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La guerre en Ukraine, accélérateur de la défense européenne ?

7 min

Face au retour de la guerre sur le continent, les 27 Etats membres de l’Union européenne ont frappé vite et fort, remettant la politique de défense au sommet de l’agenda. L’Otan fait également un retour en force.

« L’Europe a changé sous le coup de la pandémie. Elle va changer plus vite et plus fort sous le coup de la guerre. » C’est par ces mots qu’Emmanuel Macron a entamé les deux jours de sommet informel des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, à Versailles, les 10 et 11 mars. Deux jours pendant lesquels les leaders européens ont précisé leur vision de l’autonomie stratégique européenne, particulièrement dans les domaines de la défense et de l’énergie, que la guerre en Ukraine a placés tout en haut de l’agenda politique.

« Cette menace proche et immédiate, de la part d’une grande puissance nucléaire change le regard que portent les Européens sur eux-mêmes », analyse Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors.

Fin février, les Etats membres ont réagi à l’invasion de l’Ukraine avec célérité, en décidant d’infliger à la Russie des sanctions d’une ampleur inédite, d’accorder la protection temporaire à tous les ressortissants ukrainiens qui fuient leur pays et d’utiliser 500 millions d’euros de la « facilité européenne pour la paix », instrument créé en mars 2021, afin de transférer, pour la première fois dans l’histoire de l’Union européenne, des armes létales à un pays en guerre. Jusqu’à présent ce fonds, destiné à la prévention de conflits avait essentiellement servi à financer des missions de formation militaire en Afrique.

« Ces prises de décision rapides sont remarquables et surprenantes », commente Olivier Costa, directeur d’études au collège d’Europe de Bruges. « En cas de crise, on observe généralement un laps de temps de quelques mois avant qu’une solution politique soit bricolée. »

L’Union européenne découvre ainsi que, lorsqu’elle n’est pas minée par les divisions, elle est capable d’avancer vite. Pour Sébastien Maillard, la guerre en Ukraine provoque surtout « un éveil géopolitique de l’Europe », là où la crise du Covid avait davantage provoqué un saut d’intégration « avec le transfert de compétences au niveau européen, par exemple avec les achats groupés de vaccins ou l’endettement commun pour financer le plan de relance ».

Bouleversement tectonique

Reste qu’à Versailles, les 10 et 11 mars, les chefs d’Etat et de gouvernement des 27, dans leur déclaration finale, n’ont pas décidé grand-chose de supplémentaire par rapport à leurs décisions de fin février. Ils en sont restés à l’affirmation de grands principes face au « bouleversement tectonique » de l’invasion russe. Cela passe par l’augmentation de leurs dépenses militaires, des achats d’armes groupés, la mobilité militaire dans l’UE. Autant d’éléments qui figuraient déjà dans les « tuyaux » européens.

Seule annonce concrète à Versailles : l’augmentation de l’aide miliaire fournie à l’Ukraine, via la facilité pour la paix. Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité a évoqué un possible doublement de cette aide.

Le fait même d’utiliser cet instrument afin de fournir des armes létales à un pays en guerre était impensable il y a trois semaines. Cette rapidité d’exécution s’explique par différents facteurs, selon Sébastien Maillard :

« Les sanctions économiques étaient en cours de préparation depuis des mois, ce qui a permis de les dégainer très vite. Emmanuel Macron a joué un rôle prépondérant en préparant les esprits grâce à un narratif autour de la puissance et de la souveraineté. Mais c’est le basculement allemand qui a été décisif. »

Après avoir tergiversé quant à l’ampleur des sanctions à infliger à la Russie et rechigné à interrompre l’homologation du gazoduc Nord Stream 2, Olaf Scholz, chancelier Allemand, a en effet franchi le pas le 22 février en suspendant ce projet énergétique emblématique, reliant directement la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique.

Puis, l’Allemagne a opéré un retournement spectaculaire sur le terrain militaire. D’abord en décidant de participer à la livraison d’armes létales à l’Ukraine, ce que Berlin s’était toujours refusé à faire depuis la seconde guerre mondiale. Ensuite, en décidant d’allouer 100 milliards d’euros aux dépenses militaires dans son budget national de l’année en cours et d’atteindre les 2 % du PIB consacrés à la défense, soit le niveau auquel s’étaient engagés les membres de l’Otan.

Pas de tournant fédéral

« Résolument investir dans nos capacités de défense », tel est l’engagement des 27 à l’issue du sommet de Versailles. Cette orientation ne marque pas pour autant un tournant « fédéral » de l’Union européenne dans la défense, domaine « intergouvernemental » par excellence, où toutes les décisions se prennent à l’unanimité.

La facilité pour la paix, par exemple, est un instrument de 5,7 milliards d’euros, financé par les Etats hors du budget européen.

« Le but est aujourd’hui de passer de la simple coopération entre Etats à davantage d’intégration », décrit Sven Biscop, directeur de programme à l’Institut Egmont pour les relations internationales. « Il y a un momentum pour des mesures structurelles, par exemple l’harmonisation des équipements et des doctrines, l’intégration permanente d’unités nationales dans des divisions européennes, la création d’un commandement européen de drones de combat. »

La politique de sécurité et de défense commune est inscrite dans les traités de l’Union européenne depuis 1999, mais elle a progressé lentement. Les pays baltes ou ceux d’Europe centrale et orientale, très attachés à l’Otan parce que celle-ci leur assure la protection des Etats-Unis, première puissance militaire du monde, ont parfois freiné des mouvements vers davantage d’intégration.

L’Union européenne s’est tout de même dotée d’institutions propres, comme l’agence européenne de défense en 2004, et a envoyé une trentaine de missions civiles ou militaires à l’étranger.

Toutefois, ces actions restent embryonnaires, même si, depuis 2016, le thème de l’Europe de la défense devient incontournable En 2017, 25 Etats membres se sont lancés dans une « coopération structurée permanente », à travers laquelle ils s’engagent à augmenter leurs dépenses militaires et à coordonner leurs actions, via des projets communs.

Par ailleurs, 7,9 milliards d’euros du fonds européen de défense sont consacrés dans le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne, pour la période 2021-2027, à soutenir les investissements dans la recherche et le développement du secteur de la défense.

« Retour en grâce de l’Otan »

Malgré la montée en puissance de « l’autonomie stratégique de l’UE » dans les discours, particulièrement depuis le début de la guerre en Ukraine, la réalité est plus contrastée. Car, ces derniers jours ont aussi été ceux du « retour en grâce de l’Otan », rappelle Sébastien Maillard, après que Donald Trump a plongé l’Alliance atlantique dans une crise existentielle. Les gouvernements suédois comme finlandais ont, par exemple, évoqué la perspective d’une adhésion à l’Otan.

« Dès les premiers jours de la guerre en Ukraine, une division des tâches instantanée s’est mise en place avec, d’un côté, des sanctions économiques prises en charge par l’Union européenne et, de l’autre, un retour en force historique de la défense collective de l’Otan, qui est considérée comme la principale source de défense en Europe », détaille Julien Pomarède, chercheur au centre de recherche et études en politique internationale de l’Université libre de Bruxelles (ULB).

« La guerre pousse à une nouvelle réflexion sur la place de l’Union européenne dans l’Otan », ajoute Sébastien Maillard.

Et si les Européens parlent d’une même voix face à la Russie, les clivages traditionnels font discrètement leur retour. Les pays dits « frugaux », Pays-Bas en tête, ont à nouveau exprimé leurs réticences face à la suggestion française de financer des dépenses dans le domaine de l’énergie ou de la défense grâce à un nouvel emprunt commun.

L’attitude à adopter face à la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne a montré aussi des divergences d’approche. « Une fois l’émotion passée, quand il faut discuter de changements structurels, les négociateurs gardent la tête froide », conclut Olivier Costa.

Commentaires (5)
philippe Sellinas 15/03/2022
J'ai l'impression de lire un copier/coller du Monde (dans sa ligne de rédaction actuelle).
Gourou51 14/03/2022
On pourra y croire quand les membres de l'UE achèteront leurs armements au sein de l' UE et non pas aux USA....
JEAN PIERRE LEGUIL 14/03/2022
Les Allemands viennnent de décider d'acheter 30 "Rafales", euh non pardon, je voulais dire 30 "F35" américains ! Ouf ... :-((
FRANCOIS BONGAS 14/03/2022
Et de l'UE ce système à la Soviétique ou une caste de non élus dirige et ordonne les nations sous couvert d'un parlement de naïfs tout la DIET à Moscou. Bien à vous
FRANCOIS BONGAS 14/03/2022
MACRON notre jeune MONARC en rêve lui aussi. Et pourtant quelles que soient les "bonnes raisons" évoquées par l'institut DELORS cela ne se fera pas. En effet, depuis (presque) toujours nos "cousins" germains et parmi eux les hanséatiques qui détiennent et l'argent et le pouvoir ne veulent pas se retrouver dans un ensemble commun avec nous sauf à ce que nous soyons leurs serfs. Soyons, enfin, fiers d'être nous mêmes c.a.d français et nous inspirant de De Gaulle sortons du commandement de l'OTAN.
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