Des touristes russes débarquent d'un ferry dans le port de Kerch en Crimée le 18 août 2014

Certains pays ont déjà instauré des restrictions contre les touristes russes, comme la Finlande qui a décidé de réduire de 10% le nombre de visas délivrés à partir du 1er septembre 2022 (Photo d'illustration)

afp.com/YURI LASHOV

Faut-il interdire l'entrée des touristes russes dans les pays membres de l'Union européenne (UE) afin de punir Moscou de l'invasion en Ukraine ? C'est que souhaite ardemment Volodymyr Zelensky. "La sanction la plus forte consisterait à introduire des restrictions de visas pour les citoyens de la Fédération de Russie", réaffirme le président ukrainien dans un entretien exclusif à L'Express.

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La République tchèque, qui occupe la présidence tournante de l'UE, mettra cette question au menu de la réunion des ministres des Affaires étrangères européens les 30-31 août à Prague. Si le gouvernement tchèque ne délivre plus de visas aux simples ressortissants russes, d'autres pays sont en revanche défavorables à cette mesure, comme l'Allemagne, et les Européens avancent donc en ordre dispersé. Pour Cyrille Bret, chercheur à l'Institut Jacques-Delors, l'UE "n'a pas intérêt à s'aliéner 146 millions de Russes".

L'Express : L'interdiction des touristes russes dans l'UE a-t-elle des chances d'être adoptée par les Vingt-Sept ?

Cyrille Bret : En matière d'entrée et de séjour sur le territoire, l'unanimité des Vingt-Sept est requise. Les chances de succès de cette proposition sont donc limitées. Il était nécessaire que cette mesure soit mise à l'agenda du conseil de l'UE. J'estime qu'elle est à l'ordre du jour pour de bonnes raisons car il est choquant de voir de très nombreux touristes russes en Europe.

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Mais, dans le même temps, cette interdiction a peu de chance de prospérer et ce pour de très bonnes raisons car ce serait une vraie rupture. Cette mesure est en contradiction non seulement avec le principe fondamental de la liberté de circulation dans l'UE mais aussi avec les sanctions européennes qui sont jusqu'à présent dirigées contre un appareil étatique et non pas contre une population.

Certains pays ont déjà instauré des restrictions, comme la Finlande qui a décidé de réduire de 10% le nombre de visas délivrés à partir du 1er septembre, la République tchèque ainsi que les pays baltes et la Pologne qui ont durci depuis le début de l'offensive leur régime de visas pour les Russes. A contrario, d'autres Etats ne voient pas d'un bon oeil des éventuelles sanctions et n'entendent pas pénaliser le peuple russe...

Il est vrai que l'argument qui consiste à ne pas vouloir sanctionner tout un peuple est très fort. Si cette mesure était adoptée, ce serait une punition collective contre tout un peuple. Des Etats comme la France, l'Allemagne et l'Italie vont défendre une position de maintien des visas touristiques pour les Russes en soutenant des arguments très forts d'un point de vue juridique.

D'un point de vue stratégique, cette fois, cette interdiction consacrerait une rupture entre d'un côté l'Europe et de l'autre le peuple russe, ce qui présenterait des risques pour l'UE dans son ensemble. La force de l'Union européenne, ce ne sont ni ses armées, ni ses services de renseignements, ni ses technologies : c'est sa capacité d'attraction humaine. C'est dans l'UE que les Russes veulent être éduqués, être soignés, passés leurs vacances et placés leurs actifs. Moscou ne redoute pas les armées européennes mais elle redoute l'influence européenne, elle redoute sa capacité de séduction et d'attraction sur les Russes, donc une interdiction serait une absurdité stratégique. Stratégiquement, l'UE obtiendrait donc exactement l'effet contraire à celui qui est recherché.

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Par ailleurs, si vous sanctionnez un oligarque russe et que vous sanctionnez dans le même temps un propriétaire d'un magasin de sport russe, alors vous créez une solidarité de fait entre un membre du système Poutine et quelqu'un qui n'a rien à voir avec ce système. On ne peut pas traiter de la même façon un haut fonctionnaire de la Défense russe et un propriétaire d'une salle de gymnastique, sinon, ça serait dire qu'ils sont tous coupables au même titre, ce qui est très discutable. En résumé, le véritable intérêt de l'UE est de sanctionner le gouvernement russe et non pas de s'aliéner les 146 millions de Russes car si on le fait, alors on prive l'Europe de sa grande capacité.

L'interdiction de visas touristiques russes peut-elle toutefois séduire une bonne partie des opinions publiques dans les pays européens ?

Les opinions publiques, surtout celles des pays nordiques et des pays de l'est de l'Europe, sont habitées par un grand sentiment de solidarité avec les civils Ukrainiens. Cette solidarité se traduit d'ailleurs par des actes, elle ne se fait pas seulement dans la sphère médiatique. On peut donc penser que cette interdiction des visas touristiques pour les Russes apparaît comme une mesure de bon sens pour l'opinion publique. Elle serait un signe de solidarité supplémentaire avec les civils ukrainiens qui en ont besoin.

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