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Interview

Nicole Gnesotto : « Les Occidentaux doivent réfléchir à une finlandisation de l'Ukraine »

Face aux tensions provoquées par le statut de l'Ukraine, que la Russie refuse de voir un jour adhérer à l'Otan, la spécialiste des questions de défense Nicole Gnesotto propose de réfléchir à une forme de neutralité de cette ex-région de l'Union soviétique. Une troisième voie qui permettrait aux Etats-Unis, à l'Europe et à la Russie de sortir par le haut de la confrontation actuelle.

Les Européens ne sont pas à la table des discussions sur l'Ukraine entre les Etats-Unis et la Russie. Ici, le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, et le ministre russe des Affaires étrangères,Sergueï Lavrov, avant leur rencontre à Genève, le 21 janvier dernier.
Les Européens ne sont pas à la table des discussions sur l'Ukraine entre les Etats-Unis et la Russie. Ici, le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, et le ministre russe des Affaires étrangères,Sergueï Lavrov, avant leur rencontre à Genève, le 21 janvier dernier. (Photo by Alex Brandon/AFP)

Par Catherine Chatignoux

Publié le 25 janv. 2022 à 09:20Mis à jour le 25 janv. 2022 à 15:51

Comment expliquez-vous l'absence des Européens à la table des négociations avec la Russie, alors que les tensions sont à leur comble en Ukraine ?

Les Russes ne négocient pas avec les Européens parce qu'ils considèrent que ce n'est pas à leur niveau. Vladimir Poutine ne veut parler qu'au dirigeant américain, Joe Biden, et ne considère pas l'Europe comme un interlocuteur valable. On l'a vu : il n'a pas cessé de multiplier les rebuffades contre les diplomaties européennes, qu'elles soient nationales ou collectives lorsque Josep Borrell s'était rendu à Moscou en février dernier et avait été très mal traité . A cela s'ajoute le fait que les Européens sont divisés sur l'attitude à avoir vis-à-vis de la Russie depuis l'annexion de la Crimée par Moscou .

Au début des années 2000, il y avait un véritable dialogue de sécurité et de coopération avec les Russes. Mais Poutine a multiplié les violations du droit international et depuis, on ne lui parle plus au niveau européen. Il y a des nuances toutefois. Les anciens pays d'Europe centrale et orientale, dont il ne faut pas oublier qu'ils ont été occupés pendant 50 ans par l'Armée rouge, ne veulent pas du tout négocier avec Poutine.

Alors que d'autres, comme la France et l'Allemagne, considèrent qu'on n'a pas le choix et que ce n'est pas être pro-Poutine que de dire qu'il faut parler avec tout le monde, même avec son pire ennemi.

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Emmanuel Macron a-t-il une chance de rallier les adversaires de ce dialogue ?

En 2019, quand il présidait le G7, Emmanuel Macron avait proposé de construire « une architecture de sécurité et de confiance » avec la Russie, personne ne l'a suivi. Au Conseil européen de juin dernier s'est lancée une initiative commune franco-allemande pour ouvrir un « dialogue stratégique exigeant » avec Moscou. Mais il y a eu un veto de la Pologne, des Baltes, de la Suède et des Pays-Bas.

Emmanuel Macron a fixé comme l'une des priorités de la présidence française de l'UE d'essayer de trouver un consensus pour se mettre d'accord sur le principe et le contenu d'un tel dialogue. La semaine dernière à Strasbourg, devant le Parlement européen, il a proposé qu'on trouve un consensus entre Européens, avant d'en parler ensuite aux Américains dans le cadre de l'Otan puis de le soumettre aux Russes.

Nicole Gnesotto spécialiste des questions européennes et de défense et vice-présidente de l'Institut Jacques-Delors, vient de publier « L'Europe : changer ou périr » aux Editions Tallandier.Photo by leemage via AFP

Nicole Gnesotto spécialiste des questions européennes et de défense et vice-présidente de l'Institut Jacques-Delors, vient de publier « L'Europe : changer ou périr » aux Editions Tallandier.Photo by leemage via AFP

Pourquoi est-il si difficile de convaincre tous les Européens ?

Il y a cette méfiance viscérale des anciens pays membres du Pacte de Varsovie à l'égard de la Russie. Et aussi le fait que les Européens préfèrent que la négociation soit menée par les Américains. Il n'y a que nous, Français, qui nous indignons de voir que l'Europe est absente des discussions.

Pour les autres, ce n'est pas un problème que les Etats-Unis soient en leadership sur l'Ukraine. Après 70 ans dans l'Otan, les Européens ont désappris la responsabilité internationale. C'est plus confortable de déléguer à l'Otan que de prendre des risques.

Est-ce que l'Europe puissance n'est pas hors de portée dans ces conditions ?

L'Europe puissance n'est pas une Europe indépendante des Etats-Unis. Dans 80 % à 90 % des cas, nos intérêts sont les mêmes que ceux des Etats-Unis et les deux alliés travaillent ensemble. La difficulté, ce sont les 10 % de cas où l'on a le sentiment que l'Europe a des intérêts différents, sur lesquels elle doit être capable d'agir seule. Et puis l'Europe puissance, ce n'est pas seulement l'Europe militaire, l'Europe de la défense. C'est d'abord d'être en mesure d'avoir une diplomatie commune sur l'Ukraine, l'Afghanistan et le Moyen-Orient.

Vladimir Poutine dit qu'il se sent menacé par l'Otan. Les Occidentaux refusent de l'entendre, y a-t-il encore de la place pour la négociation ?

La question de l'Ukraine est double. Il y a d'un côté la folie de Poutine qui n'accepte toujours pas que les anciens pays de l'URSS deviennent indépendants et démocratiques. Et de l'autre côté, il y a eu, à mon sens, une erreur de l'Otan qui a considéré à partir de 1991 que tout ce que l'URSS perdait devait entrer dans le panier occidental.

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Je pense qu'il faut avoir la politique de sa géographie. L'Ukraine et la Russie sont en Europe une fois pour toutes. L'Ukraine a parfaitement le droit de demander à rentrer dans l'Otan, mais l'Otan a aussi le droit de considérer que la contrainte géopolitique rend cette adhésion difficile. Car il est difficile d'imaginer que l'Otan s'étende jusqu'à la frontière russe.

Il faut donc y réfléchir et sortir du dilemme entre « l'Ukraine rentre dans l'Otan ou c'est la guerre ». Il y a un concept qui a été utile historiquement, celui de la finlandisation. La Finlande n'est pas rentrée dans l'Otan mais est restée respectée par l'URSS. Ce n'est pas forcément la solution, mais on doit réfléchir à une solution de ce type. Sinon, il n'y aura pas d'issue, sauf un conflit.

Vous croyez à une intervention russe ?

Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête de Vladimir Poutine. J'observe que depuis 6 à 9 mois, on assiste à une montée en tension très cohérente de la part de la Russie. Il y a eu le déploiement des troupes, des manoeuvres, une attaque cyber importante, des manipulations politiques en Russie, l'affaire biélorusse. Bref, une accumulation de gestes hostiles. Si la diplomatie doit servir à quelque chose, c'est de trouver un compromis où la Russie trouverait aussi son intérêt.

N'est-ce pas d'autant plus utile que sur le fond, les Occidentaux ne sont pas enthousiastes à l'idée d'intégrer l'Ukraine à l'Otan ?

A mon avis, ce n'est pas dans l'intérêt de la sécurité européenne que l'Ukraine entre dans l'Otan, mais il y a des pays qui le souhaitent. La Pologne a très envie d'avoir l'Ukraine comme tampon entre elle et la Russie. Les pays sont très partagés sur cette question. En 1997, la France et l'Allemagne avaient plaidé pour qu'on ne propose pas de dates à la Géorgie et l'Ukraine qui visaient l'adhésion. Paradoxalement, on est en train de refuser à Poutine quelque chose qui correspond plutôt à notre position, parce qu'il l'exige et qu'on ne veut pas céder à ses injonctions.

Plus généralement, je pense qu'il faut repenser l'équilibre des forces nucléaires après la sortie du traité sur les missiles à portée intermédiaire par Donald Trump. Il faut repenser l'équilibre des forces conventionnelles et discuter de la transparence des exercices militaires. C'est pourquoi Macron avait plus que raison en 2019. On ne peut pas se payer le luxe de ne pas parler à la Russie.

Catherine Chatignoux

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