Les tensions entre l'OTAN et la Russie risquent-elles de raviver les affrontements au Kosovo ?

Des Serbes manifestent après des affrontements liés à l’installation du maire albanais de Zvecan, au nord du Kosovo, le 31 mai 2023 ©AFP - STRINGER
Des Serbes manifestent après des affrontements liés à l’installation du maire albanais de Zvecan, au nord du Kosovo, le 31 mai 2023 ©AFP - STRINGER
Des Serbes manifestent après des affrontements liés à l’installation du maire albanais de Zvecan, au nord du Kosovo, le 31 mai 2023 ©AFP - STRINGER
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Le 29 mai, des affrontements ont touché le nord du Kosovo, après l’entrée en fonction de maires albanais dans des villes à majorité serbe. Quinze ans après l’indépendance, non reconnue par la Serbie, les frictions au Kosovo sont-elles ranimées par les tensions entre la Russie et l'OTAN ?

Avec
  • Belgzim Kamberi Sociologue et journaliste, chercheur à l’institut pour les politiques sociales Musine Kokalari, basé à Pristina
  • Pierre Mirel Directeur Balkans à la Commission européenne pendant près de 10 ans. Conseiller pour le centre Grande Europe de l’institut Jacques Delors
  • Philippe Vergne Enseignant à Sciences Po Paris, ancien diplomate de la direction politique au Quai d’Orsay, il a été chargé de mission Russie-Balkans jusqu’en 2016 puis membre du groupe de contact Russie-Ukraine

Celles et ceux qui ont vécu la guerre en ex-Yougoslavie jusqu’en 1995, puis la guerre entre Serbie et Kosovo entre 1998 et 1999 n’ont cessé de dire que les conflits dans les Balkans avaient laissé des traces encore vives et que la guerre en Ukraine ne signait pas le retour de la guerre en Europe.

Le Kosovo et ses 1.800.000 habitants, dont 120.000 serbes, semble, malgré les soutiens de l’Union européenne et des États-Unis, en situation difficile à la fois financièrement et diplomatiquement, en partie pour ne pas être parvenu à régler l question de la communauté serbe du nord du pays et y avoir organisé des élections locales alors même que les Serbes refusaient d’y participer.

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Et les exhortations de la communauté internationale n’ont rien pu y faire et les affrontements de la semaine dernière dans la commune de Zvecan ont marqué le retour dans le nord du pays d’une administration internationale.

Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Belgzim Kamberi, sociologue et journaliste, chercheur à l’institut pour les politiques sociales Musine Kokalari, à Pristina ; Pierre Mirel, directeur Balkans à la Commission européenne pendant près de 10 ans. Conseiller pour le centre Grande Europe de l’institut Jacques Delors ; Philippe Vergne, enseignant à Sciences Po Paris, ancien diplomate de la direction politique au Quai d’Orsay, il a été chargé de mission Russie-Balkans jusqu’en 2016 puis membre du groupe de contact Russie-Ukraine.

Une « stratégie de la tension »

« Chacun s’attendait à des incidents, le feu couvait » observe Pierre Mirel, « on a eu une élection de quatre maires albanais dans des régions peuplées à 90% de serbes, avec entre 2.5 et 3.5% de participation : cette élection légale mais illégitime n’allait pas laisser les Serbes sans réaction ». Le Kosovo s’était engagé à mettre en place une association de municipalités serbes, mais « le Premier ministre kosovar, Albin Kurti, n’y a pas intérêt » estime-t-il. « Ces derniers mois, il n’a cessé d’avoir une rhétorique agressive vis-à-vis des Serbes et des minorités » complète Philippe Vergne, « en mettant des entraves à leur vie quotidienne ». Selon lui, ces tensions au Kosovo sont une bonne affaire pour le Premier ministre serbe, Aleksandar Vučić : « il a des difficultés sur le plan intérieur et détourne l’attention de la population, descendue dans la rue après deux meurtres de masse ».

Quelle perspective européenne pour les Balkans occidentaux ?

« Le problème du dialogue Kosovo-Serbie, c’est qu’on fait face à une impasse avec des accords qui ne sont pas mis en œuvre, tout ceci produit par la politique de l’Union européenne dans les Balkans occidentaux » explique Belgzim Kamberi, « il y a eu des promesses d’élargissement, mais rien n’a avancé, et ces problèmes profitent du vide créé ». Il dénonce la relativisation de la question du Kosovo par les Européens, qui défendraient désormais une « stabilocratie » : « après la crise ukrainienne, il y a eu un basculement de l’idée de pousser à la reconnaissance de la souveraineté du Kosovo par la Serbie à celle d’une simple normalisation des relations, fondée sur la seule recherche de stabilité ». « L’idée de normalisation est présente depuis le début du dialogue avec l’Europe » contredit Pierre Mirel, qui convient de la nécessité de changer l’approche européenne des Balkans occidentaux : « la Présidente de la Commission Européenne vient d’annoncer un changement dans la méthode de négociation, avec la possibilité d’une adhésion graduelle ».

Le jeu de la Russie en Serbie

« La Russie n’est pour rien dans cette affaire kosovare » précise Philippe Vergne, « mais les Russes ne sont pas fâchés de voir ces évènements qui vont contre les forces de l’OTAN : ils considèrent que les Balkans doivent demeurer un front de réserve contre l’Occident et donc ont tout intérêt à ce que les pays demeurent dans une situation d’instabilité permanente ». La Russie continue d’ailleurs de bloquer le progrès du Kosovo dans les institutions internationales, comme à l’ONU où elle utilise son veto au sein du Conseil de Sécurité. « Le Kremlin essaie d’utiliser les Balkans occidentaux sous la forme d’une guerre hybride, en attisant les tensions ethniques, on faisant du chantage avec le gaz… » ajoute Belgzim Kamberi.

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