La conférence de l’Institut Jacques Delors tente d’imaginer l’Europe de demain

« L’Europe ne sera jamais forte sur les questions de politique étrangère sans une refondation du principe d’unanimité. Le droit de véto entame la crédibilité de l’UE », a lancé Enrico Letta, président de l'Institut Jacques Delors [David Pauwels]

L’institut Jacques Delors organisait mardi (28 juin) sa conférence annuelle, intitulée cette année « La Promesse d’Europe ». L’occasion pour certains des plus grands acteurs de la scène européenne de revenir sur la guerre en Ukraine et imaginer l’Europe de demain.

Alors que l’Union européenne est au cœur de l’actualité internationale et la guerre fait un retour fracassant sur le continent, quel avenir pour les peuples européens ? Quelles valeurs européennes face à l’hostilité des pays autocrates ?

Ce sont ces questions qui ont guidé les débats et discours tout au long de la Conférence annuelle de l’Institut Jacques Delors. Cette conférence venait aussi clore le cycle de formation de l’Académie Notre Europe, créée en 2017 par le président de l’institut Enrico Letta dans l’optique de renforcer la « citoyenneté européenne » chez les jeunes, selon Sébastien Maillard, Directeur général de l’institut.

Repenser l’Europe « du sol au plafond »

Le ministre français des Affaires européennes Clément Beaune a ouvert le bal. Devant une salle remplie d’une centaine de jeunes passionnés d’Europe, le ministre a souligné « l’exigence d’unité » des pays membres face à l’agression russe et l’importance de faire une « promesse d’Europe » honnête et crédible à l’Ukraine et la Moldavie, nouveaux pays candidats à l’adhésion à l’UE.

« Cette guerre fait suite à plusieurs crises européennes et mondiales, face auxquelles l’UE a levé trois tabous », a-t-il ajouté. D’abord la sortie de l’Union, actée par les britanniques en 2016, puis la crise du Covid, qui a su mettre les pays membres d’accord sur un mécanisme de dette commune.

Quant au troisième tabou, qui a été au cœur des préoccupations de la présidence française du Conseil de l’UE (PFUE) qui se termine le 30 juin, M. Beaune a argué que la guerre en Ukraine avait forcé les acteurs européens à « revoir [leurs] modes d’action » notamment par la distribution d’armes, tout en imposant de « repenser du sol au plafond » la manière dont l’UE aborde sa stratégie géopolitique et sa souveraineté.

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Le vote à l’unanimité dépassé

Tout reprendre et tout repenser : c’est à cela qu’Enrico Letta, président de l’institut, ancien président du conseil des ministres d’Italie et maintenant secrétaire du Parti démocrate italien s’est attelé, à la suite de M. Beaune.

Répondant à quatre jeunes de l’Académie, M. Letta a été clair : « nous nous sommes réveillés le 24 février [premier jour de l’invasion russe en Ukraine] dans un monde où les sujets de guerre et paix sont redevenus centraux dans les débats européens ».

Face à cette nouvelle donne, le vote à l’unanimité pour les questions de politique étrangère européenne est dépassé, selon M. Letta : « L’Europe ne sera jamais forte sur les questions de politique étrangère sans une refondation du principe d’unanimité. Le droit de véto entame la crédibilité de l’UE ». De fait, une révision des traités s’impose.

Si l’octroi du statut de candidats à l’adhésion de l’UE à l’Ukraine et la Moldavie, actée lors du Conseil européen jeudi (23 juin), a été un message « historique », M. Letta soutient en parallèle le projet du président français Emmanuel Macron de créer une « communauté politique européenne » qui puisse forger des relations fortes entre l’UE, les pays candidats et les pays voisins qui partagent les valeurs européennes.

« Entre le statut de candidat à l’UE et l’adhésion de plein droit, il n’y a rien. C’est l’enfer » a-t-il décrié.

Enfin, questionné sur les notions de démocratie européenne, le président de l’institut a reconnu que « les votes aux élections européennes sont avant tout des votes nationaux. Le vote européen aujourd’hui n’existe pas ». Il appelle de ses vœux des listes transnationales afin de réconcilier les citoyens avec « leur » Europe.

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L’heure est à un « nouveau paradigme »

Comment faire vibrer l’Europe dans le cœur de ses concitoyens – un vaste enjeu auquel la présidente du Parlement européen Roberta Metsola a aussi souhaité répondre, alors que les extrêmes s’installent de plus en plus dans les paysages politiques européens – en témoigne le record historique du Rassemblement National aux élections législatives.

« Les taux d’abstentions aux élections européennes sont beaucoup trop hauts. L’UE souffre notamment de ne pas savoir parler aux jeunes : quelles sont leurs frustrations ? Qu’attendent-ils de l’Europe ? Mon boulot, c’est de leur donner des réponses », a dit Mme Metsola à EURACTIV France.

Face aux extrêmes, il faut « changer notre discours » et faire face aux vrais sujets : « il faut s’assurer que chaque citoyen bénéficie d’une protection adéquate. Il est aussi de notre responsabilité de palier aux injustices économiques ». C’est en prenant ces enjeux à bras-le-corps qu’une force du « centre constructive et efficace » pourra triompher.

Sur l’invasion russe, Mme Metsola a fait preuve d’offensivité : « cette guerre a mis en évidence l’échec de notre mémoire collective. Nous avions pris l’habitude de vivre dans des démocraties et avons oublié que certains de nos voisins veulent voir cette démocratie disparaitre ».

Selon elle, l’UE s’est « laissée surprendre » alors que les risques étaient connus. Même l’envoi d’armes à la suite du conflit « n’a pas été assez rapide ».

Un « nouveau paradigme » est donc nécessaire afin que « l’UE puisse s’approprier et façonner son propre destin, indépendamment des menaces qui pèsent sur ses frontières orientales », a-t-elle conclu.

Encore faut-il définir les contours de ce nouveau paradigme. Un travail ancré dans le concept « d’autonomie stratégique », formulé par M. Macron à l’aube de la PFUE. Et qui nécessitera, entre autres, de revoir la relation qu’entretient aujourd’hui l’UE avec la Chine.

« Le dernier sommet UE-Chine a laissé à désirer. La Chine reste évidemment un partenaire économique mais les questions relatives aux droits humains fondamentaux et à la protection des minorités ethniques en Chine doivent être mises sur la table », a expliqué la présidente à EURACTIV France au sortir de la conférence.

De quoi faire plancher la République Tchèque, qui prend dès vendredi (1er juillet) la présidence tournante du Conseil.

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