Face à la Russie, la Communauté politique européenne s'essaie à voir les choses en (plus) grand
La Communauté politique européenne tient son premier sommet ce jeudi à Prague. Il rassemblera les leaders de quarante-quatre pays pour parler d’énergie, de sécurité, d’économie. La nouvelle structure devra démontrer sa pertinence.
- Publié le 05-10-2022 à 22h25
- Mis à jour le 06-10-2022 à 23h07
Il y aura du monde sur la photo de famille qui sera prise ce jeudi dans le cadre prestigieux du château de Prague, en République tchèque : devraient y figurer les chefs d’État et de gouvernement des quarante-quatre pays européens conviés (à l'exception de la Première ministre danoise Mette Frederiksen, retenue au pays pour cause de crise politique). On y verra les vingt-sept dirigeants des pays de l’Union européenne, mais aussi ceux des pays qui souhaitent y adhérer - les pays des Balkans, l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie. La Turquie, toujours officiellement candidate, sera aussi du nombre, de même que l'Arménie et l'Azerbaïdjan voisins. Seront aussi présents les leaders britannique, suisse, norvégien, islandais, du Liechtenstein. Bref, c’est l’Europe de l’Atlantique Nord à la mer Caspienne, de la Baltique à la Méditerranée qui sera rassemblée pour le sommet inaugural de la Communauté politique européenne (CPE) pour lequel ni la Russie, ni la Biélorussie n'ont reçu de carton d'invitation.
Il est difficile de prédire sur quoi débouchera cette grande première. Entre le 9 mai dernier, jour où le président français Emmanuel Macron a lancé l'idée de créer ce nouvel organisme, et la tenue de ce premier rassemblement ne se sont écoulés que cinq mois. Si un tel événement a pu être organisé dans un si court délai, c'est en partie en raison du contexte de la guerre en Ukraine qui rebat les cartes sur le Vieux Continent. Cette réunion des leaders de la quasi-totalité des pays européens "montre concrètement que la Russie (pas invitée, pas plus que la Biélorussie) est complètement isolée. Maintenir des liens avec les autres pays européens est plus nécessaire que jamais", souligne une source d'un pays de l'UE.
Mais s'il a fallu si peu de temps pour mettre la CPE sur les rails, c'est aussi parce que sa structure est aussi légère que possible et que nombre de questions - sur le pilotage et les objectifs - restent encore en suspens.
Quel rôle pour l’Union européenne ?
Le format de la réunion est inédit. "Réunir quarante-quatre leaders pour des discussions informelles comble un vide", notamment pour les pays non membres de l'UE, pointe pour sa part Steven Blockmans du Centre for European Policy Studies. "C'est à mi-chemin entre le G20 et l'assemblée générale des Nations unies", avance Éric Maurice, responsable du bureau bruxellois de la Fondation Robert Schuman. "On montre qu'il y a un ensemble incluant l'UE et ses proches partenaires et qui ne se laisse pas diviser par la tendance actuelle à la fragmentation."
La CPE va permettre aux participants de discuter, de manière informelle, de préoccupations communes, comme la stabilité et la sécurité du continent, l'énergie, la situation économique. "L'avantage de ce format pour l'UE est qu'il permet d'essayer d'échanger les points de vue, de voir ce qui peut être fait en termes de coopération et de coordination en sortant du cloisonnement géographique tel qu'il existe entre l'UE et ses voisins, avec un Partenariat oriental, un sommet des Balkans occidentaux, des relations difficiles avec la Turquie, le Royaume-Uni, etc.", poursuit Éric Maurice. Une source européenne acquiesce : "On constate que dans nos réunions avec les pays des Balkans, l'essentiel des discussions porte sur l'adhésion. Le CPE nous permet d'avoir des discussions politiques plus larges." Mais qu'on se le redise, insistent tous les interlocuteurs de l'UE : "La CPE n'est pas une alternative à l'élargissement."
Le rôle dévolu à l'Union européenne dans cette nouvelle structure reste cependant l'une des questions les plus sensibles. "L'énergie et la sécurité sont des gros sujets géopolitiques qui concernent tout le monde, mais pour d'autres, comme la coopération économique, la migration et la mobilité on est très proches des compétences de l'UE. Les Britanniques et d'autres ont fait savoir qu'ils ne veulent pas que cela devienne un format 'UE plus', ni d'un rôle pour la Commission européenne", rappelle Steven Blockmans. Ces pays grinceront des dents, en raison de la présence de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen. "C'est normal que la question se pose", admet une source européenne, "mais on ne peut pas se passer de la compétence et de l'expertise de la Commission, si pas pour cette réunion-ci, en vue des suivantes. Mais la CPE, ce n'est pas l'UE et les autres".
Ambiguïté des objectifs
Aux yeux de Thierry Chopin, conseiller spécial à l'Institut Jacques Delors, la CPE est toutefois "étroitement liée à l'ambition intégratrice de l'UE". L'idée initiale d'Emmanuel Macron, également partagée par le Premier ministre belge Alexander De Croo (Open VLD), le chancelier Olaf Scholz ou la présidente de la Commission européenne, était de créer une structure qui arrimerait à l'Union des pays qui ont vocation à y entrer, mais qui ne pourraient y adhérer qu'à moyen ou long terme, comme l'Ukraine. "On comprend l'intérêt de réunir dans le contexte actuel autant d'États dans une formation aussi large au niveau européen, pour discuter de guerre et de paix, des questions d'approvisionnement énergétique, alimentaires…. Mais à terme, ce qui est en jeu, c'est de stabiliser les marges orientales du continent", défend M. Chopin.
Or, poursuit-il, avec le format XXL de la Communauté politique européenne, "une ambiguïté pèse sur le projet. Les intérêts des pays candidats et de ceux qui n'ont pas de perspectives d'adhésion sont différents, voire contradictoires. Ce format peut satisfaire le Royaume-Uni ou la Turquie, ça ne répond pas à l'urgence du problème ukrainien et c'est de nature à produire beaucoup de frustrations dans les rangs des pays candidats".
Par ailleurs, la présence de pays comme la Turquie ou l’Azerbaïddjan empêche de présenter la CPE comme un "club des démocraties". Exit la volonté affichée à l’origine de rassembler des États partageant les mêmes valeurs (sous-entendu : celles de l’Union européenne) ?
Plénières, tables rondes et bilatérales
La chorégraphie du premier sommet est la suivante. Il s’ouvrira par une session plénière de 13 à 14 heures, avant que, pendant deux heures, les Quarante-quatre ne soient répartis en tables rondes pour discuter de paix et de sécurité à deux d’entre elles, d’énergie, le climat et la situation économique aux deux autres. Est ensuite prévue une période de trois heures trente pour les réunions bilatérales, y compris entre pays en conflit. On annonce ainsi une rencontre entre le Premier ministre arménien Pachinian et le président de l’Azerbaïdjan Ilham Aliev, en présence du président Macron et le président du Conseil européen, Charles Michel. Une nouvelle session plénière clôturera les travaux.
Bref, faire en sorte que cette Communauté politique européenne accouche d'autre chose que du plus petit dénominateur commun réclamera beaucoup d'efforts et de créativité. Pour éviter de susciter trop d'attentes, la présidence tchèque du Conseil de l'UE, à la manœuvre, a déjà annoncé qu'il n'y aurait ni communiqué ni déclaration commune. "Si la CP se réunit tous les six mois sans jamais avoir de texte de conclusions, on pourra s'interroger sur la pertinence du format. Pour cette première réunion, tout le monde arrive en essayant de comprendre ce qui peut être fait de cette CPE. Ce sommet de Prague, c'est plutôt une étude de potentialité", jauge Éric Maurice.