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L'«alliance Frankenstein» a gagné: gaz et nucléaire sont sur la liste des énergies vertes de l'UE

Mercredi 6 juillet, le Parlement a approuvé leur classification comme énergies durables, contre l'avis des scientifiques.

La France, de loin le plus gros producteur de nucléaire de l'Union, était très attachée à ce dossier. | Jametlene Reskp <a href="https://unsplash.com/photos/gQET6gAbrWQ">via Unsplash</a>
La France, de loin le plus gros producteur de nucléaire de l'Union, était très attachée à ce dossier. | Jametlene Reskp via Unsplash

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Dans cette affaire, le Parlement européen aura maintenu le suspense jusqu'au bout. Après avoir dit «non» en commissions parlementaires à la classification par la Commission du nucléaire et du gaz comme énergies durables, les députés européens, réunis en assemblée plénière, l'ont finalement majoritairement approuvée mercredi 6 juillet.

Comme il existe un label bio, il existe depuis juin 2020, au niveau européen, un label portant le doux nom de «taxonomie», applicable à un certain nombre d'activités économiques considérées comme «vertes». Et il est désormais prévu d'y introduire le gaz et le nucléaire. Ce label doit orienter les investissements privés vers des activités économiques contribuant à atteindre l'objectif de neutralité carbone que s'est fixé l'Union européenne (UE) à l'horizon 2050. Car la transition environnementale à un coût et l'UE veut pouvoir mobiliser au-delà des financeurs publics.

Des activités dites «de transition»

Pour mettre en œuvre la règlementation sur la taxonomie, la Commission européenne avait déjà publié, il y a un an, une liste d'activités jugées vertes. Par exemple, sont considérés comme durables les investissements dans la production d'électricité à partir d'énergie éolienne, d'énergie marine ou de centrales hydroélectriques, les investissements dans les réseaux de collecte et de traitement des eaux usées… La liste compte aujourd'hui quatre-vingt-huit activités, auxquelles devraient donc s'ajouter six autres, liées au gaz et au nucléaire.

Car le 31 décembre 2021, peu avant minuit, à l'heure où les organisations écologistes avaient la tête dans les cotillons, la Commission a publié une classification complémentaire intégrant ces deux énergies dans la taxonomie, au titre d'activités dites «de transition». Les lobbies du nucléaire et du gaz, et les États européens qui militaient à leurs côtés, ont alors sabré le champagne. La France en particulier, de loin le plus gros producteur de nucléaire dans l'Union, est très attachée au dossier.

Au Conseil de l'Union européenne, l'autre institution clef à Bruxelles qui réunit les Vingt-Sept, Paris avait fourbi ses armes en s'alliant à la Pologne, et derrière elle aux pays d'Europe de l'Est, qui misaient alors sur le gaz pour réduire leur dépendance au charbon.

Une alliance fatale

À l'instar du Parlement européen, les Vingt-Sept peuvent mettre leur veto à la classification proposée par la Commission. Mais il ne devrait rien en être, car l'alliance des défenseurs du nucléaire et du gaz l'emporte sur les autres pays. Celle-ci a été déterminante quand la Commission européenne a dû apposer un label vert au nucléaire et au gaz, alors même qu'un groupe d'experts avait préconisé le contraire.

Une fois adopté par le collège des vingt-six commissaires européens, présidé par Ursula von der Leyen, l'acte classant le gaz et le nucléaire dans la taxonomie devait poursuivre son chemin institutionnel sans embûches. L'horizon semblait dégagé du côté du Conseil et on allait voir ce qui se passerait du côté du Parlement. Et comme l'a montré le vote de mercredi, l'alliance des partisans du gaz et du nucléaire –«l'alliance Frankenstein», disent ses détracteurs– a été fatale aux eurodéputés qui dénonçaient un greenwashing.

D'autant que le Parlement européen, une assemblée pourtant rompue au compromis, s'est retrouvé face à un texte que le droit européen n'invitait qu'à approuver ou rejeter, sans possibilité d'amender l'acte de la Commission, comme les députés le font régulièrement pour les propositions législatives de cette instance. Cette fois, c'était à prendre ou à laisser.

Les antinucléaires allemands, en guerre contre la classification de la Commission européenne, ont perdu la bataille de la taxonomie, ne réussissant pas à rallier les députés d'autres pays à leur cause, ni au sein de Renew, le groupe centriste du Parlement, dont la délégation française est la plus importante, ni du côté des conservateurs européens du Parti populaire européen (PPE).

Avec les voix des eurosceptiques et de l'extrême droite européenne, l'affaire était entendue, malgré le vote massif de la gauche, des Verts et des sociaux-démocrates contre l'intégration du gaz et du nucléaire dans la taxonomie.

«L'UE dans ce qu'elle a de pire»

«Il s'agit purement et simplement d'un jeu politique joué par la France!», s'est époumoné le député écologiste néerlandais Bas Eickhout, lors d'un débat houleux la veille du vote. Cette classification fait d'autant plus les affaires de Paris que le président Emmanuel Macron a annoncé, en début d'année, la construction d'ici à 2050 de six nouveaux réacteurs nucléaires EPR, le premier devant entrer en service en 2035. Et à la Commission européenne, le commissaire français, Thierry Breton, s'était montré un ardent défenseur de l'application de la taxonomie au gaz et au nucléaire.

Pour Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre de l'énergie de l'Institut Jacques Delors, «cette décision, c'est l'Union européenne dans ce qu'elle a de pire: l'UE comme empire de marchands de tapis, du côté des lobbies comme des États, où chacun tire son avantage politique». Le chercheur fulmine, considérant que l'avis des scientifiques est passé au second plan. Car les règles sur la taxonomie prévoient que pour être jugée durable, une activité économique doit avoir des retombées positives sur l'environnement et ne pas créer de dommages «significatifs».

Le gaz fossile, émetteur de gaz à effets de serre, ne se qualifie sur aucun de ces critères. Et si le nucléaire est vert en émission carbone, la gestion de ses déchets pose problème. Face aux eurodéputés, mardi soir, la commissaire européenne aux services financiers, Mairead McGuinness, n'a pas dit le contraire: «Le gaz est une énergie fossile, ce n'est pas une énergie verte.» Mais elle a ajouté: «Certains États membres auront besoin d'une transition pour sortir des combustibles fossiles. Quant au nucléaire, il peut jouer un rôle précieux pour la transition.»

Quelle crédibilité?

L'exécutif européen voit avant tout ces énergies comme des énergies transition. Et leur intégration à la taxonomie prévoit des conditions: notamment qu'il s'agisse d'investissements dans une centrale à gaz remplaçant une centrale à charbon et émettant moins de 270 grammes de CO2 par kilowattheure; et, du côté du nucléaire, du financement de certains travaux dans les centrales ayant obtenu un permis avant 2040 ou la construction de réacteurs de troisième génération autorisée avant 2045.

«À l'origine, la transition n'était pas l'objet de la taxonomie, déplore Thomas Pellerin-Carlin. L'objet de la taxonomie c'était de définir ce qui était vert ou pas, de créer un label basé sur la science, validé et utilisé par l'UE et qui deviendrait une référence, et du coup un label de référence mondial. Je ne sais pas aujourd'hui ce qui restera de la crédibilité de la taxonomie aux yeux des investisseurs et des marchés financiers après un vote aussi scientifiquement absurde, qui inclut du gaz fossile dans la taxonomie.»

La partie ne semble toutefois pas terminée. Claude Turmes, ministre luxembourgeois de l'Énergie, dont le pays se range du côté des opposants à cette classification, a déjà annoncé qu'il porterait l'affaire devant la Cour de justice de l'Union européenne. Un autre round pourrait se préparer, du côté des juges cette fois.

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