Publicité

Invasion de l'Ukraine : l'Occident déterminé, le Sud ambigu

Les pays occidentaux restent unis et déterminés face au Kremlin. Ailleurs prévaut plutôt une prudente neutralité, même si presque personne ne soutient concrètement le Kremlin.

La rencontre entre le président russe, Vladimir Poutine, et le président chinois, Xi Jinping, à Samarcande, en marge d'une réunion de l'Organisation de coopération de Shanghai, le 15 septembre 2022.
La rencontre entre le président russe, Vladimir Poutine, et le président chinois, Xi Jinping, à Samarcande, en marge d'une réunion de l'Organisation de coopération de Shanghai, le 15 septembre 2022. (Alexandr Demyanchuk/AFP)

Par Yves Bourdillon, Frédéric Schaeffer, Vincent Collen, Véronique Le Billon

Publié le 23 févr. 2023 à 14:45Mis à jour le 24 févr. 2023 à 12:00

Trois camps. Les partisans du Kremlin, qui rassemble une demi-douzaine de dictatures parias. Les Occidentaux et leurs alliés, unis et déterminés pour aider l'Ukraine et sanctionner Moscou. Ils représentent un septième de l'humanité mais représentent les deux tiers de son PIB. Et enfin les autres, dits du «Sud », qui désapprouvent la Russie sans la sanctionner pour autant, soit près des trois quarts des pays du monde pesant pour les quatre cinquièmes de la population mondiale.

Le Sud désapprouve la Russie sans s'y opposer pour autant

Leur neutralité est ambiguë. La plupart des pays d'Amérique latine, d'Afrique et du Moyen-Orient ont adopté une position prudente après l'invasion de l'Ukraine. La grande majorité désapprouve cette agression et a voté la résolution de l'ONU en ce sens lors de l'Assemblée générale du 2 mars 2022 . Seuls 47 pays sur 193 se sont abstenus ou n'ont pas pris part au vote, parmi lesquels l'Inde, la Chine, 4 d'Amérique latine et 17 d'Afrique (dont 8 ex-colonies françaises). Seuls la Syrie, la Biélorussie, la Corée du Nord, l'Iran, l'Erythrée et le Nicaragua s'affichent dans le camp du Kremlin. Et une motion appelant les troupes russes à quitter immédiatement le territoire ukrainien a recueilli la veille de l'anniversaire de l'invasion, ce jeudi, 141 voix (dont celle de la Serbie), pour 7 voix contre et 32 abstentions.

La quasi-totalité des pays du « Sud » désapprouvent, officiellement ou en privé, l'atteinte de Moscou à l'intégrité d'un pays. Pour autant, presque aucun n'a adopté de sanctions en raison d'une forte dépendance envers Moscou en matière d'hydrocarbures et d'armements, et afin de ne pas paraître à la remorque des Occidentaux. Beaucoup reprochent aussi, surtout en Afrique, un deux poids deux mesures des Occidentaux qui auraient fourni plus d'aides à la seule Ukraine qu'à eux tous pour leur développement et leur stabilité (108 milliards pour Kiev, mais… 160 milliards d'aide de l'OCDE aux pays du Sud).

Publicité

Ils s'avèrent peu sensibles à l'argument selon lequel ce conflit de haute intensité entre deux pays, dont un nucléaire, importe pour le monde entier. Le Brésil de Lula, jugeant Kiev aussi responsable que Moscou, et l'Inde critiquant la Russie par des déclarations alambiquées mais lui achetant son pétrole à prix cassé illustrent bien cette neutralité ambiguë.

Chine : un soutien implicite à la Russie

Xi Jinping bientôt en visite d'Etat à Moscou ? C'est ce que Vladimir Poutine a confirmé mercredi, après sa rencontre avec Wang Yi, le principal diplomate chinois. Ce dernier s'est rendu dans la capitale russe pour préparer cette visite qui pourrait avoir lieu en mars. Et célébrer « un partenariat franchissant de nouvelles frontières » en espérant multiplier les coopérations tous azimuts. Même si la Chine se garde bien, depuis le début du conflit, de soutenir ouvertement Moscou ou de lui fournir des armes. Ce dont Washington doute désormais. Antony Blinken, le secrétaire d'Etat américain, a prévenu après la conférence sur la sécurité à Munich que Pékin envisageait de donner des armes létales aux Russes .

« Dans cette guerre, la Chine fait preuve à la fois de pragmatisme et d'opportunisme, cherchant à combiner soutien implicite à la Russie et critique explicite des pays occidentaux, sans pour autant apparaître comme alignée sur Moscou. Le pays n'entend en aucun cas jouer le rôle d'arbitre mais tient à offrir l'image d'une puissance responsable », note Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique dans la revue « Politique internationale ».

Dans le contexte de la rivalité sino-américaine, « ce que cherche Pékin dans la guerre en Ukraine, c'est bien plus de s'opposer à Washington que de défendre Moscou, poursuit le chercheur. Les dirigeants chinois tentent d'instrumentaliser cette guerre pour, d'une part, discréditer les Etats-Unis et le modèle de gouvernance démocratique libéral et, d'autre part, assurer la survie de leur régime ». Mercredi, Vladimir Poutine a jugé que la relation russo-chinoise « stabilisait la situation internationale », alors qu'un plan de paix chinois pour l'Ukraine doit être rendu public ce jeudi ou vendredi.

Les Européens restent unis

C'est l'une des grandes réussites du camp occidental depuis le 24 février 2022 : les pays de l'Union européenne sont restés remarquablement soudés dans leur réponse à l'invasion de l'Ukraine, à l'exception notable de la Hongrie dirigée par le pro-russe Viktor Orban . « Les Etats membres sont toujours unis - certains le proclament comme jamais auparavant », écrit Aline Bartenstein, chercheuse à l'université de Hambourg, dans une note pour la Fondation Robert Schuman.

« Malgré la crise énergétique et l'inflation , le soutien des opinions publiques et des Etats à l'Ukraine ne se dément pas, observe Nicole Gnesotto, de l'Institut Jacques Delors. C'est d'autant plus surprenant que les Vingt-Sept avaient toutes les peines du monde à définir une politique étrangère commune vis-à-vis de la Russie avant la guerre ».

Héritage de cette difficulté, des dissensions sont apparues pendant les premiers mois du conflit. Des pays comme la Pologne ou les Etats baltes ont exprimé de l'animosité vis-à-vis de Paris et Berlin, accusés d'être trop accommodants avec Vladimir Poutine. L'appel d'Emmanuel Macron, en juin, à « ne pas humilier la Russie », est très mal passé à Varsovie et Tallinn.

Les récriminations sont moins fortes depuis l'automne. « Emmanuel Macron semble avoir changé de rhétorique et adopté le langage commun, c'est-à-dire le soutien à l'Ukraine jusqu'à la victoire », poursuit Nicole Gnesotto. Même si son interview à des médias français, après la conférence de Munich dans laquelle il expliquait qu'il ne fallait pas « écraser la Russie », a été plutôt mal reçue.

Publicité

Concrètement, le front commun des Vingt-Sept a permis l'adoption de sanctions sans précédent à l'unanimité (même la Hongrie les a votées), y compris pour des produits ultra-stratégiques comme les hydrocarbures. Malgré des négociations difficiles, le marché européen de l'électricité et du gaz a tenu bon et les mécanismes de solidarité qui favorisent les échanges entre les pays ont bien fonctionné. « La réponse a été rapide, unitaire et au final assez efficace », juge un ancien ambassadeur.

Et maintenant ? Que se passerait-il en cas de pénurie d'énergie l'hiver prochain ? Ou d'escalade militaire qui poserait la question d'un soutien militaire toujours plus important à l'Ukraine ? « Rien ne permet d'exclure un retournement des opinions publiques », prévient Nicole Gnesotto. « Plus on avance dans les vagues de sanctions, plus ça sera difficile, car on touche à l'os des intérêts nationaux de chaque pays », estime le même diplomate.

Les Etats-Unis tête de pont du soutien à Kiev

Ils ont été les premiers à mettre en garde contre Moscou - dès l'automne 2021 -, et ils sont ceux qui ont contribué le plus largement à l'effort de guerre : les Etats-Unis affichent depuis le début du conflit un soutien « indéfectible » à l'Ukraine, encore affirmé par Joe Biden en début de semaine à l'occasion de sa venue à Kiev et de son discours à Varsovie en Pologne.

Parfois accusée de mener une guerre par procuration , la Maison-Blanche a réussi malgré tout à se maintenir sur une ligne de crête : fournir l'assistance militaire réclamée par Kiev tout en évitant l'étincelle qui pourrait faire dégénérer la guerre en Ukraine en conflit mondial. Laissant souvent les Européens en première ligne pour gérer la relation avec Moscou, y compris quand Washington ne croyait pas aux initiatives d'Emmanuel Macron de maintenir le dialogue avec Vladimir Poutine, Washington a réussi à revitaliser l'Otan, et soutenu les alliés en fournissant du gaz naturel liquéfié pour consolider les réserves européennes.

Après un mandat Trump marqué par un positionnement ambigu à l'égard de Vladimir Poutine, la riposte à Moscou a été l'un des rares sujets de consensus politique à Washington. De quoi faciliter le vote des sanctions financières contre la Russie, mais surtout les dizaines de milliards de dollars de dépenses d'armement et de soutien humanitaire et économique en faveur de Kiev.

Dans une posture plus isolationniste, des républicains de l'aile droite du parti ont commencé à enfoncer un coin dans l'unanimisme politique, protestant maintenant contre la durée et le coût du conflit pour les finances publiques. La Maison-Blanche reste confiante sur le soutien majoritaire au sein du Congrès, mais devra maintenir l'engagement de l'opinion publique américaine, qui s'émousse. En entrant dans une deuxième année du conflit, le Trésor veut réactiver d'autres leviers contre Moscou, et notamment redonner un tour de vis sur les sanctions.

Yves Bourdillon, Frédéric Schaeffer, Vincent Collen, Véronique Le Billon

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité