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Énergie

Gaz, pétrole, charbon russes : l’Europe veut son indépendance, et oublie la sobriété

Plateforme pétrolière en Russie.

La Commission européenne a dévoilé le 8 mars son plan pour s’affranchir des importations de produits fossiles russes. S’il défend les renouvelables, le document ignore la sobriété, une alternative pourtant prometteuse et facile à mettre en place.

« Ne pas dépendre d’un fournisseur qui nous menace ouvertement » : voilà l’objectif du plan « REPowerEU » de la Commission européenne, dont les grandes lignes ont été présentées mardi 8 mars, et qui seront débattues par les chefs d’État réunis à Versailles les 8 et 9 mars. Depuis le début de la guerre contre l’Ukraine, le 24 février, les têtes pensantes de Bruxelles s’échinent à trouver des solutions pour réduire la dépendance des vingt-sept États membres aux produits fossiles russes, qui représentent 45 % du gaz, 45 % du charbon et 25 % du pétrole importés par l’Union européenne (UE).

Cette addiction rapporte gros au régime de Vladimir Poutine : selon l’organisation Transport et Environnement, l’Europe octroierait chaque jour 285 millions de dollars (environ 262 millions d’euros) à la Russie pour couvrir ses besoins en pétrole. Afin d’éviter qu’elle ne puisse utiliser ses ressources comme une arme économique et politique, la Commission recommande d’accélérer la « transition vers une énergie propre ». En faisant l’impasse sur les économies d’énergie, au grand dam des organisations écologistes.

La stratégie de la Commission européenne s’articule pour le moment autour de quatre axes : accélérer le développement des énergies renouvelables, augmenter les capacités de stockage de gaz, renforcer l’efficacité énergétique et diversifier les sources d’approvisionnement des pays de l’UE. La Commission espère ainsi réduire de deux tiers la demande en gaz russe d’ici la fin de l’année, et rendre l’Europe complètement indépendante de Moscou avant 2030. « Le moment est venu de s’attaquer à nos vulnérabilités et de devenir rapidement plus indépendants dans nos choix énergétiques », a déclaré dans un communiqué le vice-président exécutif chargé du pacte vert pour l’Europe, Frans Timmermans.

Le transport de pétrole et de gaz passe par exemple par le port de Mourmansk, en Russie. Ici, en 2015. Flickr/CC BY-NC-SA 2.0/Grid-Arendal

Pour ce faire, la Commission envisage notamment d’augmenter ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL), qui peut être transporté par voie maritime. Cette proposition fait bondir Neil Makaroff, en charge des questions européennes au Réseau Action Climat (RAC). « Cela transformerait notre dépendance envers la Russie en une dépendance envers d’autres puissances, comme les États-Unis, le Qatar ou l’Azerbaïdjan », dit-il à Reporterre. Le GNL est un produit fossile, rappelle-t-il. « L’Italie a suggéré qu’elle pourrait rouvrir des centrales à charbon, d’autres pays veulent construire des terminaux méthaniers [qui permettent de regazéifier le GNL transporté par des navires]. Le risque est que l’on remplace le gaz, le pétrole et le charbon russes par d’autres sources d’énergie fossile. »

La « seule sortie de crise possible », selon lui, est « la transition écologique », grâce à l’essor des énergies renouvelables, l’accélération du rythme des chantiers de rénovation énergétique et la sobriété. « Ce sont autant de solutions qui peuvent baisser fortement notre consommation énergétique sur le très court terme », assure-t-il.

Des solutions « efficaces, peu coûteuses »

Pour le moment, la Commission rechigne à envisager une réduction de notre consommation d’énergie. « La politique la plus efficace et la plus économique à mettre en place est celle qui est la moins discutée, malheureusement », a regretté dans un communiqué Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre Énergie de l’Institut Jacques Delors. Son potentiel est pourtant immense, selon une note publiée le 8 mars par l’association Négawatt.

Malgré son important parc nucléaire, la France reste fortement dépendante du gaz et du pétrole russes, qui représentent 20 et 13 % de ses importations. Ces produits fossiles sont en grande majorité utilisés pour se déplacer, se chauffer et, dans une moindre mesure, produire de l’électricité. Grâce à des actions de sobriété simple (limiter la vitesse sur les autoroutes à 110 km/h, revenir aux 80 km/h sur les routes nationales, réduire de 10 %, ses déplacements en voiture, etc.), l’association estime que nous pourrions économiser environ 90 térawatts-heures (TWh) de pétrole, sur 140 TWh d’importation de pétrole russe par an.

Revenir à 80 km/h sur les routes nationales permettrait par exemple, selon Négawatt, d’économiser des TWh de pétrole. Flickr/CC BY-ND 2.0/Département des Yvelines/Nicolas Duprey/CD 78

Isoler les ballons d’eau chaude, abaisser la température de chauffage de 1 °C et réduire l’éclairage public permettraient également de réduire notre consommation de gaz. Une économie substantielle de 27 TWh (sur les 320 TWh dédiés en France au chauffage et la production d’électricité) pourrait ainsi être réalisée, selon les experts de Négawatt. « Ces solutions sont efficaces, peu coûteuses et assez simples à mettre en œuvre, dit à Reporterre Marc Jedliczka, porte-parole de l’association. Il est temps de s’y mettre sérieusement. »

Énergies renouvelables et méthanisation

La note de Négawatt propose d’autres pistes pour renforcer l’indépendance énergétique du pays : tout comme la Commission européenne, elle insiste sur la nécessité de développer massivement les énergies renouvelables, qui pourraient être mises en service dans des délais allant de quelques semaines (pour les plus petites installations) à deux ou trois années.

Contrairement à la sobriété, cette urgence semble prise en compte par le gouvernement. Le 9 mars, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a annoncé son intention d’affecter l’intégralité des recettes fiscales sur les produits fossiles au développement des énergies renouvelables et décarbonées. « Il ne s’agit pas pour autant de contourner les règles environnementales, précise Marc Jedliczka. Sur l’éolien offshore, par exemple, on traîne essentiellement pour des questions administratives, pour savoir si c’est le préfet maritime ou le préfet de région qui doit donner l’autorisation. On pinaille pour des choses qui n’ont pas beaucoup de sens en état d’urgence. »

Certes, les panneaux photovoltaïques et les éoliennes sont souvent produits à l’étranger et nécessitent des matériaux indisponibles en France. Mais « la nature de la dépendance des énergies renouvelables électriques aux matières critiques n’est pas de même nature que les filières qui dépendent d’un combustible, selon Négawatt. Une fois installés, les éoliennes et les panneaux solaires fonctionnent seuls ». La France pourrait également flécher des financements afin de permettre à une filière 100 % française d’émerger, selon Marc Jedliczka.

« C’est une stratégie majeure de reconquête de notre indépendance énergétique »

Négawatt mise également sur la méthanisation. La mise en service des projets à l’étude pourrait permettre de remplacer 20 % du gaz russe importé par la France. Le porte-parole de l’association estime que les risques pour les sols et la forte opposition des citoyens à certains de ses projets pourraient être dépassés en « faisant les choses correctement » : « Les projets collectifs, qui ne sont pas nécessairement de grande taille et sont pensés en concertation avec les citoyens ont plus de chance d’être compris et acceptés. »

En combinant économies d’énergie et développement des renouvelables, Négawatt estime que la France pourrait se passer des importations russes en l’espace de seulement sept ans, et ce sans relance du nucléaire, dont les récents évènements en Ukraine ont montré la vulnérabilité en temps de guerre. « Nous sortons d’une période de plusieurs mois au cours desquels la sobriété a été systématiquement dénigrée, conclut Marc Jedliczka. L’actualité nous montre qu’il ne faut plus la voir comme une option pour écolos attardés. C’est une stratégie majeure de reconquête de notre indépendance énergétique. »

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