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Les Etats-Unis de Donald Trump sont-ils l'ami ou l'ennemi de l'Europe?

Donald Trump annoncera vendredi s’il entend taxer certaines exportations européennes. D’autres mesures pourraient suivre. Washington applique-t-il une stratégie de déstabilisation délibérée vis-à-vis de l’Europe?

L’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a mis à mal la relation transatlantique. — © MIKE SEGAR/REUTERS
L’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a mis à mal la relation transatlantique. — © MIKE SEGAR/REUTERS

«Avec des amis pareils, qui a besoin d’ennemis?» La formule, utilisée récemment par le président du Conseil européen, Donald Tusk, à propos de son homonyme, Donald Trump, a rapidement fait mouche. Washington reste-t-il, encore aujourd’hui, le principal allié des Européens? Retrait de l’accord de paix sur le nucléaire iranien; cavalier seul américain sur la question du statut de Jérusalem, mais aussi, auparavant, retrait de l’Unesco et de l’Accord de Paris sur le climat…

Autant de coups portés au multilatéralisme par le locataire actuel de la Maison-Blanche. Pour reprendre une des formules favorites des Américains, les Etats-Unis de Trump font-ils partie du problème ou de la solution, alors que le monde est parcouru de toutes sortes de convulsions inquiétantes?

Les Européens ont encore quelques heures pour se faire une opinion: c’est vendredi que Donald Trump devrait annoncer s’il décide de taxer de 25% les exportations d’acier et de 10% celles d’aluminium, comme il l’a promis. S’ajoutent désormais aussi des menaces sur les exportations d’automobiles européennes. La liste des éventuelles représailles commerciales européennes est déjà prête.

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Les sanctions «extraterritoriales»

Pour avoir longtemps structuré en bonne partie l’ordre mondial, la relation transatlantique n’a pas toujours été de tout repos. La preuve? C’est à un vieil accord datant de 1996 que se raccrochent aujourd’hui les Européens pour tenter de faire échapper leurs entreprises aux sanctions américaines qui les menacent désormais si elles persistent à vouloir commercer avec l’Iran. Dénommé le «bouclier juridique», cet accord entre Européens avait déjà été prévu pour se protéger face à l’ire du grand frère américain. Même menace, à l’époque, de sanctions «extraterritoriales», bien qu’elles aient alors concerné le blocus appliqué par les Américains au régime de Fidel Castro et que les représailles européennes n’aient jamais été appliquées.

Alors les Etats-Unis, ami ou ennemi? Dans le cas de l’accord iranien, le doute n’est pas permis. «Aussi bien Emmanuel Macron qu’Angela Merkel se sont employés à répéter que les Etats-Unis restaient bien l’allié essentiel, rappelle Grégoire Mallard, professeur associé au Graduate Institute de Genève. C’est précisément parce qu’ils regardent l’Iran avec une grande méfiance que les Européens insistent sur l’importance de l’accord sur le nucléaire.» Le désaccord, ainsi, ne porte pas sur l’identité de l’allié, mais sur la gestion de l’alliance, voire sur sa nature.

Car, loin de s’en tenir à la question du nucléaire, Donald Trump et ses proches n’ont pas fait mystère de la longue liste de reproches qu’ils adressent à l’Iran: présence en Syrie, soutien au terrorisme et danger que constituerait cette puissance en expansion pour les principaux amis des Etats-Unis dans la région, l’Arabie saoudite et Israël. Dans ce contexte, «la question qui se pose est celle d’une politique étrangère européenne autonome», insiste Grégoire Mallard. Une alliance entre égaux, ou cette alliance forcée qu’entretiennent les vassaux avec leur souverain? «Pour les Européens, la question est d’autant plus douloureuse que l’accord sur le nucléaire iranien était justement l’un de leurs très rares succès obtenus en politique étrangère. Voir Donald Trump déchirer cet accord les hérisse d’autant plus…»

En première ligne: l’Allemagne

«Disons que cette alliance a perdu de son lustre», enchaîne Elvire Fabry, chercheuse senior au sein de l’Institut Jacques Delors. Rien à voir avec le passé: si les décisions de Donald Trump restent aujourd’hui difficiles à déchiffrer individuellement, il ne fait pas de doute que les Etats-Unis de Donald Trump mènent bien une «stratégie de déstabilisation» à l’égard des Européens, en jouant notamment sur les divisions internes. En première ligne: l’Allemagne, dont les relations commerciales privilégiées avec les Etats-Unis (un excédent de 54 milliards d’euros d’exportations vis-à-vis de ce pays) l’exposent particulièrement et l’amènent à se montrer davantage conciliante.

«Malgré ces tensions entre conciliation et affrontement, les Européens ont plutôt resserré leurs liens (face aux attaques américaines)», poursuit la chercheuse. A l’en croire, le prochain grand test sera sans doute celui du secteur automobile. «Ici, les intérêts sont suffisamment importants pour amener les industriels allemands à sortir de la logique des concessions à l’égard de Washington. D’autant que cette logique n’a pas amené beaucoup de résultats jusque-là.»

Alliances pragmatiques

Pour Elvire Fabry, l’Europe n’a aucun intérêt à entrer dans le jeu de l’escalade des sanctions commerciales. «Les Européens sont convaincus qu’il faut s’en tenir au jeu multilatéral, et trouver le moyen de le conforter autant que possible.» Mais cela n’empêche pas le pragmatisme: «L’Europe pourrait avoir intérêt à jouer avec les Américains contre les distorsions économiques produites par les Chinois. Mais elle pourrait aussi s’appuyer sur la Chine pour préserver le système multilatéral face aux menaces apportées par les Etats-Unis. Le danger, ce serait de se faire prendre entre les deux…»

Encore faut-il que l’Union européenne elle-même réussisse à parler réellement d’une même voix. Une vieille rengaine? La nouveauté, note Mark Leonard, directeur à l’European Council on Foreign Relations, c’est que cette opposition au multilatéralisme s’exprime désormais de manière de plus en plus forte au sein même des Etats européens, dans ces mouvements «illibéraux» et autres populismes qui s’en prennent directement à ce qui a fait l’essence même de l’Union. «L’interdépendance, qui était censée réduire les conflits entre les nations, donne forme aujourd’hui aux peurs d’une partie de la population, effrayée par le terrorisme ou les changements culturels et économiques que produisent les migrations.»

Une cause de désordre

Mark Leonard voit à l’œuvre un changement structurel. Du côté américain, tandis que les priorités se trouvent désormais du côté du Pacifique, difficile de justifier l’idée que cette Europe riche doive compter encore sur l’aide américaine (militaire notamment). Tandis que, vu d’Europe, les Etats-Unis sont désormais perçus comme une cause de désordre plutôt que comme un garant d’ordre et de protection (les interventions en Irak et en Afghanistan sont passées par là…) «Donald Trump est bien davantage le symptôme d’un changement d’époque plutôt que sa cause», résume le chercheur. Avec une conséquence immédiate: ces difficultés transatlantiques, sans doute, sont là pour durer.