Le logo de Gazprom lors d'un forum international sur le gaz, à Saint-Pétersbourg, le 7 octobre 2021

Le logo de Gazprom lors d'un forum international sur le gaz, à Saint-Pétersbourg, le 7 octobre 2021

afp.com/Olga MALTSEVA

D'abord l'Ukraine, puis désormais la Pologne. Alors que le conflit s'enlise dans le Donbass, Vladimir Poutine continue sa stratégie de déstabilisation de l'Europe en actionnant le levier énergétique. Depuis deux jours, les livraisons de gaz à destination des Vingt-sept transitant par ces deux pays frontaliers connaissent un reflux significatif. La première alerte est venue d'Ukraine mercredi 11 mai, quand l'agence gouvernementale allemande chargée de l'énergie a noté une baisse des volumes de gaz russes acheminés par le gazoduc "Brotherhood" passant par le territoire ukrainien. Une diminution de 25 % des flux qui constitue une première depuis le début du conflit, constatait l'agence.

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S'agissant de la Pologne, c'est même un arrêt complet du gazoduc (Yamal-Europe) qui a été annoncé par Gazprom. Dans un communiqué publié jeudi 12 mai, celui-ci indiquait que l'adoption des contre-sanctions russes lui interdisait "d'utiliser un gazoduc appartenant à EuRoPol Gaz" (la société qui exploite la partie polonaise du gazoduc). Depuis fin avril, Poutine avait de toute façon décidé de ne plus livrer la Pologne et la Bulgarie, ces deux pays ayant refusé de s'acquitter de la facture de ce gaz en rouble. Dans les faits, peu de gaz circulait dans le tuyau selon les experts.

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Heureusement serait-on tenté de dire. Car loin de s'arrêter à la Pologne, le tuyau Yamal-Europe continue sa route jusqu'à l'Allemagne, pour desservir le pays ainsi que le reste du continent. Pour Nicolas Goldberg, expert énergie chez Terra Nova et Colombus Consulting, cette manoeuvre du géant russe n'a "rien de surprenant". "Poutine continue son jeu de division des Européens et de pression", explique-t-il. Phuc Vinh Nguyen, du Centre climat et énergie de l'Institut Jacques-Delors, complète : "Petit à petit, l'oiseau fait son nid. Poutine multiplie les mesures pour garder les prix à des niveaux élevés. Ce n'est pas anodin, alors que l'Europe est en pleine négociation notamment sur l'embargo pétrolier". S'agissant des prix, le coup est probablement réussi. Entre mercredi et jeudi, le prix du Dutch TTF, gaz côté aux Pays-Bas faisant référence au niveau européen, a bondi de près de 11 % passant de 95 à 106 euros le mégawattheure, même s'il a un peu reflué depuis.

La tenaille gazière

Outre la question du prix, le patron du Kremlin peut-il mettre en péril la sécurité énergétique de pays européens qui cherchent à se détourner du gaz russe, mais en sont encore largement dépendants ? Peu probable dans l'état actuel des choses. L'hiver s'éloignant, la consommation de gaz, très saisonnière, se réduit progressivement en Europe. Les stockages sont remplis à hauteur de 38 % selon Gas Infrastructure Europe, contre 27 % au début du mois dernier. Par ailleurs, un calcul réalisé par la banque scandinave Svenska Enskilda Banken, ou SEB, rappelle que 30 % du gaz naturel russe vers l'Europe passe par l'Ukraine. Sur ce volume total, une portion seulement (entre 25 % et 30 %) n'est plus acheminée. Nicolas Goldberg rappelle en outre que les volumes perdus ces deux derniers jours sont en partie compensés par l'utilisation du canal Nord Stream 1 passant sous la mer du Nord. Au total, selon SEB, la perte liée à l'Ukraine représente 2 % de la consommation totale européenne.

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Poutine sacrifierait donc une manne économique pour une mesure de rétorsion au bénéfice incertain ? Certains experts jugent que la réduction du débit en Ukraine constaté il y a deux jours pourrait être également le résultat de perturbations décidées sciemment par les autorités locales sur leur sol. "Il est possible que l'Ukraine tente de faire pression sur la Hongrie pour qu'elle donne son accord à un embargo pétrolier de l'UE contre la Russie", explique dans une note un analyste de Commerzbank. "C'est difficile à dire. On a du mal à y voir clair dans le jeu des uns et des autres", reconnaît pour sa part Nicolas Golberg.

Ce qui est sûr, c'est que sans être dramatique, ces manoeuvres imposent une vigilance extrême. La campagne de remplissage des stocks, qui a débuté depuis plusieurs semaines, doit permettre à l'Europe de passer l'hiver prochain, qui s'annonce extrêmement tendu, avec un bas de laine suffisant. Mais les mesures prises par la Russie entravent ce remplissage et maintiennent donc l'Europe sous tension. "On voit bien que le remplissage des stocks avance bien. Le gaz naturel liquéfié est disponible notamment car la Chine est en confinement. Poutine essaie de garder la main, notamment à quelques jours de la mise en place de la mesure visant à ce que les Européens paient son gaz en rouble, qui doit intervenir d'ici à la fin mai. Il ne veut pas céder de terrain", explique Phuc Vinh Nguyen.

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