[Article mis à jour le 25/07/2022 à 16:20]
Et maintenant la France. Face à la crise énergétique qui secoue les Vingt-Sept du fait de l'offensive russe en Ukraine, le gouvernement d'Elisabeth Borne s'oppose à son tour au plan sobriété demandé par Bruxelles pour passer l'hiver sans gaz russe. La semaine dernière, la Commission européenne avait en effet appelé tous les Etats membres de l'Union à réduire leur consommation nationale de gaz de 15% minimum entre août et mars 2023, par rapport à la moyenne des cinq dernières années.
Après l'Espagne, le Portugal, la Grèce et l'Italie, l'Hexagone a donc lui aussi montré ce lundi son opposition à cette idée, expliquant ne pas être favorable à une cible de baisse de l'utilisation du fameux combustible uniforme à l'échelle du continent, selon le cabinet de la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.
- Lire aussi : Baisser de 15% la consommation de gaz : un objectif plus facile à réaliser en France qu'ailleurs dans l'UE
Tenir compte des capacités d'exportation
Car selon cette dernière, la réduction devrait tenir compte des spécificités de chacun. Ce mardi 26 juillet, elle proposera ainsi au conseil extraordinaire des ministres européens chargés de l'énergie que les Etats s'entendent plutôt sur des objectifs en fonction des capacités et de la situation particulière de chacun des pays membres. Et notamment de leur capacité d'exportation du fameux combustible chez leurs voisins, afin d'approvisionner ceux qui seraient le plus durement touchés.
Et pour cause, à quoi bon économiser le précieux hydrocarbure si les gazoducs manquent afin de l'envoyer là où les besoins sont élevés ? « On va faire le maximum pour aider nos partenaires européens [...] mais, ça ne sert à rien de faire des efforts en plus qui, de toute façon, n'auraient pas d'effet sur les capacités à aider nos voisins », précise-t-on au cabinet de la ministre, en assurant vouloir faire jouer à plein la solidarité avec l'Allemagne, très affectée par la crise du fait de sa lourde dépendance à la Russie en matière énergétique.
Et d'ajouter que « les capacités physiques de transfert de gaz de l'Ouest vers l'Est sont de toute façon limitées », en précisant que la cible de 15% de baisse de consommation de gaz évoquée par l'Union européenne pourrait avoir un impact important sur l'économie française.
Ces arguments rejoignent ceux mis en avant quelques jours plus tôt par Madrid et Lisbonne, qui ont rappelé la semaine dernière leur très faible exposition au gaz russe, et le risque pour leurs industries d'un objectif monocorde de baisse de la consommation. La ministre espagnole de la Transition écologique, Teresa Ribera, avait d'ailleurs critiqué une annonce qui ne tenait « pas compte des réalités diverses en matières d'infrastructures énergétiques ».
« On va potentiellement regarder lors des négociations s'il n'y a pas la possibilité, au-delà de la simple réduction de la consommation, d'utiliser les infrastructures disponibles pour aider à la solidarité européenne. Comme, par exemple, les nombreux terminaux méthaniers [qui regazéifient le gaz naturel liquéfié acheminé par navire des quatre coins du monde, ndlr] en Espagne, afin de redispatcher le gaz dans le reste de l'UE », expliquait jeudi à La Tribune Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politiques énergétiques européennes à l'institut Jacques Delors.
Plateforme de redistribution du GNL
Reste que, selon le chercheur, l'argument pourrait également avoir un autre but : celui de justifier la construction d'un terminal de regazéification du GNL au Havre, prévu dans le cadre du projet de loi sur le pouvoir d'achat. « La France consomme 40 milliards de mètres cube de gaz par an. Pour l'instant, sa capacité totale de regazéification s'élève à 35 milliards de mètres cube. Ce nouveau projet s'inscrit donc dans la logique de faire du pays une plateforme de redistribution du gaz en Europe, sans pour autant réduire la demande », estime-t-il.
Pour l'heure, l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher n'a en tout cas pas souhaité donner d'objectif précis de baisse de consommation du gaz pour la France. En-dehors du plan bruxellois, le ministère travaille néanmoins déjà sur un plan de réduction de consommation d'énergie (électricité et gaz) de 10% d'ici 2024, dont les contours devraient être précisés aux alentours de la rentrée.
Mesure disproportionnée pour la Grèce
En plus de ces quatre pays, Malte et Chypre ferait partie du clan des États réfractaires, selon le ministre grec de l'Energie Kostas Skrek. Sachant qu'environ 70% du gaz importé par la Grèce sert à la production d'électricité, ce dernier a expliqué qu'une telle réduction induirait très vraisemblablement des perturbations dans l'approvisionnement des particuliers comme des entreprises.
« Même si nous réduisons de 15% notre consommation, ça ne veut pas dire pour autant que plus de gaz ira en direction de l'Allemagne », a insisté le ministre grec.
Qualifiant la mesure de « disproportionnée », Joao Galamba, le secrétaire d'Etat à l'Environnement et à l'Energie du Portugal a, quant à lui, rappelé la semaine dernière que cette mesure serait difficile à mettre en œuvre au Portugal alors que le pays a été contraint « d'augmenter fortement sa consommation de gaz en raison de la sécheresse » exceptionnelle de cette année. Par ailleurs, a-t-il fait valoir, la proposition de la Commission « n'est pas adaptée pour des pays qui ne sont pas interconnectés » au réseau gazier comme le Portugal.