenu national brut européen, contre 1,2 % aujourd’hui. Sinon, le château de cartes sur lequel est construit le plan « Next Generation EU » risque de s’effondrer.

« Cette discussion sur le choix des impôts sera difficile car la fiscalité touche au contrat social de chaque Etat, anticipe Anne-Laure Delatte. Il n’existe pas un impôt qui fasse consensus au sein de l’Union. » On imagine mal en effet le Luxembourg, l’Irlande et les Pays-Bas, qui suivent une stratégie de paradis fiscal, voter en faveur d’un taux d’imposition commun à l’échelle de l’Union européenne. « La bonne manière de s’en sortir serait de raisonner avec des groupes d’impôts, plutôt que de chercher l’unanimité sur chacun d’eux. La mauvaise de concéder des rabais sur les taxes prélevées à l’un ou l’autre Etat membre pour alléger le poids des impôts qui ne lui plairaient pas », prévient Eulalia Rubio, chercheuse à l’Institut Jacques Delors.

Gouvernance

Au vu de toutes les questions à trancher, la mise en place d’un plan de relance européen qui tienne ses promesses est loin d’être acquise. D’autant que les chefs d’Etat doivent, en plus du plan de relance de 750 milliards d’euros, se mettre d’accord pour adopter le budget de l’Union pour les sept prochaines années. Et qu’on ne pourra, en sus de la discussion économique, faire l’impasse sur le débat démocratique nécessaire à même de garantir la légitimité politique des choix qui seront faits ces prochaines années. « L’enjeu dépasse le plan de relance », conclut Antoine Vauchez, coauteur d’un traité pour la démocratisation de l’Europe1.

Qui gagnerait combien ?

Quel Etat membre toucherait la plus grosse enveloppe de ce pactole de 750 milliards d’euros ? Pour le déterminer, la Commission a privilégié des indicateurs purement économiques (PIB, taux de chômage), sans prendre en compte le nombre de cas confirmés de Covid-19 ni de décès dans chaque pays.

Assez étonnamment, la Bulgarie et la Croatie sont pour l’instant les principaux bénéficiaires de la proposition soumise à discussion, devant la Grèce notamment, qui risque de payer un lourd tribut économique en raison de sa dépendance au tourisme européen. L’Italie arrive quant à elle en quatorzième position. Chaque pays se rêvant en bénéficiaire net, la liste des critères fera l’objet d’âpres négociations.

Qui gagnerait combien ?

Quel Etat membre toucherait la plus grosse enveloppe de ce pactole de 750 milliards d’euros ? Pour le déterminer, la Commission a privilégié des indicateurs purement économiques (PIB, taux de chômage), sans prendre en compte le nombre de cas confirmés de Covid-19 ni de décès dans chaque pays.

Assez étonnamment, la Bulgarie et la Croatie sont pour l’instant les principaux bénéficiaires de la proposition soumise à discussion, devant la Grèce notamment, qui risque de payer un lourd tribut économique en raison de sa dépendance au tourisme européen. L’Italie arrive quant à elle en quatorzième position. Chaque pays se rêvant en bénéficiaire net, la liste des critères fera l’objet d’âpres négociations.

  • 1. Pour un traité de démocratisation de l’Europe, par Stéphanie Hennette, Thomas Piketty, Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez, Seuil, 2017.

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Commentaires (2)
Thierry 25/06/2020
Les traités européens sont à l'évidence un pb tant pour la BCE que pour l'Europe. Pourquoi donc ne pas avoir le courage de convoquer les parlements pour autoriser l'Europe à emprunter auprès de la BCE, faire du déficit et agir par elle-même en concertation avec les états, ce qui serait bien plus cohérent que de laisser les états faire ou ne pas faire chacun de leur côté? En attendant d'avoir le courage de parler de la mutualisation des dettes des états et de leur possible annulation ?
Gourou51 25/06/2020
Une fois encore les pays de l'Est sont les grands gagnants! Compte tenu de leurs comportements vis à vis des autres pays de l' UE ( immigration, achats hors UE, dumping social....) il est grand temps de réorienter les aides. Italie, Portugal par exemple ;
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