Face à des prix de l’électricité exorbitants pour l’hiver prochain, une réforme du marché unique européen se dessine

En pleine crise énergétique et alors que les prix de l’électricité pour l’hiver prochain pourraient battre tous les records, notamment sur le marché spot, le monde politique français s’accorde sur la nécessité de réformer les mécanismes de fixation des prix de l'énergie au niveau européen. Attention à ne pas confondre vitesse et précipitation.

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Face à des prix de l’électricité exorbitants pour l’hiver prochain, une réforme du marché unique européen se dessine
Dans ce contexte de crise, la tentation est grande pour les politiques de vouloir modifier les règles du marché alors que les Etat s’apprêtent à débourser des milliards d’euros pour sauver des entreprises (sauvetage d’Uniper en Allemagne, renationalisation d’EDF en France) et soulager les consommateurs. Attention cependant à ne pas confondre vitesse et précipitation.

Ca s’agite en coulisses. Face à la crise énergétique qu’affronte le continent européen depuis plusieurs mois, une réforme des mécanismes de fixation des prix de l'énergie commence à faire son chemin au niveau européen. Le lobby forcené du gouvernement français en la matière y est sans doute pour quelque chose. Comme l’Espagne, l’Italie ou la Grèce, la France s’inquiète depuis plusieurs mois de l’«effet de contagion» des prix du gaz sur l’électricité. «Vous avez des prix d'électricité qui s'envolent et qui n'ont plus rien à voir avec les coûts de production d'électricité, ça suit le gaz, c'est absurde», s’est ému le 28 juin le président de la République, Emmanuel Macron, depuis l’Allemagne, où il était en déplacement pour participer à une réunion du G7.

Depuis les prémices de la crise énergétique au printemps 2021, l’obsession française a été saine : protéger le consommateur de la flambée des prix. De multiples mécanismes ont été mis en place en France comme dans d’autres pays européens, avec l’aval de la Commission européenne. L’idée de taxer les superprofits des énergéticiens a également été évoquée. Si limiter la hausse de la facture d’électricité pour les consommateurs est louable, ce n’est cependant utile que quand il y a de l’électricité disponible. Or, l’hiver prochain s’annonce compliqué. Avec la moitié du parc nucléaire français à l’arrêt actuellement et une réserve hydraulique en berne, la sécurité d’approvisionnement de la France est tout sauf assurée. «Le système électrique, comme la relation entre les Etats, va être soumise à rude épreuve», prévient Julien Teddé, directeur général du courtier Opera Énergie. Il assure que «la France ne passera pas l’hiver sans importer de façon massive» de l’électricité produite par ses voisins européens.

Inquiétudes autour du plafond du  prix spot en Europe

Déjà, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) s’inquiète d’une flambée des prix de l’électricité pour l’hiver prochain. L’autorité administrative indépendante, qui veille au bon fonctionnement des marchés de l'électricité et du gaz, appelle à réviser, ou à défaut suspendre, l’automaticité du relèvement du plafond de prix du marché de gros de l’électricité (atteint lorsque l’électricité totale offerte sur le marché est insuffisante pour répondre à la demande). Une mesure qu’elle préconise en raison du pic de prix qu’a connu le prix spot (du jour pour le lendemain) lundi 4 avril 2022. Ce jour-là, entre 7h et 9h du matin, un «épisode exceptionnel, résultant de la conjonction de divers évènements très peu probables», a provisoirement conduit à l’explosion des prix de l’électricité français, qui ont atteint jusqu’à 2990 €/MWh, selon un rapport de la CRE sur le sujet publié le 8 juillet.

Conséquence : le plafond du prix de l’électricité sur le marché, fixé à 3000 €/MWh avant cet évènement, est passé à 4000 €/MWh pour l’ensemble du marché européen. Cette augmentation a eu lieu en application d’une décision de l’Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER), équivalent de la CRE au niveau européen. Selon le texte, dès lors que le prix spot atteint 60% du plafond de prix pour une heure dans un pays, ce même plafond est automatiquement augmenté cinq semaines plus tard de 1000 €/MWh dans les 24 pays participant au marché européen de l'énergie. Cette règle a été imaginée «pour favoriser la sécurité d’approvisionnement et éviter la congestion [sur le réseau européen], rappelle Julien Teddé. Si un sous-jacent économique structurel fait que les prix spot tapent le plafond de prix à un endroit sur le marché unique, c’est qu’un producteur n’est pas assez incité à produire. Dans ce cas, il vaut mieux adapter le prix plafond et faire en sorte d’éviter la congestion». Un risque qui n’était pas présent le 4 avril dernier selon la CRE, qui estime que cet événement «ponctuel et improbable» ne justifiait pas «un changement aussi structurel qu’une hausse du plafond de prix sur le marché journalier».

Des industriels exposés à la hausse des prix sur les marchés

Ce qui inquiète en revanche la CRE, c’est l’hiver prochain, lors duquel «la survenue de tels pics de prix en Europe pourrait être liée à des événements géopolitiques qui échappent au fonctionnement normal du marché. Le plafond de prix pourrait alors être relevé à plusieurs reprises au cours de l’hiver au détriment des consommateurs.» Dans un rapport rendu public jeudi 26 juillet, la CRE estime que cela pourrait se produire «environ 200 heures par trimestre», «un scénario extrême». De son côté, RTE travaille sur «le passage de l’hiver».

Julien Teddé salue la proposition de la CRE, qu’il voit comme une «volonté de poser une limite à l’inflation folle des prix de l’électricité, alors que le marché s’attend à ce plafond du prix spot soit atteint à de nombreuses reprises dans l’hiver». Au 25 juillet, les prix en baseload (le niveau minimal de demande d'électricité requis sur une période de 24 heures) pour l’hiver prochain explosent pour atteindre une moyenne de 464,46 €/MWh au quatrième trimestre 2022 et 437,15 €/MWh au premier trimestre 2023. Selon les prévisions actuelles, les prix devraient rester élevés jusqu’au début de 2024 (316,58 €/MWh).

La raison de cette explosion des prix : la faible disponibilité du parc nucléaire français, qui agite les marchés. Si rien ne bouge, les importations vont être capitales durant la période hivernale. Historiquement, à cette période, la France est structurellement importatrice d’électricité et dépend donc fortement des capacités d’interconnexions européennes, aujourd’hui de 15 GW. «Nous allons avoir beaucoup de mal à nous reposer sur la capacité de nos voisins qui utilisent du gaz pour produire l’électricité», alerte Julien Teddé, alors que la pénurie pointe le bout de son nez. «Si l’Allemagne manque de gaz, elle ne va sans doute pas en brûler pour l’envoyer chez nous».

La faible disponibilité du parc nucléaire français inquiète

«Les prix de marché pour cet hiver sont dix-huit fois supérieurs au coût de production nucléaire», alerte de son côté le CLEEE. Contactée par L'Usine Nouvelle, l’association de grands consommateurs industriels et tertiaires français d'électricité et de gaz s’inquiète de la «position très difficile» des entreprises françaises et invite les autorités à plafonner les prix sur le marché spot «à un niveau qui pourrait être de 600 €/MWh» ainsi qu’à mettre en place «à titre exceptionnel d’un tarif réglementé d’urgence accessible aux entreprises» (le 100 €/MWh est proposé).

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L'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden) n’a pas non plus tardé à emboîter le pas du régulateur français. Dans un communiqué, elle estime que «cette règle d’automaticité doit être révisée d’extrême urgence, pour tenter de faire dégonfler les prix de gros et faire obstacle aux comportements opportunistes de certains acteurs, qui parient sur des hausses de plafonds successives mais ne mobilisent pas de moyens de production additionnels, contribuant ainsi à créer une spirale spéculative qui ajoute à la crise actuelle». Contacté par L’Usine Nouvelle, Laurent Courtois, vice-président de la commission électricité à l’Uniden, s’inquiète des prix «sans commune mesure anticipés pour cet hiver», alors que les industriels sont exposés aux alentours de 15% au prix spot. «Ce que l’on demande dans l’immédiat, c’est d’arrêter la casse en attendant une révision globale du fonctionnement du marché européen de l’électricité», résume notre intervenant.

La France, fer de lance pour revoir les mécanismes de fixation des prix

Dans ce contexte de crise, la tentation est grande pour les politiques de vouloir modifier les règles du marché alors que les Etats européens s’apprêtent à débourser des milliards d’euros pour sauver des entreprises (sauvetage d’Uniper en Allemagne, renationalisation d’EDF en France) et soulager les consommateurs. La gouvernement français milite âprement pour une réforme du marché unique, que l’ACER a pourtant encensé dans un rapport remis en avril et dans lequel elle salue «les efforts importants entrepris pour intégrer davantage les marchés de l'électricité en Europe» et qui «ont apporté des avantages significatifs aux consommateurs».

Un temps opposée à l’idée d’une réforme, la Commission européenne a changé son fusil d’épaule au regard de la situation actuelle. En juin, sa présidente, Ursula von der Leyen, a affirmé devant les eurodéputés que «ce modèle de marché ne fonctionne plus. Nous devons le réformer. Nous devons l’adapter aux nouvelles réalités des énergies renouvelables dominantes, les plus rentables et les moins chères». Actuellement, le mode de calcul des prix de l'électricité est critiqué, car il intègre le coût marginal de la dernière centrale appelée pour satisfaire la demande, qui est souvent dans les faits une centrale à gaz. «Celle-ci rend un service au système, explique Phuc-Vinh Nguyen, expert en politique énergétique à l’Institut Jacques Delors. Car sans elle, on se retrouve dans une situation où l’offre n’est pas suffisante pour répondre à la demande». En clair, une situation de blackout.

La Commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, rappelle que ce système «nous a été très bénéfique lorsque l’écart des prix des différentes sources d’énergie était raisonnable. Maintenant, lorsque l’un d’eux bondit, on en mesure directement les conséquences. On est donc en train de voir si l’on peut calculer les écarts différemment». Les discussions sont «bien engagées», assure à L’Usine Nouvelle le député de la Vienne Sacha Houlié (Renaissance), qui rappelle que «ça fait un petit moment que la France a établi que la construction du prix de l’électricité au plan européen lui est défavorable au regard des modalités de production et de la volonté de l’Etat de prendre le tournant du zéro énergie fossile».

Mais comment juguler l'influence démesurée du gaz naturel sur le marché européen de l'électricité ? La Grèce a sa petite idée. Dans un document interne au Conseil des ministres européens, le pays propose de fixer le prix de l'électricité produite à partir des renouvelables, de l'hydroélectricité et du nucléaire séparément de celle produite à partir du gaz et des autres énergies fossiles. Officiellement, la France n'a pas soutenu la proposition.

Attention cependant à ne pas confondre vitesse et précipitation en réformant un marché construit et peaufiné au cours des vingt dernières années, met en garde Phuc-Vinh Nguyen. «On apprécie le marché, son fonctionnement et les prix actuels par le prisme de la crise. Certes, il y a des dysfonctionnement sur ce marché unique, mais personne ne pouvait anticiper une situation où les prix du gaz allaient être multipliés par dix !» Selon le chercheur, «si une réforme à la marge peut sembler pertinente» aux yeux des décideurs, se précipiter serait une erreur. «Mieux vaut, là, tout de suite, sensibiliser la population et les entreprises à réduire leur consommation en prévision de l’hiver. Ca n’empêche pas de réfléchir à un design plus pertinent pour le futur.»

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