France's President Emmanuel Macron delivers a speech during the Conference on the Future of Europe and the release of its report with proposals for reform, in Strasbourg on May 9, 2022. (Photo by Ludovic MARIN / various sources / AFP)

Le président français a prononcé un discours fort le 9 mai 2022 devant le Parlement européen. (Photo by Ludovic MARIN / AFP)

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Face au spectacle des chars russes, celui des jeunes dansant dans les travées du Parlement européen. Face à un homme seul, entouré de généraux muets, plusieurs dirigeants et citoyens parlant librement à la tribune. Face à un discours guerrier et passéiste, une ode à la paix et à l'avenir. Pour ce 9 mai, "jour de la Victoire" sur l'Allemagne nazie à Moscou et "journée de l'Europe" à Strasbourg, deux visions du monde se sont affrontées, exactement comme le souhaitait Emmanuel Macron. "Chez nous, l'affirmation de la force des démocraties libérales et de leur pluralité. À Moscou, l'affirmation d'un modèle de révisionnisme historique qui verse le sang sur la terre ukrainienne", résume un conseiller du président français.

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Deux jours après sa cérémonie d'investiture, le locataire de l'Elysée a voulu tracer la feuille de route du continent pour les cinq ans à venir, dans un grand discours à Strasbourg. Il compte bien être le chef d'orchestre d'une transformation européenne rendue indispensable par l'agressivité de Vladimir Poutine. "Dans cinq ans, Emmanuel Macron aura atteint sa limite de mandats et son temps en politique nationale sera probablement écoulé, souligne le politologue Olivier Costa, professeur au Collège d'Europe. Comme Mitterrand, comme Chirac, il va vouloir laisser sa marque dans l'Histoire en se concentrant encore davantage sur les questions européennes et internationales."

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Le président en exercice du Conseil de l'UE doit d'abord gérer l'urgence. "Tout faire pour que l'Ukraine puisse tenir, et la Russie ne jamais l'emporter", a-t-il martelé. Depuis le début de la guerre, l'Union européenne impressionne par son unité et la puissance de sa réaction. Mais après deux mois et demi de conflit, le front européen commence à se lézarder : les Vingt-Sept peinent à se mettre d'accord sur un embargo pétrolier contre la Russie, et les intérêts nationaux ressurgissent au gré des taux d'inflation.

Harmoniser les positions européennes et contrer le récit américain

En Europe, deux lignes de conduite émergent sur l'Ukraine. "D'un côté, les partisans d'une ligne très dure, alignés sur les Etats-Unis, militent pour une victoire militaire ukrainienne totale et un affaiblissement de la Russie, remarque Marie Dumoulin, directrice du programme Europe élargie à l'European Council for Foreign Relations. De l'autre, certains estiment que la solution à cette guerre ne sera pas militaire mais passera par une négociation, ce qui suppose de maintenir ouverts des canaux de discussion avec la Russie." En reprenant le dialogue avec Vladimir Poutine le 3 mai, Emmanuel Macron incarne cette seconde voie, celle des réalistes.

Le président français, qui a fait de la souveraineté européenne son grand projet, ne voit pas d'un bon oeil l'escalade rhétorique opérée par les Etats-Unis contre Moscou et leur influence croissante en Europe. "Dans cette guerre, des jeux politiques apparaissent, souligne Sébastien Maillard, directeur de l'Institut Jacques Delors. Les Etats-Unis, via Nancy Pelosi ou Antony Blinken, se sont rendus à Kiev et envoient la majorité des armes à l'Ukraine... L'Europe doit se manifester afin de ne pas être diluée dans un camp occidental à dominance américaine."

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Après l'urgence de la guerre, Emmanuel Macron lance déjà le chantier d'une nouvelle architecture européenne. "Quand la paix reviendra sur le continent, nous devrons en construire les nouveaux équilibres de sécurité", s'est projeté le chef de l'Etat français. Paris montre une attention toute particulière pour les pays voisins de l'UE, susceptibles de rejoindre dans quelques années l'Union mais en première ligne face à Moscou. "Le président juge qu'il est urgent, dans le contexte de la guerre en Ukraine, d'ancrer tous ces pays - Ukraine, Moldavie, Géorgie mais aussi Balkans occidentaux - à la famille européenne", insiste un conseiller de l'Elysée. Sa réponse : la création d'une communauté politique européenne, un sas d'entrée de l'UE permettant de développer les partenariats avec nos voisins candidats à l'adhésion.

"Si les Ukrainiens sont traités de la même manière que l'ont été les pays d'Europe centrale et orientale, et que le sont aujourd'hui les pays des Balkans occidentaux, il n'y a aucune raison que l'Ukraine puisse entrer dans l'Union avant 2040", juge le politologue Olivier Costa. Ce processus d'adhésion sera d'autant plus complexe pour un pays qui mettra des années à se reconstruire.

L'Europe doit sécuriser son voisinage

Il y a pourtant urgence à trouver un nouveau modèle de coexistence avec nos voisins. Russie et Chine lorgnent avec intérêt l'est de l'Europe, notamment les Balkans, et la guerre en Ukraine vient confirmer le risque d'une déstabilisation de la région. "La situation actuelle est une opportunité pour rapprocher ces pays de notre sphère stratégique d'influence, avance Peter Grk, secrétaire général du Forum stratégique de Bled et des Balkans occidentaux. Sans action de notre part, nous aurons toujours un problème au coeur de l'Europe : des pays qui ne partagent pas nos valeurs regardent la région d'un oeil stratégique et se mêlent de nos affaires, de nos politiques. L'élargissement de l'UE n'est pas le problème, c'est une partie de la solution."

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Avant de s'agrandir, l'Europe doit aussi gagner en efficacité. Les crises du Covid-19 et de la guerre en Ukraine ont montré qu'elle était capable de réagir vite et fort. Reste à graver ces évolutions dans les textes. "La France souhaite introduire le droit d'initiative législative au Parlement européen [pour l'instant, il ne peut pas proposer directement des lois, NDLR] et lancer une révision de la Charte des droits fondamentaux pour y inscrire le droit à l'avortement ou encore le droit à l'environnement", détaille un conseiller d'Emmanuel Macron. Des réformes possibles uniquement en révisant les traités européens, comme l'a confirmé le président français le 9 mai.

Sur ce sujet, Paris va devoir organiser ; et gravir des sommets : une heure après son discours, le chef de l'Etat français recevait une missive de treize Etats membres, principalement d'Europe du Nord et de l'Est, se prononçant contre tout changement des traités. "Réviser les traités paraît, à chaque fois, impossible, pointe Olivier Costa. Mais si le couple franco-allemand pèse encore une fois de tout son poids dans ce sens, il peut convaincre les plus réticents. Quand Macron parle d'Europe à plusieurs vitesses, il le fait dans une perspective programmatique mais il crée aussi un rapport de force : si vous ne voulez rien faire à vingt-sept, nous le ferons de notre côté, à douze."

D'autant que le président français voit les planètes européennes s'aligner ces derniers mois : outre sa réélection, des dirigeants proeuropéens viennent d'arriver au pouvoir en Allemagne, en Italie, en Espagne ou aux Pays-Bas. Reste au chef d'orchestre Macron à mettre en musique ses plans européens.

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