Le casse-tête du financement du nouveau nucléaire

L’administration française tente de résoudre l’équation du financement de nouveaux EPR. Si EDF est le premier concerné, la participation active de l’État est requise.

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Le casse-tête du financement du nouveau nucléaire
Le coût d’Hinkley Point C, construit par EDF au Royaume-Uni, est estimé entre 27,1 et 28,3 milliards d’euros.

Annoncée par Emmanuel Macron, la construction de six nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR) en France n’est pas formellement confirmée. Le ministère de l’Économie planche sur plusieurs scénarios de montage financier. Un casse-tête, pour l’État comme pour EDF. La facture des six EPR avoisinerait 50 milliards d’euros. Le prix du mégawattheure, lui, dépendra fortement du mode de financement.

Dans le nucléaire, les investissements de départ sont colossaux et il s’écoule près d’une décennie avant de produire le moindre kilowattheure d’électricité. Ainsi, les deux tiers du coût d’une centrale proviennent du coût du capital avec un taux de financement à 9%, selon un rapport de l’OCDE. « Le problème du nucléaire, ce sont les risques concernant le prix de vente de l’électricité et le dérapage des délais de construction », souligne Jan-Horst Keppler, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine.

D’où l’importance de trouver un équilibre dans le partage des risques, via des montages financiers innovants. En la matière, la Grande-Bretagne fait office de laboratoire. Pour le futur parc de Sizewell C, Londres et EDF travaillent sur la mise en œuvre d’un modèle « regulated asset base », déjà utilisé pour financer d’autres types d’infrastructures. Ce modèle a l’avantage de rémunérer les investisseurs dès le début des travaux et organise un partage des risques de construction entre EDF et l’État britannique.

Probable choix de financement mixte

« Le régulateur fixe un tarif régulé, qui peut évoluer pour intégrer certains risques », explique Maxence Cordiez, ancien conseiller adjoint au nucléaire à l’ambassade de France au Royaume-Uni. De quoi faire baisser la facture, pour les consommateurs, par rapport à Hinkley Point C. Car pour inciter EDF à investir, Londres avait mis sur la table un « contract for difference », fixant un prix de rachat garanti de 92,5 livres sterling par mégawattheure, EDF s’engageant à supporter tous les risques de construction, avec un partenaire chinois. Un prix trop élevé, grevé par le coût du capital, qui représente 55 livres, contre 12 pour la construction en elle-même et 25 pour l’exploitation.

« Il est très probable que la France recoure à un mix entre un tarif garanti d’achat, sur le modèle britannique, et des prêts garantis par l’État, voire une partie de subventions publiques », pointe Ludovic Dupin, le directeur de l’information de la Société française d’énergie nucléaire. C’est l’option que vient de choisir la République tchèque pour son futur réacteur de Dukovany, sur lequel se positionne EDF. Il s’avère impossible, en tout cas, de faire sans une implication forte de l’État, l’opérateur français n’ayant plus la capacité de porter seul un tel projet. Avec son endettement de 42 milliards d’euros, « si EDF devait aller lever sur les marchés, cela se ferait à des coûts difficilement compétitifs », doute Pierre-Louis Brenac, expert chez Sia Partners.

Le projet Hercule, qui devait créer un EDF bleu regroupant le parc nucléaire, a capoté. Cela aurait pourtant permis à la future entité publique d’accéder à des taux plus bas. « Le financement des EPR en France ne peut pas être décidé indépendamment de la réorganisation d’EDF. Les deux sont intimement liés », met en garde Jan-Horst Keppler. Inextricable ? Ramenés à la durée du chantier prévu, « les investissements en question ne représentent que 2 milliards d’euros par an, ce qui reste absorbable par EDF », nuance Ludovic Dupin.

Prudence des investisseurs privés

Il est peu probable que des investisseurs privés frappent à la porte. Du côté des industriels, Enel avait vite jeté l’éponge à Flamanville. Retards en cascade, surcoût des chantiers, manque de retour d’expérience sur l’EPR… « Il y a de réelles réticences chez les investisseurs institutionnels européens, notamment allemands, pour le nucléaire », prévient Julien Touati, le directeur du développement du fonds d’infrastructures Meridiam. Les Britanniques pourraient vite l’expérimenter. Londres bat en ce moment le rappel pour attirer des fonds de pension et des investisseurs au tour de table de Sizewell C, en espérant écarter le chinois CGN. Mais « la prise en compte des critères ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance, ndlr] dans le nucléaire est loin d’être claire pour le moment », avertit l’assureur britannique Aviva.

Ces contraintes lourdes sur le financement expliquent l’insistance de la France à inclure le nucléaire dans la taxonomie européenne. La question devrait être tranchée d’ici à la fin de l’année. En considérant le nucléaire comme une activité verte (malgré ses déchets et ses risques), la taxonomie permettrait à EDF d’émettre des green bonds pour financer ses investissements dans les centrales. Étant donné la faiblesse actuelle des taux, la différence n’est pas énorme. Mais « les montants des capitaux à mobiliser rendent tout gain significatif dans le coût final du projet », rappelle Ivan Pavlovic, l’expert énergie de Natixis CIB.

« La taxonomie est surtout une bataille d’image pour le nucléaire. Rien n’empêchera la France de continuer à investir des milliards d’euros dans son parc nucléaire », tempère Thomas Pellerin-Carlin, le directeur du centre énergie de l’institut Jacques Delors. Reste que « dans le futur, les choses pourraient évoluer, notamment à l’aune des technologies SMR », estime Julien Touati. Plus petits, produits en série, ces petits réacteurs modulaires pourraient intéresser les fonds privés, même s’ils sont plutôt destinés à l’exportation et ne remplaceront pas les EPR. En revanche, ils ne seront pas prêts avant la décennie 2030, au mieux.

Solène Davesne et Jonathan Grelier

Combien coûte un réacteur ?

Les pays qui veulent s’équiper de centrales nucléaires ou renouveler leur parc ont le choix entre cinq modèles de réacteurs à eau pressurisée de troisième génération : l’EPR français, l’AP1000 américain, le VVER-1200 russe, le Hualong One chinois et l’APR1400 coréen. Plus sûrs et puissants que leurs prédécesseurs, ils ont été conçus en intégrant l’expérience des catastrophes de Tchernobyl et Fukushima. Pour les comparer, le coût de construction est donné en euros par kilowatt électrique de capacité installée, généralement hors coûts de conception et toujours hors coûts financiers. Plus élevés lorsqu’il s’agit de têtes de série, les coûts varient aussi suivant l’implantation.


© L'Usine Nouvelle - Sources : EDF, SFEN, WNA, RTE

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