Jean-Luc Mélenchon relance la polémique sur l’« intermittence » supposée du nucléaire

Invité du Grand entretien de France Inter mardi 7 juin, Jean-Luc Mélenchon réitèrait son opposition à l’énergie nucléaire. Une position qu’il maintiendrai s’il est dans les prochaines semaines nommé Premier Minsitre assure-t-il. [Yoan Valat]

Invité de France Inter mardi (7 juin), Jean-Luc Mélenchon réitérait son opposition à l’énergie nucléaire, affirmant que c’était « la source d’énergie la plus intermittente ». Une position qu’il maintiendra s’il est nommé Premier ministre dans les prochaines semaines, assure-t-il.

Selon le chef de file de la NUPES, l’énergie nucléaire serait même « aujourd’hui, la source d’énergie la plus intermittente » en France.

En cause, les approvisionnements en uranium interrompus du fait de la guerre en Ukraine ainsi que la mise à l’arrêt de la moitié des réacteurs français en raison des fortes chaleurs, interruptions qui devraient se poursuivre cet été.

Pourtant, selon Greg de Temmerman, directeur général du Think tank Zenon Research et coordinateur scientifique sur le projet ITER de 2014 à 2020 contacté par EURACTIV, la situation momentanée de la production d’énergie nucléaire en France, qui devrait se prolonger cet été, n’est pas exceptionnelle.

« Il est fréquent que des réacteurs produisent moins l’été pour s’adapter aux conditions hydriques », c’est-à-dire à la baisse du débit des cours d’eau, déclare-t-il. Puisqu’il est nécessaire d’utiliser de l’eau pour refroidir les réacteurs, cette réduction de la production énergétique « permet […] d’éviter de contribuer à l’assèchement et l’échauffement des cours d’eau. »

Pas d’intermittence

Même si Greg de Temmerman reconnaît que « en ce moment le parc nucléaire est sous tension », le chercheur précise que « il n’y a aucun problème de sûreté », ni de sécurité d’approvisionnement. Et ce, dans la mesure où « ces arrêts/ralentissements sont prévus et organisés ».

Ainsi, « on n’est donc pas dans l’intermittence » avance-t-il, a contrario des énergies renouvelables solaires et éoliennes. Les chiffres de RTE pour l’ensemble du mois de mai 2022 révèlent en effet que la production d’énergie éolienne varie du simple au quadruple en fonction des conditions météorologiques. Elle est ainsi passée d’un plus bas à 2177 mégawatts (MW) à un plus haut à 8335 MW, variant de 1 à 16 % de la production totale d’électricité française.

Production électrique française sur le mois de mai 2022 [RTE]

Pour le solaire, sa capacité productive est par nature intermittente puisqu’elle ne peut se concentrer qu’en journée.

La définition de l’intermittence réside ainsi dans l’incapacité pour une énergie d’être pilotée et de produire en fonction des besoins. « Ce qui n’est pas le cas du parc nucléaire installé », précise Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politiques française et européenne de l’énergie contacté par EURACTIV.

L’énergie nucléaire est en effet pilotable. Durant le mois de mai, ses capacités ont ainsi assuré 51 % à 72 % de la production d’électricité française. Et ce, alors que 27 réacteurs nucléaires sur les 56 que compte le parc français sont à l’arrêt, dont 12 pour contrôle d’éventuels problèmes de corrosion sous contrainte (CSC).

À ce sujet, EDF confirme pour l’heure la présence de CSC sur des tuyauteries des circuits auxiliaires des réacteurs de Civaux 1, Chooz 1 et Penly 1, ainsi que l’absence de corrosion sur le réacteur Chinon B3.

Des évènements qui interrogent sur le niveau de sûreté du parc nucléaire français. Si l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) considère dans un communiqué que la sûreté des installations nucléaires s’est maintenue à un niveau « satisfaisant » en 2021, elle appelle tout de même à placer ces questions au cœur des décisions des politiques énergétiques. Au moins au même niveau que les questions liées à la décarbonation de la production d’énergie qui occupent les médias.

La production française historiquement basse

En revanche, s’il maintient suffisamment sa production, le parc nucléaire connaît tout de même depuis le début de l’année une moyenne productive historiquement basse.

« La différence par rapport à un mois de mai normal est de l’ordre de 10 à 15 gigawatts (GW), c’est considérable » observe Thomas Veyrenc, directeur exécutif de RTE dans les colonnes du journal Le Monde.

De l’ordre de 48 GW en janvier pour une puissance installée de 61,4 GW, la capacité du parc est en effet passée sous la barre des 30 GW en mai. 

EDF vient donc de revoir à la baisse son estimation de production nucléaire pour l’ensemble de l’année 2022, passant de 295-315 térawattheures (TWh) initialement, à 280-300 TWh.

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2 ans de réserves de combustible

Côté stocks d’uranium, Greg de Temmerman se veut rassurant : « pour l’approvisionnement en uranium, EDF possède 2 ans de stocks de combustibles, ce qui permet de voir venir ». C’est en effet ce que précise la Société française de l’énergie nucléaire (SFEN).

De plus, selon un rapport du producteur d’uranium Orano, la France disposerait aussi d’un portefeuille de réserve sur 20 ans. Néanmoins, le rapport a été publié avant le début de la guerre en Ukraine. Or Orano déploie ses activités dans 7 pays, dont 3 situés en Asie centrale, souffrant des contraintes sur les voies de transit auxquelles fait référence Jean-Luc Mélenchon.

Il s’agit en grande partie de ressources en provenance du Kazakhstan, plus grand pourvoyeur d’uranium à l’échelle mondiale, avec 41 % de la production en 2018 selon un rapport de 2020 de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIEA) et de l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE.

À noter que la Russie est également productrice, à hauteur de 5 % du total mondial. Mais Orano n’est actuellement pas impliqué dans les exploitations russes, ce qui préserve le parc français d’un risque géopolitique lié à la Russie.

Par ailleurs, l’entreprise déploie également ses activités dans 4 autres pays dont l’impact de la guerre en Ukraine est moindre sur l’approvisionnement. À savoir la Namibie, le Gabon, le Niger et le Canada. Sachant que, selon les informations glanées par Le Monde auprès du Comité technique Euratom, la France s’est fournie à hauteur de 34,7% de ses besoins au Niger en 2020, et 9,9% en Australie. Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ayant pour leur part fourni jusqu’à 55% des approvisionnements français.

La France dispose donc de stocks, mais aussi d’un portefeuille de réserves dont une partie ne se concentre pas sur les voies de transit contraintes par la guerre en Ukraine.

« Il y a assez de stock pour plusieurs années et la France a suffisamment de fournisseurs different pour ne pas être prise au dépourvu » réaffirme Phuc-Vinh Nguyen.

Relance du nucléaire en France

En outre, pour maintenir le niveau de puissance installée du parc nucléaire français, il faudrait construire ou maintenir d’ici 2035 autant de réacteurs que prévoit d’en fermer la programmation pluriannuelle de l’énergie, soit 14.

Or, Jean-Luc Mélenchon déclare justement que « il n’est pas raisonnable de construire 14 réacteurs de plus ».

En 2017, Emmanuel Macron, en tant que candidat puis comme président, penchait également pour une réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique français. Une annonce qui s’inscrivait dans la droite lignée de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte votée lors du quinquennat précédent. Il était alors ministre de l’Economie, après avoir été conseiller auprès du président François Hollande.

Mais depuis, le Président a changé son fusil d’épaule. Le 12 octobre 2021, il présentait son plan France 2030 mentionnant le développement de nouveaux réacteurs nucléaire, notamment de petites tailles et modulaires, dit « SMR ».

Le 9 novembre 2021, le Président réitérait et rehaussait ses ambitions, déclarant à la télévision : « nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays ». Sans toutefois préciser combien et comment.

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Dans son rapport consacré à la filière EPR (réacteurs à eau pressurisée), la Cour des comptes juge pourtant nécessaire de confirmer les gains techniques et financiers de cette technologie de réacteur avant de lancer un nouveau plan de développement.

Le nucléaire dans la taxonomie verte

Avec les craintes sur l’approvisionnement gazier et pétrolier que suscite la guerre en Ukraine, l’électrification des usages fait donc l’objet d’une attention particulière de la part des décideurs publics.

Dès lors, le nucléaire apparait comme une solution. C’est en tout cas la position de la France et de ses alliés qui souhaitent intégrer le nucléaire dans la taxonomie verte européenne, qui définit les investissements pouvant être considérés comme « verts ».

Le Parlement européen doit se prononcer en juillet sur une proposition de la Commission européenne d’inclure le nucléaire et le gaz dans la taxonomie, sous certaines conditions.

Or, mercredi 8 juin, différents membres des commissions parlementaires qui travaillent sur le texte (la commission de l’environnement et celle des affaires économiques), ont déclaré qu’ils rejetteraient la proposition d’inclure le nucléaire et le gaz dans la taxonomie lors d’un vote prévu le 14 juin en commission.

L’incertitude plane donc sur l’avenir de la filière en Europe avant le vote du texte au Parlement européen début juillet en séance plénière.

La France, premier producteur et consommateur d’électricité nucléaire sur le Vieux Continent est en première ligne sur cette question.

Face à ces incertitudes, Phuc-Vinh Nguyen propose que soit repensé « notre rapport à l’énergie au sein de laquelle le nucléaire n’est qu’une composante ». En ce sens, il encourage les décideurs à promouvoir « un débat de société incluant les citoyens » sur l’avenir de l’énergie.

[Edité par Frédéric Simon]

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