Sale coup pour l’unité de l’Europe des 27 et pour l’Ukraine. A peine aux manettes, le nouveau Premier ministre de la Slovaquie, Robert Fico, a annoncé l’arrêt des livraisons d’armes à Kiev. "Nous considérons l’aide à l’Ukraine uniquement comme une aide humanitaire et civile, nous ne fournirons plus d’armes à l’Ukraine", a déclaré Robert Fico jeudi 26 octobre, au lendemain de sa nomination à la tête d’un gouvernement de coalition, comprenant un parti d’extrême droite pro russe.
Après la Hongrie de Viktor Orban, un deuxième Etat membre de l’Union européenne rejoint donc le camp pro russe. De quoi inquiéter les Européens. "Le Kremlin a gagné un relais au plus haut niveau en Europe. Voilà un deuxième gouvernement au sein de l’Union européenne, qui dans son discours, reprend des éléments de langage russes", analyse Lukas Macek, chercheur spécialiste de l’Europe centrale à l’institut Jacques Delors. Le 17 octobre, la poignée de main de Viktor Orban à Vladimir Poutine à Pékin, lors du sommet des Nouvelles routes de la soie, avait jeté un froid en Europe.
Le retour de la Pologne dans le camp européen pèse davantage
La campagne électorale et les premières allocutions de Robert Fico ont été émaillées de propos antiaméricains et hostiles à l’Otan. Concrètement, l’Ukraine perd aussi un de ses plus fervents soutiens en matière d’aide militaire : la Slovaquie avait fourni pour 680 d’armement à l’Ukraine depuis le début de la guerre. Le terreau slovaque a aussi de quoi inquiéter : la population slovaque est l’une des plus réceptives aux médias « alternatifs » travaillés par la propagande et les discours complotistes russes.
La menace que fait peser la Slovaquie sur l’unité européenne doit toutefois être nuancée, juge Lukas Marek. D’abord, parce que la nomination de Robert Fico intervient après un autre revirement de poids dans le camp pro-occidental et proeuropéen : celui de la Pologne. Après huit années de pouvoir autoritaire, les élections législatives ont été emportées le 15 octobre par une coalition formée par l’ancien président du conseil européen Donald Tusk, un fervent européen.
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Au regard de la Slovaquie, le retour de la Pologne pèse bien plus lourd, sur tous les plans : militaire, diplomatique, démographique, économique… « Orban perd un soutien très précieux avec la Pologne, et il gagne, avec la Slovaquie, un allié avec lequel les relations historiques sont très problématiques », souligne Lukas Macek. Car l’alliance entre la Hongrie et la Slovaquie ne va pas de soi, loin de là : le Nation slovaque a fondé son récit sur l’opposition à une Hongrie aux velléités dominatrices.
Fico n’a pas les coudées franches
Deuxième bémol important : le gouvernement de Robert Fico n’est pas celui de Victor Orban. Tandis que le Hongrois a les coudées franches, le populiste slovaque devra, lui, composer avec une force modératrice : le parti Hlas (« voix » en français), né d’une fission au sein du parti populiste de Robert Fico (le Smer) et dirigé par l’ancien président du gouvernement (équivalent du Premier ministre) Peter Pellegrini.
Concrètement, les députés du Hlas pourraient se rallier à l’opposition si le gouvernement allait trop loin, à la fois sur les questions internationales mais aussi au plan intérieur. « Fico va obtenir la majorité pour sa déclaration de politique générale, mais, s’il prenait des positions trop radicales, il serait minoritaire sur les questions européennes », décrypte le chercheur.
D’ailleurs, Robert Fico a déjà reçu un premier avertissement de la part du Parlement slovaque : le jour même où il tenait un discours pro russe devant le Conseil de l’Europe, la Commission chargée des affaires européennes a adopté une déclaration dans laquelle on parle de la « nécessité de maintenir un soutien en tout genre à l’Ukraine », rapporte Lukas Macek.
D’un simple point de vue strictement militaire, l’aide de la Slovaquie – qui fut à la pointe du soutien à l’Ukraine – n’aura par ailleurs qu’une mince portée : les stocks militaires du petit Etat sont de facto quasi épuisés.
Les pro russes étaient déjà présents en Europe
Dernière nuance : les soutiens russes au sein de l’Union européenne ne sont ni neufs ni isolés. Le Kremlin a su s’allier des figures politiques importantes – François Fillon en France, Gerhard Schröder en Allemagne…
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Par ailleurs, "quelques têtes d’affiche sont pro russes sans être très visibles. C’est le cas par exemple du président croate et du président bulgare, dont le rôle est essentiellement protocolaire", observe Lukas Macek. En Bulgarie, le président Roumen Radev affiche des positions pro russes assumées et s’était opposé à l’envoi d’armes à Kiev, lors d’une visite de Volodymyr Zelensky à Bruxelles en février dernier. L’arrivée au pouvoir à l’été 2023 d’une coalition proeuropéenne a néanmoins permis à Sofia de se rallier au reste de l’Europe et d’autoriser la livraison directe de matériel militaire à Kiev.
Quant aux risques d’expansion d’un front pro russe au sein de l’Union européenne, ils semblent – pour le moment - contenus. L’Italie de Giorgia Meloni maintient sa ligne proeuropéenne et pro ukrainienne et résiste aux sirènes du poutinolâtre Matteo Salvini, le président de la Ligue du Nord.