C’était un cri de raison lancé au milieu de l’immense carnage qui ravageait l’Europe. Trois ans jour pour jour après le début de la guerre, le 1er août 1917, le pape Benoît XV lançait un appel pour une « paix juste et durable » dans « une note diplomatique » adressée par le Vatican à tous les belligérants. Un texte explicitement politique. « L’Europe si glorieuse et si florissante va-t-elle donc, comme entraînée par une folie, courir à l’abîme et prêter la main à son propre suicide ? » écrivait Giacomo Della Chiesa. Pour trouver une solution au conflit, ce souverain pontife, élu le 3 septembre 1914 en même temps que s’embrasait l’Europe, évoquait aussi bien les indispensables garanties pour la liberté de navigation que la restitution des régions occupées et le recours à une commission d’arbitrage internationale pour les contentieux territoriaux.
« Cette note était profondément novatrice, avançant des idées très concrètes sur ce que pourraient être les conditions d’une paix juste et durable qui n’entérine pas seulement un rapport de force à l’issue du conflit, souligne Olivier Schmitt, auteur notamment avec Charles-Philippe David de La Guerre et la paix (Presses de Sciences Po, 2020). Elle insistait aussi sur la nécessité d’un jugement des responsables de la guerre, ébauchant ce que sera bien plus tard la montée en puissance de la justice pénale internationale. »
Bon nombre de ces thématiques seront reprises lors de la conférence de Versailles, notamment par le président Woodrow Wilson, mais le Vatican, en tant que tel, en sera exclu. Dans l’immédiat, cependant, l’appel papal fit l’unanimité contre lui. Georges Clemenceau pourfendit « le pape boche ». La droite cléricale et l’extrême droite hurlèrent contre « Pilate XV ». Les réactions côté allemand furent tout aussi virulentes, dénonçant, elles, « le pape des Français ». Chacun des deux camps, aussi bien les Alliés que les empires centraux, était encore convaincu de pouvoir l’emporter. La tuerie continua quatorze mois.
La valeur suprême ?
Cet épisode plutôt oublié, en particulier en France, résume nombre des enjeux qui se sont cristallisés depuis plus d’un siècle autour de ce que pourrait ou devrait être une paix juste. Le débat revient sur le devant de la scène alors que l’agression russe en Ukraine, commencée en 2014 avec l’annexion de la Crimée et la déstabilisation du Donbass, est devenue depuis le 24 février un conflit conventionnel interétatique de haute intensité qui fait ressurgir le spectre de la guerre sur le Vieux Continent.
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