Rendez-vous le 5 octobre à Grenade ! C’est face à la Méditerranée et à l’Afrique que se déroulera le troisième sommet de la Communauté politique européenne. Un changement de décor complet après la rencontre de jeudi à Chisinau, capitale de la Moldavie, aux portes de l’Ukraine en guerre. La cohorte des chefs d’État et de gouvernement – quarante-sept, venus de toute l’Europe sauf la Russie et la Biélorussie – prend ainsi conscience de la pluralité et de l’unité du continent. La première halte avait eu lieu fin 2022 à Prague et la suivante, en 2024, sera au Royaume-Uni.

À quoi sert la Communauté politique européenne (la CPE, pour les initiés) ? L’idée a germé après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Elle a été formalisée par Emmanuel Macron devant le Parlement européen et très vite adoptée. L’objectif est de cristalliser l’unité de tous les Européens face au Kremlin, de manifester l’opposition entre deux visions des relations internationales : l’une fondée sur la coopération et le respect du droit, l’autre sur l’agressivité et la loi du plus fort. L’enjeu est aussi de stabiliser les pays exposés au choc de l’agression russe. Ceux de l’Union européenne ont pu compter sur la solidarité communautaire. Mais les autres affrontent les événements en ordre dispersé.

La CPE vise à créer un sentiment de cohésion, alors que d’autres tensions restent vives, comme entre la Serbie et le Kosovo ou entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Pour les pays candidats à l’Union, elle pourrait aussi permettre de se familiariser avec un univers normatif exigeant, même sans avoir encore digéré le fameux « acquis communautaire ». Conçue comme une instance souple, sans secrétariat, elle enregistrera sans doute des résultats modestes. Mais elle préfigure, peut-être, l’Europe de demain.

Dans le domaine de la sécurité, le scénario le plus probable est que les prochaines années – voire décennies – seront marquées par une défiance profonde entre la Russie et le reste du continent. Les frontières de cette nouvelle guerre froide ne sont pas encore fixées : elles dépendront du résultat du conflit en cours. À moins d’un changement de régime à Moscou, très peu probable, un face-à-face durable s’installera, reposant sur une dissuasion réciproque entre l’Otan – c’est-à-dire les États-Unis, principal décisionnaire de l’Alliance atlantique – et la Russie. Chacun, se sentant menacé par l’autre, se retranchera derrière des systèmes de défense massifs. Les économies resteront découplées, les échanges culturels seront limités. Les esprits seront marqués à l’échelle d’une génération.

À l’ouest de la ligne de séparation, l’Union européenne sera le moteur principal de la nouvelle Europe. Mais elle sera soumise à de profondes mutations. L’élargissement à une dizaine de pays est aujourd’hui considéré comme inévitable, de façon à ne pas laisser d’espaces dans lesquels la Russie pourrait s’engouffrer. Il entraînera des réformes dans l’organisation de l’UE, qui devra en même temps tenir bon sur ses principes fondateurs : l’état de droit, le respect des droits fondamentaux, la solidarité et la justice sociale… (1) La CPE est une porte ouverte sur cette perspective d’avenir. Une ébauche vers la stabilité du continent, de Grenade à Chisinau.

(1) Lire « Les ”valeurs européennes” à l’épreuve de la guerre en Ukraine », de Thierry Chopin et Auguste Naïm, Policy paper N° 289 de l’Institut Jacques-Delors, mai 2023.