La centrale nucléaire de Doel, près d'Anvers en Belgique, le 17 janvier 2018

La centrale nucléaire de Doel, près d'Anvers en Belgique, doit fermer d'ici 2025.

afp.com/EMMANUEL DUNAND

Ces nouvelles ont ravi les promoteurs de l'atome. En novembre, Emmanuel Macron a promis de lancer un nouveau programme de réacteurs nucléaires en France. Puis le gouvernement des Pays-Bas a annoncé, mi-décembre, la construction de deux nouvelles centrales, ainsi que la prolongation de la seule installation qu'elle fait encore fonctionner, à Borssele. Objectif : la neutralité carbone en 2050, comme l'exige l'Union européenne. À l'inverse, l'Allemagne et la Belgique ont acté la sortie définitive du nucléaire, dès le début des années 2000 - une décision confirmée en Allemagne en 2011 après la catastrophe de Fukushima.

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Mais si Berlin a minutieusement préparé sa sortie en 2022, en maintenant ses centrales à charbon et en accélérant le déploiement du renouvelable (éolien, solaire), en prévoyant de recourir au gaz comme énergie de transition. Bruxelles n'a, pour sa part, rien fait. Et alors que l'arrêt des sept réacteurs de Doel et Tihange est programmé pour 2025, les esprits s'échauffent quant au réalisme de cette décision. Et pour cause : en 2020, 11% de l'électricité produite en Allemagne était d'origine nucléaire, contre 39% en Belgique.

Cette question divise au sein même de la coalition de sept partis qui dirige le pays - après 16 mois de tractations. Alors que le prix de l'énergie flambe en Europe, les libéraux ne sont plus vraiment sûrs que l'abandon rapide du nucléaire soit une bonne chose. La mesure est néanmoins défendue par la ministre de l'Energie, Tinne Van der Straeten. Cette verte flamande a présenté le 3 décembre un rapport allant dans ce sens. Il s'agit de "la solution qui présente le moins de difficulté", a-t-elle plaidé. Le gouvernement du Premier ministre Alexander De Croo a promis une décision d'ici à la fin de l'année. Mais la dernière réunion sur le sujet, lundi 20 décembre, n'a rien donné.

Salle de contrôle de la centrale nucléaire belge à Tihange, le 16 mars 2011

Salle de contrôle de la centrale nucléaire belge à Tihange, le 16 mars 2011.

© / afp.com/BRUNO FAHY

Pour les partisans de l'atome, un renoncement serait une catastrophe. "Le gouvernement est complètement fou, car il renoncerait à 6 gigawatts (GW) en fermant les réacteurs, avance Damien Ernst, professeur en électromécanique à l'Université de Liège. La Belgique est en train de négliger ses futurs approvisionnements, pourrait faire face à des coupures et devra importer encore plus d'électricité." Pour ne rien arranger, la région flamande a refusé d'octroyer un permis à l'une des deux centrales au gaz censées sortir de terre prochainement. À pleine puissance, ces deux unités ne fourniront que 1,8 GW, soit moins du tiers de la production nucléaire promise à disparaître en 2025...

Paradoxalement, le meilleur allié de la ministre Tinne Van der Straeten n'est autre qu'Engie. Le groupe français possède Electrabel, l'exploitant des réacteurs de Doel et de Tihange. Par le passé, l'énergéticien a essayé de vendre à EDF ses deux centrales, sujettes à de plus en plus d'arrêts et d'incidents. En vain.

À présent, il préfère les fermer. La raison ? Il serait trop tard pour les moderniser. "Un tel projet nécessite un délai d'exécution que nous estimons à 5 ans, ont indiqué, début décembre, son président du conseil d'administration, Jean-Pierre Clamadieu, et sa directrice générale, Catherine MacGregor, dans une lettre envoyée à Alexander De Croo. Il nous paraît impossible d'assurer le prolongement de l'activité de ces 2 tranches en 2025."

Les écolos partisans du gaz

Voilà les autorités belges renvoyées à leur attentisme. "Personne n'a rien fait pour préparer cette sortie du nucléaire, regrette François Gemenne, spécialiste de géopolitique de l'environnement et professeur à l'université de Liège et à Sciences Po. La Belgique paye son impréparation chronique, car les gouvernements successifs ont tergiversé depuis la décision de 2003, il n'y a pas eu d'investissement massif dans les énergies renouvelables, ni de véritable politique énergétique."

Résultat, les partis écologistes (Ecolo en Wallonie ; Groen en Flandre), qui ont comme credo l'arrêt définitif des réacteurs, se retrouvent à défendre la construction de centrales polluantes ! Avec des raisonnements alambiqués : le patron d'Ecolo, Jean-Marc Nollet, a déclaré que le plus important restait la baisse des émissions à l'échelle du continent, grâce à la fermeture programmée de centrales à charbon en Allemagne et en Pologne... Bref, ce sont les autres pays qui compenseraient la sortie du nucléaire en Belgique.

Les partisans d'une prolongation de l'activité des centrales belges estiment, eux, qu'il n'est pas trop tard. "C'est encore possible techniquement et le gouvernement peut trouver un moyen d'accélérer le parcours législatif, fait valoir Damien Ernst. Je crois qu'Engie est surtout excédé par l'absence de décision de la part de la Belgique, depuis des années, sur l'avenir de ses centrales et ne veut pas froisser la ministre de l'Energie, qui pourrait avoir son mot à dire dans d'autres dossiers." Le groupe a ainsi été choisi par la Wallonie pour construire l'une des deux nouvelles centrales au gaz.

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Mais cette unité ne suffira pas à répondre aux besoins. Comment compenser la perte en ligne ? Le gouvernement défend la construction d'un nouveau parc éolien offshore sur la côte, mais la région flamande s'oppose au projet. "Il n'est de toute façon pas réaliste d'envisager un tel déploiement d'ici à 2025, explique Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre énergie de l'Institut Jacques Delors. Pour une production à grande échelle, cela prend 5 à 10 ans." Ne reste donc que deux solutions : construire plus de centrales au gaz ou prolonger l'activité des réacteurs. Il ne reste que quelques jours au gouvernement belge pour trancher.

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