► « Il est victorieux chez lui, mais isolé en Europe »

Lukáš Macek,chercheur associé à l’institut Jacques-Delors, directeur de Sciences Po Dijon dédié à l’Europe centrale et orientale

« Dans son discours de victoire, Viktor Orban a savouré un triomphe seul contre tous, au nez et à la barbe de ses partenaires européens. « Nous avons remporté une victoire exceptionnelle – une victoire si grande qu’on peut sans doute la voir depuis la Lune, et en tout cas certainement depuis Bruxelles », a-t-il déclaré. On ne peut pas parler d’un choc pour le camp proeuropéen, sa réélection était prévisible. Mais pas avec cette ampleur, pas avec le maintien de cette super majorité qui lui permet de changer la Constitution à sa guise. Ce succès de Viktor Orban galvanise toute la galaxie souverainiste et conservatrice représentée partout en Europe. Budapest va suivre avec le plus vif intérêt la candidature de Marine Le Pen en France. En Italie, Matteo Salvini, qui a été le premier à féliciter Viktor Orban, aimerait lui aussi créer la surprise dans son pays, même s’il est aujourd’hui fragilisé.

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Dans le même temps, la guerre en Ukraine fissure ce camp eurosceptique. À quelques jours du scrutin hongrois, le groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) a refusé de se rendre à Budapest pour un sommet des ministres de la défense. La ministre tchèque de la défense, Jana Černochová (parti ODS, a priori plutôt proche du Fidesz d’Orban), a eu des mots très forts, dénonçant un pétrole russe « plus important pour les politiciens hongrois que le sang ukrainien ». En Pologne, le PiS au pouvoir n’en pense pas moins.

En Slovénie, des élections auront lieu le 24 avril. Le premier ministre Janez Jansa est très proche de son homologue hongrois. Et pourtant, je doute qu’il se réclame trop fortement de Viktor Orban : il faisait partie de l’équipe de dirigeants, avec les premiers ministres polonais et tchèque, qui s’est rendue à Kiev pour manifester leur « soutien sans équivoque » à l’Ukraine, aux antipodes du leader hongrois, donc.

Il me semble que deux options se présentent à Viktor Orban. La première consiste à calmer le jeu, avec des gestes de bonne volonté vis-à-vis de l’Union européenne, à présent qu’il n’a plus à mobiliser sa base. C’est possible, car il sait se montrer très pragmatique. La deuxième voie est celle de la radicalisation, avec toujours plus de provocation en direction des partenaires européens. Mais pour cela, il lui faut des alliés, ce qui – nous l’avons dit – est loin d’être évident pour le moment.

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Après avoir quitté le PPE (droite), la plus importante famille politique du Parlement européen, avant d’en être exclu, le parti Fidesz de Viktor Orban se retrouve isolé sur la scène européenne, ses députés siégeant parmi les non-inscrits. Cette logique pourrait s’intensifier avec la mise en place du mécanisme de conditionnalité des fonds européens en cas d’atteinte à l’état de droit. Toutefois, ce ne sera certainement pas la panacée, sans un travail de clarification du débat sur ce qu’est une entorse aux valeurs fondamentales. »

► « Je doute qu’elle ait une influence sur les électeurs français »

Jean-Yves Camus,politologue, codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès

« Comme à chaque fois qu’un leader national-populiste remporte une victoire, l’extrême droite française a salué la victoire sans appel de Viktor Orban aux élections législatives hongroises. C’était le cas lorsque la Ligue de Matteo Salvini a fait un score historique lors des élections générales de 2018 en Italie. C’était déjà le cas lors de l’accession au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis et Jair Bolsonaro au Brésil.

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Dimanche soir, les partisans de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour se sont félicités de la victoire du Fidesz sur les réseaux sociaux. Mais je doute que cela ait une influence quelconque sur les électeurs français, qui n’étaient pas nécessairement au courant de la tenue de ces élections. C’est un pays d’Europe centrale à la fois peu connu des Français et dont les repères politiques sont extrêmement éloignés des nôtres.

Par ailleurs, l’étiquette d’extrême droite accolée au premier ministre hongrois ne rend que partiellement compte de sa vision politique. De mon point de vue, ce n’est pas sur la composante eurosceptique que Viktor Orban inspire l’extrême droite française, mais bien plus sur le social. Sur les questions culturelles et identitaires, c’est le programme d’Éric Zemmour qui est le plus en phase avec la conception de Viktor Orban. Il ne faut pas perdre de vue que les Hongrois votaient ce dimanche pour les législatives, mais aussi pour un référendum sur l’homosexualité dans les manuels scolaires.

En revanche, sur les thématiques sociales, le programme de Marine Le Pen est extrêmement proche de celui de Viktor Orban. Or, c’est la politique sociale de Viktor Orban qui lui a permis de l’emporter, grâce à des mesures très populaires : sa réévaluation des retraites, son augmentation du salaire minimum, ses cadeaux fiscaux aux ménages les plus modestes, ou encore sa prime à la naissance du troisième enfant.

Enfin, sur la guerre en Ukraine, Viktor Orban est d’une habileté politique redoutable. Il réussit le tour de passe-passe de condamner l’intervention militaire russe en Ukraine tout en gardant une relation de proximité avec Vladimir Poutine. Si bien qu’il n’est pas compromettant pour des candidats d’extrême droite à l’élection présidentielle française de s’afficher publiquement à ses côtés.

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Viktor Orban a promis la paix et la sécurité en cas d’obtention de la majorité des deux tiers pour le Fidesz, ce dimanche 3 avril. Ainsi, le premier ministre hongrois a été réélu en faisant campagne contre la guerre. C’est l’ampleur du résultat qui est frappante, plus que le résultat en lui-même. La ligne illibérale qu’incarne Viktor Orban ne cesse de se consolider en Europe. C’est un fait. Mais l’influence sur la vie politique française ne doit pas être surestimée pour autant. »