C’est un virage à 180 degrés pour le Royaume Uni. Avec ses 644 000 immigrants en 2017 (presque deux fois plus qu’en France), le pays, où les jeunes Européens venaient jusqu’ici chercher du travail, avec ou sans qualification, change d’époque. À partir de l’an prochain, l’immigration y dépendra en effet d’un système de points.

La volonté manifeste est d’attirer les travailleurs les plus qualifiés, recrutés uniquement dans les secteurs dans lesquels la main-d’œuvre manque outre-Manche. Une forme d’immigration choisie, que les commentateurs n’ont pas hésité à rapprocher du système australien.

En une version « plus rigide », souligne Elvire Fabry, chercheuse à l’institut Jacques-Delors, spécialiste du Brexit. En effet, pour être admis au Royaume-Uni, il faudra désormais déjà disposer d’un contrat de travail avec un permis, mais aussi entrer dans ce nouveau système à points.

La nouvelle politique britannique d’immigration ne fera plus de distinction entre Européens et non-Européens, ce qui aurait été strictement impossible si le pays était resté dans l’espace communautaire, car en contradiction directe avec le principe des quatre libertés fondamentales de l’Union, dont la libre circulation des personnes.

En outre, le texte adopté lundi 18 mai séparera en deux groupes les travailleurs étrangers actuellement présents au Royaume-Uni. Ceux présents sur place depuis plus de cinq ans (à compter de la date du Brexit, le 31 janvier 2020) pourront demander une résidence définitive, tandis que les autres se verront attribuer un statut intermédiaire. Les étudiants européens, eux aussi, auront besoin d’un permis.

« Take back control »

« Cela a été l’un des points clés de la campagne du Brexit en 2016 », rappelle Christian Lequesne, chercheur en sciences politiques à Sciences Po. Le contrôle de l’immigration faisait en effet partie des arguments répétés inlassablement par les partisans du Brexit, qui regrettaient que l’Union européenne ne laisse pas le pays choisir sa politique migratoire.

« L’idée politique est la suivante : que les Britanniques prennent les emplois non qualifiés », explique le chercheur. « C’est un peu l’image du plombier polonais », confirme Elvire Fabry. Pour Christian Lequesne, la volonté politique derrière ce choix est claire : « Les conservateurs espèrent ainsi réduire le chômage en donnant des emplois aux plus modestes de la société britannique, et cherchent à s’attirer les voix de populations qui votent travailliste ou UKIP. Aux élections de décembre dernier, on a vu des gens par exemple au nord de l’Angleterre, qui ont basculé conservateur. »

La santé de Boris Johnson, élément du débat

En pleine crise du coronavirus, des doutes ont été émis sur la capacité du NHS, le système de santé britannique, à pouvoir continuer à fonctionner sans ces travailleurs venus notamment d’Europe centrale. Le NHS emploie en effet 13 % d’étrangers, dont 5,5 % citoyens de l’Union européenne.

La crise du coronavirus, qui frappe de plein fouet le Royaume-Uni, a peut-être contribué à l’ajout d’une clause qui prévoit des conditions spéciales pour les travailleurs du secteur de la santé. Boris Johnson lui-même a en effet contracté le Covid-19, déclarant après son hospitalisation n’avoir eu la vie sauve que grâce aux personnels soignants qui s’étaient occupés de lui, des infirmiers d’origine étrangère.

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Aurélien Antoine, directeur de l’Observatoire du Brexit, rappelle toutefois que le texte de loi n’en est qu’à son premier stade et que, « dans un Parlement britannique plus puissant que le nôtre », les choses pourraient encore évoluer. « Mais la logique est bien celle d’une immigration choisie, après des années d’immigration non contrôlée voulue par Tony Blair pour des raisons exclusivement économiques, avant que lui-même ne reconnaisse que ce n’était peut-être pas une si bonne idée », conclut le chercheur.